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LES CURIOSITÉS DE PORZH-FOLL

en PLOEMEUR (56) - (1ère partie)

 

Louis GOULPEAU

Membre de la S.A .H.P.L.  

 

 

 

 

 

            Le promeneur qui à Ploemeur suit le sentier côtier depuis le Perello jusqu’à Kerroch laisse sur sa gauche, après avoir passé la pointe du Talud, une anse large et fermée côté mer par de nombreux écueils qui en rendent l’accès problématique pour peu que la mer soit formée. Il est à Porzh Foll (ou Port-Foll) juste en avant des "mobile-homes" de la cité-jardin.

            Les roches à l’ouest de cette anse présentent deux curiosités qui peuvent intriguer ceux qui sont assez observateurs pour les remarquer. Je veux parler d’une inscription gravée en creux dans une roche verticale et plus loin, à son extrémité occidentale, d’une série de croix taillées sur une roche horizontale. Encore faut-il pouvoir les localiser.

            Lorsqu’il se positionne au fond de cette anse et face au large, ce promeneur a devant lui une plage assez bien abritée mais encombrée de nombreux galets. Celle-ci est fermée sur sa droite (donc vers l’ouest) par une première barre rocheuse d’environ 20 mètres de long disposée perpendiculairement au sentier côtier. Elle fait suite à une zone de roches basses plus ou moins plates qu’elle surplombe de 3 mètres et marque le début d’un secteur rocheux. Cette barre est prolongée vers la mer par un bloc un peu plus bas qui en est nettement séparé. S’il rejoint celle-ci à partir du sentier, il remarquera que cette barre rocheuse est entaillée à son extrémité et sur son flanc gauche par une faille profonde d’environ 2 mètres qui en isole un autre bloc assez modeste. Au-dessus de cette faille et en haut, une échancrure de la roche forme comme un balcon (ou un fauteuil) par arrachement rocheux. C’est sur la paroi verticale formant le dossier de cette sorte de fauteuil qu’une inscription assez fruste a été gravée, commémorant un naufrage qui s’est produit à la fin du XIXè siècle. Ayant encore plusieurs lacunes dans la documentation concernant ce naufrage, nous ne reparlerons de celui-ci que plus tard, dans un second article.

            A une cinquantaine de mètres et à l’extrémité occidentale de l’anse de Porzh-Foll, une grande roche horizontale est disposée environ 15 mètres en avant de la falaise et au pied d’une grosse roche verticale séparée de cette falaise par une profonde entaille. C’est du haut de la falaise et dans l’axe de cette roche horizontale que l’observateur sera le mieux placé pour repérer la série de quatre croix qui ont été taillées dans celle-ci. Ayant pris ses repères, il peut alors descendre sur l’estran pour observer de plus près cette "carrière" (on peut préférer l’expression de "zone d’extraction") de croix. Ces croix taillées dans la roche apparaissent soit en relief (en positif) pour deux d’entre elles (elles étaient en cours d’extraction lors de l’abandon du site), soit en creux (en négatif) pour les deux autres (elles ont été enlevées du site après extraction). Outre ces quatre croix dont l’existence est certaine, on peut détecter avec un peu d’habitude des traces potentielles de l’extraction antérieure d’autres monolithes cruciformes. Leur nombre est trop incertain et leurs traces trop ténues pour en permettre une analyse détaillée. Nous nous contenterons donc d’étudier les quatre croix bien visibles.

            Une certaine ambiguïté commence lorsque l’on cherche à lier ces deux sites comme le font nombre d’anciens du pays qui veulent voir dans ces croix des ex-votos qui commémore-raient la découverte sur l’estran des corps des marins noyés lors du-dit naufrage. Il faudrait alors expliquer la présentation curieuse de croix disposées tête-bèche, certaines en relief et d’autres en creux. Voyons cela de plus près.

             A l’extrémité nord-ouest de l’anse de Porzh-Foll, la côte s’élève quelque peu jusqu’à former une falaise verticale au-dessus d’une petite plage de sable. A cet endroit, cette falaise se prolonge par une grosse roche de même hauteur, qui revient vers le sud et est séparée de celle-ci par une faille d’un à deux mètres de large.

            En avant de la falaise, à une quinzaine de mètres vers le sud-est, et à environ 6 à 7 mètres du pied de la grosse roche, une zone rocheuse presque horizontale se développe selon un axe NW / SE en s’élevant graduellement vers le centre de l’anse. Étroite d’environ 1,50 mètre à son extrémité la plus proche de la falaise, elle s’élargit progressivement en éventail (figure 1) pour atteindre environ 5 à 6 mètres de large au bout de 9 mètres . Elle se prolonge alors après une brusque élévation de hauteur en un massif d’aspect un peu plus tourmenté. Cette première zone est marquée par deux accidents mécaniques : une fine rainure qui la marque transversalement à environ 2,50 mètres de son extrémité occidentale et une cassure très nette qui part en diagonale (affectant la croix B) et qui est probablement à l’origine de l’abandon du site.

            C’est sur cette première partie presque plate de la roche pseudo-horizontale que des croix ont été extraites dans un passé difficile à préciser. Quatre traces d’extraction sont parfaitement visibles mais qui se présentent de façons différentes selon que la croix se trouve encore engagée dans le massif rocheux après abandon des opérations de dégagement (croix A et B de la figure 1) ou que l’extraction a pu effectivement être réalisée laissant une empreinte en creux (croix C et D de la figure 1). Dans le premier cas, elle apparaît en relief entourée d’une rigole creusée en vue de son extraction ; rigole ou empreinte se remplissent d’eau après une averse ou lorsque la marée est assez haute pour que les vagues les plus fortes puissent venir submerger la roche de temps à autre. Outre ces quatre croix bien identifiables, d’autres traces plus diffuses permettent de penser que d’autres croix ont précédemment été extraites à cet endroit sans qu’il soit possible ni de les dénombrer avec certitude (peut-être deux) ni d’assurer des relevés précis de leurs dimensions. De plus deux meules (F#40cm) ont été apparemment extraites près du flanc nord-est de la dite roche (M1 et M2 sur la figure 1).

            Pour les quatre croix (A, B, C, D), il a été possible d’effectuer le relevé de leurs dimensions comme définies sur le schéma de la figure 2). Pour les 2 croix non dégagées et donc toujours en place, la précision de ces mesures est de quelques millimètres mais pour les 2 autres croix, une certaine incertitude demeure liée au fait qu’il nous reste seulement les dimensions de l’empreinte en négatif (croix + rigoles d’extraction). Les dimensions alors retenues pour ces croix (C et D) ne sont qu’approximatives puisqu’elles résultent de la soustraction aux dimensions effectivement mesurées sur les empreintes en creux des largeurs moyennes des rigoles ( 10cm), telles que déterminées par ailleurs sur les deux autres croix (A et B). Le tableau comparatif de ces mesures est donné dans le tableau ci-après.

 

 

Figure 1

 

 

Figure 2

 

 

             Mais il est une dimension qui nous échappe définitivement, c’est l’épaisseur des croix.

             En effet, pour les 2 croix dont l’extraction a été abandonnée, nous ne pouvons préjuger de la profondeur finale de la gorge de dégagement et pour les deux autres qui ne sont plus en place, la profondeur de l’empreinte en négatif ne permet pas une estimation crédible de cette épaisseur. Il semble toutefois que le fût et les bras de ces croix étaient lors de l’extraction un peu moins épais que larges (épaisseur minimale de 21cm pour l=25cm pour la croix B).

 

 

             Comme on peut le constater, sans être tout à fait identiques ces mesures restent dans un même ordre de grandeur et on peut se risquer à définir un module type (ou moyen) pour ces croix lors de leur extraction avec :

            Envergure : 65 cm < D < 72 cm          ;          Longueur des bras : 18 cm < d’ < 22 cm ;

            Largeur du fût : 24 cm < l < 28 cm    ;          Largeur des bras : 24 cm < e < 26 cm

              Les deux fûts encore en place possèdent tous deux des largeurs plus fortes à la base qu’à la croisée des bras. Par contre, leurs longueurs sont plus variables ( 210 cm < L < 305 cm ) mais celles des croix extraites en premier demeurent toutefois systématiquement plus courtes que celles des croix restées en place par suite de l’abandon du site.

            Cette légère dispersion des valeurs mesurées n’empêche pas de trouver un certain "air de famille" à ces croix latines (tête du fût et bras de longueurs voisines mais bien inférieures à celle du pied). De là à rechercher ce même "air de famille" pour des croix dressées sur la commune de Ploemeur (telle qu’elle était au début du XXe siècle), il n’y a qu’un pas. Ces croix étant nues, il faut évidemment éliminer de cette recherche celles portant la représentation du Christ crucifié (Kercavès en Larmor ou Kerantonel) ainsi que celles aux bras pattés (Kerduellic, Quéhello-Le Floch, rue de Saint-Bieuzy à Ploemeur, etc …) ou au fût court (Kergoulédec en Larmor). De même, bien que celle-ci soit latine et présente des proportions voisines, il est difficile d’inclure dans cette liste la croix sur socle proche de l’entrée du cimetière de Ploemeur (rue Louis Lessart) dans la mesure où elle a été reconstituée à partir de 3 blocs séparés, scellés ensemble (pied, bras et tête) mais ne présentant même pas d’unité typologique (sections et profils de formes différentes).

 

            Mais par contre, lorsque l’on observe les silhouettes générales des croix de Saint-Bieuzy (figure 3-a), de Kereven (figure 3-b) ou de Kerihuer (figure 3-c), on retrouve globalement le même aspect visuel ou les mêmes proportions générales. Nous avons relevé sur ces trois croix la même série de dimensions que sur celles de la carrière d’extraction. Toutes trois semblent plus courtes mais les fûts étant engagés dans des socles maçonnés (d’ailleurs de formes variées – voir les figures 3a, 3b et 3c), leur partie émergente ne présente plus qu’une valeur minimale de leur longueur réelle.

            Après l’extraction de la croix brute, une opération de retaille pour la mise en forme finale et le traitement des surfaces était certainement nécessaire avant l’érection définitive. Aussi le fait que les croix de Kereven et de Kerihuer soient à section octogonale (alors que celle de Saint-Bieuzy à une section rectangulaire) ne doit pas nous perturber. Cette opération technique relevant d’un choix esthétique est obligatoirement postérieure à celle de l’extraction. Ces réserves étant posées, on peut procéder à un examen critique des dimensions relevées pour ces trois croix.

            Les dimensions vérifiables sont systématiquement proches (mais toujours inférieures) de celles des croix brutes de la zone d’extraction. Ce sont les largeurs des fûts et des bras qui sont les plus proches du "modèle" ; c’est la croix de Saint-Bieuzy qui présente les écarts les plus forts (15 à 17cm contre 24 à 27 cm ) et est donc nettement plus menue. Les épaisseurs sont, chaque fois comme prévu, quelque peu inférieures.

            L’envergure, les longueurs des bras et tête suivent cette même comparaison :

                        - envergure :               56 à 62cm       contre    65 à 72cm  sur les croix brutes,

                        - longueur - tête :        20 à 25cm       contre    25 à 32cm  sur les croix brutes,

                        - longueur - bras :       17 à 22cm       contre    20 à 23cm  sur les croix brutes.

            Mais ces chiffres globaux appellent quelques nuances. La lecture du tableau montre par exemple et à la précision près de mesures faites sur des traces en creux, que la croix de Saint-Bieuzy ne peut provenir de l’empreinte D de la zone d’extraction puisque ses bras sont plus longs qu’autorisé par les dimensions relevées sur celle-ci (par contre l’empreinte C pourrait convenir). En procédant de cette même façon et par élimination, l’empreinte D pourrait alors correspondre plutôt à la croix de Kerihuer. Quant à la croix de Kereven, la largeur de ses bras apparaît un peu limite pour correspondre aux empreintes C ou D. Mais il convient de rester prudent.

             Les remarques ci-dessus ne peuvent cependant être prises que comme des compatibilités et en la matière il y a loin entre le possible et le probable et encore plus entre le probable et le certain. L’analyse dimensionnelle ne peut fournir que des indications en vue de sélectionner d’éventuels candidats afin d’entreprendre des études techniques plus ciblées. Car des analyses petrographiques, minéralogiques, chimiques ou isotopiques seraient nécessaires si l’on souhaitait rechercher une identité entre les roches de la zone de Porzh-Foll et celles utilisées pour tailler chacune de ces croix. Alors seulement on pourrait quitter le domaine des hypothèses et parler avec plus de certitude de la provenance des croix de Saint-Bieuzy, de Kereven ou de Kerihuer.

 

 

Figure 3a

Figure 3b

Figure 3c