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Le Paléolithique de L'ouest de la France

 

Jean Laurent MONNIER

Directeur de Recherche

UPR 403 du CNRS, Université de Rennes 1

Conférence de la S.A.H.P.L. du 5 mars 1994

 

Le paléolithique inférieur dans le Massif Armoricain
Le paléolithique moyen dans le Massif Armoricain
Le paléolithique supérieur dans le Massif Armoricain
Références bibliographiques

Liens vers les figures

Miniatures

 

L'ère quaternaire a été marquée par une succession d'oscillations tour à tour froides et tempérées. Ces variations climatiques sont aujourd'hui bien connues grâce à l'étude des sédiments des grands fonds océaniques, et notamment au dosage des isotopes de l'oxygène contenus dans les restes de minuscules organismes marins (foraminifères). Le rapport O12/018 est en effet lié à la température de l'eau où vivaient ces organismes. Entre 800 000 ans et l'actuel, une vingtaine d'oscillations ont ainsi été mises en évidence, soit une succession d'une dizaine de cycles "interglaciaire/glaciaire". Le cadre de la préhistoire armoricaine se situe principalement dans les quatre ou cinq derniers cycles.

L'essentiel des données concernant le Pléistocène armoricain nous est fourni par l'étude des dépôts visibles en falaises, le long du littoral. Les grands glaciers quaternaires n'ont jamais recouvert le Massif armoricain, bien qu'ils se soient étendus, durant les périodes les plus froides, jusque sur le sud des Iles britanniques. Nous parlons alors, pour notre région, d'un domaine "périglaciaire". Les dépôts dits périglaciaires, loess et head pour l'essentiel, ont donc une importance particulière. En outre, l'extension des glaciers, notamment dans les régions polaires, s'est accompagnée d'une énorme rétention d'eau dont l'un des effets fut un abaissement du niveau des océans. C'est ainsi par exemple qu'au maximum de la dernière glaciation, soit vers 18000/20000 ans, la Manche était pratiquement à sec, ce qui correspond à une régression de plus de 100 m. Lors de chaque optimum climatique interglaciaire, les rivages marins se situaient au voisinage du niveau des plus hautes mers actuelles, parfois même au-dessus.

 

Le paléolithique inférieur dans le Massif Armoricain

 

En Bretagne, le Paléolithique inférieur est essentiellement localisé le long des grandes vallées et sur la côte sud. Sur les marges armoricaines, quelques gisements ont été signalés sur la côte normande du Cotentin et surtout dans le domaine ligérien.

Les sites du Paléolithique très ancien sont encore mal connus dans l'Ouest de la France. Dans l'état actuel des recherches, le gisement de Saint-Malo-de-Phily, sur la moyenne Vilaine, constitue un repère intéressant. Ce sont des lambeaux d'une ancienne terrasse qui coiffe les sables pliocènes.

La position stratigraphique de l'industrie a été repérée dans la base des alluvions grossières. Elle est essentiellement en grès quartzeux. Ce sont souvent des sortes de gros racloirs, d'épais grattoirs ou d'énormes encoches. Il reste donc très fruste et a parfois laissé subsister des doutes quant à son caractère véritablement anthropique. Or la trouvaille récente d'un outil sur galet, particulièrement évident, est venue heureusement confirmer l'intérêt du site. Il s'agit d'un chopping-tool typique, façonné dans un galet de quartzite fin. Cette pièce remarquable est, techniquement et typologiquement, très différente des outils sur galets colombaniens.

L'âge du gisement de Saint-Malo-de-Phily n'est pas encore établi avec certitude. Il se place dans les plus hautes terrasses de la Vilaine et est, sans nul doute, très ancien. L'hypothèse chronostratigraphique repose sur l'interprétation des paléosols et de la nature des dépôts. L'industrie de Saint-Malo-de-Phily se placerait au début du Pléistocène moyen (stade isotopique 15, vers -550 000 ans).

L'Acheuléen est surtout connu en Bretagne par des trouvailles isolées de bifaces, voire de hachereaux sur éclats, parfois même sans contexte stratigraphique. Seul un site des Côtes-d'Armor (Planguenoual), peut être véritablement qualifié de "gisement acheuléen", ayant livré de nombreux bifaces taillés dans des blocs de grès lustré d'un faciès particulier à gros grains de quartz. Ces outils assez lourds ont des formes principalement amygdaloïdes et ovalaires.

Parallèlement à l'Acheuléen ont existé des industries archaïques à bifaces rares ou absents, dominées par les galets aménagés ; le type peut en être pris dans le gisement de Saint-Colomban à Carnac (Morbihan). L'habitat de Saint-Colomban était installé dans l'abri d'un couloir d'érosion marine, sur une plage ancienne, au début d'une période de régression. La fouille a montré en effet que le sol d'habitat se trouvait sur la couche sableuse recouvrant les gros galets, sans intercalation d'un quelconque dépôt de pente.

L'industrie de Saint-Colomban, la première du genre connue dans le nord-ouest de la France, a donc servi de type à la définition du groupe "colombanien". Elle est caractérisée par des outils à tranchant aménagé sur galets (choppers, chopping-tools, rares protobifaces ou bifaces de type abbevillien) associés à un outillage léger, sur éclats, assez fruste et de petites dimensions (encoches, denticulés). Le débitage levallois est pratiquement inexistant. Les éclats, à talon large et peu facetté, à bulbe saillant et angle d'éclatement très ouvert, rappellent le Clactonien britannique. Les choppers sont beaucoup plus nombreux que les chopping-tools et de types très variés (distaux, disto-latéraux, latéraux, anguleux, en forme de pointe...). L'outillage léger est peu standardisé, sur éclats souvent corticaux, dominé par les denticulés et surtout par les encoches qui sont souvent de type clactonien.

D'autres gisements ont été localisés entre l'ouest finistérien et Noirmoutier, justifiant la définition de ce faciès régional. C'est notamment le cas au sud du Cap Sizun (Finistère) où une succession de couloirs d'érosion marine et de grottes effondrées ont été occupés par ce groupe techno-culturel. Découvert en 1985, le gisement de Menez-Dregan 1 se situe sur la commune de Plouhinec.

Les premières campagnes de fouille ont montré la grande richesse du gisement et son potentiel d'information scientifique. Au moins trois niveaux, correspondant à des présences humaines bien distinctes dans le temps, s'intercalent entre les plages anciennes successives.

Les hommes préhistoriques ont laissé, à Menez-Dregan, des milliers d'éclats de roche taillée, d'une étonnante fraîcheur et produits selon des processus de débitage très simples. Il s'agit d'un outillage d'aspect archaïque comprenant des outils "lourds" et frustes constitués de galets à tranchant aménagé et d'outils "légers" peu standardisés, à base d'éclats portant des encoches et des denticulations. Les roches utilisées reflètent la variété des galets des plages sur lesquelles les hommes s'approvisionnaient. Il ne fait aucun doute que les hommes préhistoriques n'ont pu s'installer à Menez-Dregan qu'à l'occasion de retraits sensibles du rivage marin, probablement en début de périodes glaciaires (ces régressions marines sont bien connues au cours de l'ère Quaternaire); en effet, les sols d'habitat retrouvés par les archéologues étant situés directement sur les anciens cordons de galets, on en déduit que le niveau de la mer était forcément plus bas que l'actuel.

Un foyer, au sommet de la plage, a fourni de nombreux charbons de bois sous forme d'esquilles et de branchettes carbonisées, relativement bien conservées. D'autres traces d'aménagements semblent exister et comptent parmi les plus anciennes connues dans le Monde. Les premières datations effectuées à l'Institut de Paléontologie humaine (Paris) permettent d'avancer une date de près de 400.000 ans pour les niveaux les plus récents. La campagne 1993 a révélé la présence, exceptionnelle pour l'Ouest de la France, d'ossements associés aux outils en pierre taillée. Ces fragiles restes osseux sont réduits à un état de "pâte" et leur extraction demande des procédés très spéciaux et délicats. Ils témoignent des restes de gibier chassé et consommé par les hommes de Menez-Dregan il y a plus de 4000 siècles.

Le Paléolithique inférieur armoricain, dont les premiers témoins semblent se situer vers 600000 ans, se développe donc principalement dans la seconde moitié du Pléistocène moyen. Sa répartition géographique est liée aux dépôts de cette période. Deux groupes se distinguent nettement : un Acheuléen assez classique et le Colombanien à caractères archaïques. Leur signification et leurs rapports sont en cours d'étude.

 

Le paléolithique moyen dans le Massif Armoricain

 

Il est désormais évident que le Paléolithique moyen a débuté bien avant le dernier interglaciaire et que des industries en tous points semblables au Moustérien ont existé au moins depuis le stade isotopique 9. Le Paléolithique moyen s'est donc développé durant plus de 250 000 ans. En Bretagne il est surtout répandu le long de la côte nord et comprend schématiquement, et sans doute un peu artificiellement, trois groupes principaux:

- des industries à outils bifaciaux où ces pièces (bifaces vrais, bifaces partiels, racloirs à retouche biface...) sont prépondérantes qualitativement et quantitativement, vis à vis du reste de l'outillage sur éclats

- des industries à bifaces peu nombreux, associés à un outillage ordinaire de bonne facture

- des industries sans bifaces.

Le groupe des industries à outils bifaciaux dominants a été défini à partir des grands ateliers de taille du grès lustré, découverts au siècle dernier (Bois-du-Rocher à la Vicomté sur Rance, Clos-Rouge à Saint-Hélen, Kervouster à Guengat...).

L'outillage du Bois-du-Rocher est essentiellement en grès lustré (le silex est quasi absent et le quartz ne représente guère plus de 1%). Le débitage levallois est peu développé. L'outillage "bifacial" est essentiellement réalisé à partir d'éclats ; il est composé de bifaces vrais et de pièces dont la totalité des bords n'est pas retouchée (bifaces partiels). En outre le procédé de façonnement, de type "plano-convexe", aboutit souvent à des outils proches des racloirs à retouche biface. Le reste de l'outillage du Bois-du-Rocher est, dans l'ensemble, plus fruste. Les racloirs, la plupart façonnés sur un seul bord (racloirs simples), sont moyennement représentés ; ceux à retouches sur face plane sont nombreux. Les outils de type Paléolithique supérieur (grattoirs, burins...) sont assez fréquents. Les encoches et les denticulés sont abondants.

Une succession de campagnes de fouilles (de 1974 à 1977) a permis de connaître la structure du gisement de Kervouster. L'intérêt le plus évident fut de révéler une succession de niveaux d'occupation stratifiés, au travers desquels put être discernée une évolution des outillages lithiques.

Le site de Tréissény (Kerlouan, Finistère) se trouve aujourd'hui sous le niveau des plus hautes mers. L'habitat paléolithique se place donc dans une phase régressive. Il était installé sur le sable d'une plage ancienne dont l'âge remonte au dernier interglaciaire sensu lato (cf Formation de la Haute-Ville : stade isotopique 5, entre 125000 et 75000 ans). L'industrie, en silex cette fois, est caractérisée par des outils bifaciaux faits sur éclats ou fragments de galets, souvent de petites dimensions. Ces pièces, bifaces partiels ou racloirs à retouche biface, représentent près de 30% de l'outillage ; leurs contours sont principalement ovalaires, amygdaloïdes et cordiformes. Un trait particulièrement intéressant est la présence de pièces à tendance foliacée. Le reste de l'industrie est de médiocre facture, comprenant surtout des racloirs et fort peu d'encoches et de denticulés.

La station de Traou-an-Arcouest (Ploubazlanec, Côtes-d'Armor) est également en situation d'estran. La matière constituant l'industrie est le microgranite et le silex, avec accessoirement la dolérite, le tuf, le quartz, le grès et les phtanites. L'outillage bifacial est le mieux connu, dominé ici encore par les produits ovalaires, cordiformes et amygdaloïdes. L'existence d'un biface trouvé en place dans la falaise permet de proposer une datation géologique (début du stade isotopique 3, vers 60000 ans).

Tout proche et mieux conservé, le gisement de Karreg-ar-Yellan, a fait l'objet de plusieurs campagnes de fouilles (1981-1986). Celles-ci semblent avoir démontré le lien avec le site précédent, tant au point de vue de l'industrie que de la position stratigraphique. Il s'agit d'un campement installé à l'abri d'un grand rocher, un ancien écueil aujourd'hui relié à la terre par un double cordon de galets enfermant un étang saumâtre. Ce site naturel remarquable est aussi un bel exemple d'habitat du Paléolithique moyen sur le littoral nord de la Bretagne. Une partie du gisement s'étend sous la plage actuelle ce qui, une fois encore, démontre la variabilité du niveau de la mer au cours de la période paléolithique. Le site fut choisi par l'homme à plusieurs reprises puisque les niveaux supérieurs renferment une couche du Paléolithique supérieur, elle-même en partie excavée par un établissement protohistorique (four à sel de la fin de la période gauloise). Nous n'avons pas affaire, au Paléolithique moyen, à un habitat véritablement structuré ; toutefois l'étude de la répartition planimétrique des types d'outils laisse entrevoir des localisations qui ne sont sans doute pas aléatoires et traduisent des aires d'activité spécialisées. L'industrie de Karreg-ar-Yellan se caractérise globalement par un faible débitage levallois, des racloirs en proportion moyenne, de facture assez médiocre, souvent sur face plane ; les outils à bords retouchés convergents (racloirs convergents et déjetés, pointes moustériennes) sont rares ou absents. Ici encore ce sont les outils bifaciaux qui constituent le trait dominant, même si leur nombre reste proportionnellement limité.

Des outils bifaciaux apparaissent, de manière plus discrète, dans d'autres industries moustériennes. Le gisement de Grainfollet à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine) a été découvert et fouillé au début des années cinquante par P.R. Giot. Il s'agit d'un abri en pied de falaise marine situé sous le niveau des plus hautes mers actuelles, typique de la côte nord-armoricaine. Bien exposée (sud-ouest), la falaise entaillée dans des schistes métamorphiques de teinte sombre a certainement joué un rôle thermique appréciable, accumulant la chaleur le jour et la restituant la nuit. Son profil dessine un double surplomb qui offre un abri assez correct. Au pied même de la falaise, au point le plus reculé et le mieux protégé, était installé un grand foyer, vraisemblablement creusé dans le sol. Des charbons de bois et des débris d'os brûlés se mêlaient à la matière cendreuse ; l'outillage lithique était particulièrement concentré dans et autour de ce foyer.

 

Un second foyer, moins important, semble avoir existé par devant le surplomb, à l'extérieur de l'abri proprement dit. Une large zone, peut-être une aire réservée au dépeçage et/ou aux déchets, était riche en fragments d'ossements d'animaux. Du fait de leur mauvais état de conservation, seuls trois genres ont pu être reconnus : le mammouth, le cheval et le cerf. L'industrie est principalement en silex, mais le quartz local et le grès lustré ont été aussi taillés. Il s'agit d'une série importante (près de 1700 outils, plus les éclats ordinaires). Le débitage levallois est présent sans excès (moins de 19%). De nombreux éclats levallois n'ont pas été transformés. L'outillage est, dans son ensemble, de bonne facture. Les racloirs se sont pas en proportion très importante (moins de 30%), concurrencés par le groupe des encoches et denticulés, mais ils sont de belle facture et de types variés. Les outils à bords retouchés convergents, notamment les pointes moustériennes, sont bien représentés. Bien que discrets par leur nombre (guère plus de 1%) les bifaces sont néanmoins une caractéristique notable du gisement de Grainfollet. Ce sont des pièces façonnées à partir de galets de silex, de quartz ou de grès lustré, de formes lancéolées ou micoquiennes, donc très différents des outils moustériens. L'âge du gisement est difficile à établir. Les interprétations anciennes faisaient état d'une occupation au début de la dernière glaciation. Mais un réexamen de la géométrie du site par rapport aux dépôts limoneux conservés dans le voisinage et l'étude approfondie du site des Gastines, peu éloigné, suggère un âge anté-éemien. L'industrie de Grainfollet, de type moustérien dans son ensemble, mais accompagnée de quelques bifaces de type acheuléen, correspondrait à l'Epi-acheuléen du Nord de la France.

Le gisement de Piégu (Pléneuf-Val-André, Côtes-d'Armor), d'abord connu par des ramassages de surface, sur l'estran, a fait l'objet d'un grand chantier de fouille en 1987. Les travaux ont révélé une succession stratigraphique complexe et originale, ainsi que la présence de deux ou trois phases d'occupation paléolithique : tout d'abord, à la base, un vieux platier marin jonché de quelques galets, témoin d'une première transgression (stade isotopique 11 ?) ; par-dessus, des éboulis de blocailles, puis une seconde plage ancienne (stade 9 ?), formée de galets, se prolongeant par un dépôt dunaire sans doute mis en place en début de régression ; par-dessus encore un second manteau d'éboulis grossiers. L'ensemble de ces couches est entaillé en falaise au cours d'un troisième épisode marin trangressif qui y a laissé une plage de galets mêlés de coquilles de mollusques (stade 7 ?) ; le retrait du rivage, cette fois encore, s'est accompagné d'une formation dunaire venue combler le haut d'un vallon. Au sommet, la partie superficielle de la dune, encore calcaire, est déplacée (solifluxion) et coiffée par un paléosol bien marqué (stade 5 ?), lui-même recouvert par une coulée de blocailles et de loess remanié. Ce sont donc pas moins de quatre phases tempérées et autant de grandes périodes glaciaires qui se sont inscrites dans les dépôts de Piégu.

La présence humaine la plus ancienne mise en évidence sur le site de Piégu est vraisemblablement antérieure au stade 9, c'est à dire qu'elle remonte à plus de 325000 ans. Il s'agit d'un petit biface de type acheuléen roulé parmi les galets de la seconde plage fossile. Les vestiges les plus nombreux appartiennent au Paléolithique moyen ; ils ont été rencontrés d'une part dans un sol situé sur la seconde plage ancienne, et d'autre part dans les éboulis de blocailles accrochés au versant et qui sont nettement postérieurs. L'habitat en pied de falaise n'a livré que des silex taillés que l'on peut aisément rapprocher de la série ramassée antérieurement sur l'estran actuel. Les éboulis, au contraire, n'ont donné que peu de silex taillés, encore sont-ils bruts ou médiocrement retouchés. Il s'agit des éléments, glissés sur la pente, d'un site de boucherie primitivement situé en haut de la falaise, comme en témoigne la quantité d'ossements d'animaux retrouvés et dont beaucoup portent des stries de décarnisation. La faune représentée est caractéristique d'un milieu plutôt tempéré, avec proximité de la forêt mais aussi de biotopes steppiques ; elle comprend surtout des cerfs, des chevaux, des bovidés et de rares rhinocéros, également quelques loups. Les occupations humaines (Paléolithique moyen) se placent donc entre les stades isotopiques 9 et 7, soit entre 300000 et 200000 ans environ. L'industrie de l'habitat en pied de falaise est en silex. Elle est marquée par le débitage levallois (24%), avec notamment une importante production de pointes et beaucoup de produits bruts conservés. Parmi les outils retouchés, les racloirs sont dominants, de bonne facture et de types variés. Les outils à bords retouchés convergents sont bien représentés, bien qu'il n'y ait pas de vraies pointes moustériennes. Les bifaces sont absents.

Tout proche de Grainfollet, le site des Gastines (Saint-Père-Marc-en-Poulet, Ille-et-Vilaine) était installé dans un petit vallon affluent de la Rance. Il a livré une industrie apparemment aussi sans bifaces et que l'étude géologique a permis de dater d'une période nettement antérieure au dernier interglaciaire. La fouille a mis en évidence, bien individualisés dans ce petit campement de plein air, des postes de taille du silex et du quartz. L'outillage est peu marqué par le débitage levallois. Les racloirs sont faiblement représentés, quoique d'excellente facture. Les encoches et les denticulés sont nombreux. La présence des outils à bords retouchés convergents est bien affirmée.

Le gisement du Goaréva (Ile-de-Bréhat, Côtes-d'Armor) est un superbe abri en pied de falaise, situé lui aussi dans le voisinage de la paléo-vallée du Trieux. La paroi est constituée par l'une des épontes granitiques d'un filon de dolérite dont le creusement a laissé une dépression allongée qui fut occupée par l'homme préhistorique. Un léger surplomb et une bonne exposition (sud-ouest) en font un lieu de campement agréable. Le substrat de l'abri se trouve à peu près au niveau moyen des marées, de sorte qu'en vives eaux le gisement est ennoyé de plus de 4 m. Au moment de l'occupation du site, le niveau marin était donc sûrement inférieur au zéro actuel des cartes. En fait il est probable que l'accès de Bréhat à pied sec était possible, ce qui suppose, pour le rivage de l'époque, une régression au-delà de l'isobathe des 10 m. L'archipel bréhatin n'était donc qu'un ensemble de buttes rocheuses. Le Goaréva était sans nul doute un lieu d'habitat et d'observation privilégié, à proximité de la grande vallée ; des points d'eau, peut-être même un écoulement, devaient exister à la place de l'actuel chenal du Kerpont. La cavité naturelle, peut-être aménagée par l'homme, a pu faciliter la construction d'une cabane. La datation géologique convient d'un âge correspondant en gros au début du stade isotopique 3, c'est à dire vers 60000 ans. L'industrie est pour moitié environ en silex et pour moitié en dolérite prélevée sur le site même. Le débitage est faiblement levallois. Les racloirs sont de bonne facture et de types variés, mais peu abondants, associés à des encoches et à des denticulés particulièrement bien caractérisés. Les outils à bords retouchés convergents ne sont pas très fréquents.

Beaucoup plus classique est l'industrie du Mont-Dol. Le célèbre gisement d'Ille-et-Vilaine semble se situer en marge du Paléolithique armoricain. Le Mont-Dol est un grand rocher granitique qui s'élève brusquement au milieu de la vaste étendue plane du Marais de Dol. Il s'agit d'un ancien îlot situé en avant de la falaise morte qui s'étire depuis Pontorson jusqu'à Cancale. La station paléolithique se trouve à l'extrémité sud du tertre, abritée au pied de l'escarpement. Les vestiges archéologiques étaient conservés dans des coulées de blocailles et d'argile venues recouvrir une plage ancienne coiffée par un sol humifié. Par dessus, un dépôt fin et calcaire a contribué à la préservation des ossements. Divers arguments, d'ordre géologique et paléontologique, permettent de dater l'occupation humaine aux alentours de 100000 ans.

La grande faune du Mont-Dol comprend principalement des herbivores caractéristiques des vastes étendues herbeuses, tels le mammouth, le cheval, le rhinocéros laineux, le boeuf, le bison ; elle comprend aussi le cerf megaceros, le renne, le daim et le bouquetin. Des restes de carnivores sont présents avec l'ours des cavernes, l'ours brun, un grand lion, la Panthère, le renard, le blaireau et deux canidés, le loup et le cuon. Il est évident que ces vestiges ne traduisent qu'imparfaitement ce qu'était la faune de mammifères dans l'environnement du site, puisqu'il s'agit d'un choix exercé par l'Homme. Ils indiquent cependant à coup sûr l'existence d'un climat assez froid et humide et d'un paysage ouvert. La faune de petits mammifères comprend la marmotte, le campagnol des champs, le campagnol nordique, le campagnol des hauteurs, le rat taupier et le lemming gris des steppes. L'ensemble permet de décrire le paysage de l'époque comme une steppe herbeuse parsemée de petits bosquets et de forêts galeries abritant les espèces sylvicoles, associant des zones basses et marécageuses.

L'étude de l'état de conservation des ossements a montré diverses traces d'origne anthropique. Ce sont, outre les stries de décarnisation laissées par le tranchant des outils en silex, des stigmates de désarticulation, des fragments d'os brûlés et des os brisés intentionnellement (notamment parmi les os canons des chevaux).

L'industrie du Mont-Dol est en quasi totalité en silex. Elle est caractérisée par un fort débitage levallois, par des racloirs abondants, de types variés et d'excellente facture et surtout par un grand nombre d'outils à bords retouchés convergents, notamment de belles pointes moustériennes. Les encoches et les denticulés sont rares. L'importance numérique des outils retouchés (544 pièces) permet de conclure à une réelle absence des bifaces.

Le Paléolithique moyen est donc assez densément représenté sur le pourtour du Massif armoricain, avec une abondance particulière le long de la côte nord de la Bretagne, dans le domaine ligérien et au nord du Cotentin. Cette localisation tient à des facteurs géologiques (répartition des dépôts de la fin du Pléistocène moyen et du Pléistocène supérieur), écologiques (présence d'abris naturels, de zones favorables au gibier...) et aussi à l'existence de matières premières de bonne qualité (silex, grès lustré...). Le Paléolithique moyen armoricain apparaît fortement marqué par les industries à outils bifaciaux. C'est d'une part le groupe du Bois-du-Rocher, d'affinité plutôt centre-européenne, et d'autre part le groupe de La Trinité. Des traits "charentiens" se discernent plus ou moins nettement dans ces deux groupes. Les outillages sans bifaces semblent avoir une répartition plus marginale. Le Moustérien de type Ferrassie, en particulier, aurait une limite occidentale selon un arc jalonné par les gisements de Jersey, du Mont-Dol, de Saulges et de Roc-en-Pail. Le Moustérien de type Quina se cantonnerait sur la frange méridionale du vieux massif. Dans le Cotentin apparaissent des industries à faciès laminaire, assez comparables à celle de Seclin (Nord).

 

D'une manière générale, il semble que les populations du Paléolithique moyen armoricain aient manifesté une mobilité relativement faible, avec sans doute des déplacements de subsistance dans un rayon de 10 ou 20 km autour de camps plus ou moins permanents, ce qui n'exclut pas l'existence de haltes de chasse et de petits sites de boucherie.

 

Le paléolithique supérieur dans le Massif Armoricain

 

Le Paléolithique supérieur armoricain est moins répandu. Selon les données actuelles, il se localise d'une part dans le domaine littoral septentrional, entre le Léon et le Penthièvre, d'autre part dans le domaine ligérien, en Loire-Atlantique, Maine-et-Loire et Mayenne. Rares sont les gisements qui ont conservé des ossements et objets en os, de sorte que nous n'avons accès qu'à une information fortement tronquée, compte-tenu du contexte techno-culturel.

L'industrie d'Enez-Amon-ar-Ross (Kerlouan, Finistère) est, semble-t-il, un témoin du Paléolithique supérieur précoce armoricain, assimilé de manière plus ou moins justifiée au Périgordien inférieur ou Chatelperronien. Le gisement se situe dans une arène limoneuse qui peut dater du début du stade isotopique 2, si l'on admet que le glacis d'érosion sous-jaçent marque la base du Pléniglaciaire supérieur, la couche à industrie s'inscrivant déjà dans la dynamique loessique du Weichsélien supérieur. L'industrie y est fortement remaniée, sous forme de poches de solifluxion, et d'ailleurs très fragmentée par le gel. L'occupation humaine se placerait donc un peu avant, vers la fin du stade 3, soit aux alentours de 35000/40000 ans. Enez-Amon-ar-Ross est aujourd'hui un îlot accessible à pied sec à marée basse. A l'époque, c'était une simple butte sur la rive droite d'une vallée et le petit campement paléolithique s'y abritait entre les rochers si caractéristiques du Pays pagan. L'industrie, essentiellement en silex, est marquée par un fort débitage laminaire. Les outils sont, dans l'ensemble, très atypiques, avec en outre un fond commun mal dégagé des influences du Paléolithique moyen. La série est largement dominée par les encoches et les denticulés, avec d'assez nombreux racloirs qui n'ont cependant plus la qualité et la variété de ceux du Moustérien. Les grattoirs sont peu abondants et très atypiques. Les burins, en pourcentage sensiblement égal à celui des grattoirs, sont surtout dièdres, sur cassure ou sur bord naturel et sont toujours très atypiques. Les seuls outils caractéristiques sont des fragments de pièces à dos proche du Couteau du type Audi ou de la Pointe de Chatelperron. L'industrie d'Enez-Amon-ar-Ross n'est déjà plus du Paléolithique moyen, mais reste extrêmement malhabile.

L'origine de ce Paléolithique supérieur initial peut se rechercher dans le groupe des moustériens à outils bifaciaux (Groupe du Bois-du-Rocher). En effet, à Kervouster, l'évolution typologique des industries se marque de bas en haut par une quasi disparition des bifaces et par une augmentation quantitative et qualitative des outils de type Paléolithique supérieur. L'industrie d'Enez-Amon-ar-Ross, d'affinités chatelperroniennes, conserve de nombreux éléments archaïques, ce qui peut être le signe d'une période de déstabilisation techno-culturelle. Les deux ensembles paraissent donc se situer dans une phase de transition entre le Paléolithique moyen et supérieur, mais la part de l'évolution strictement locale et celle de l'acculturation reste à évaluer.

La station de Beg-ar-C'hastel (Kerlouan) est aussi un petit campement installé entre les rochers qui hérissent un versant sur la rive droite de la Quélimadec. L'industrie, en quasi totalité en silex, est caractérisée par un débitage fortement laminaire, avec en outre de nombreuses lamelles. Les grattoirs sont peu nombreux), dominés par les burins. Parmi les grattoirs se trouvent des formes carénées, à retouches lamellaires , courts et épais. Les burins sont en majorité dièdres. Il y a quelques outils composites (grattoir et burin associés sur un même support, par exemple), de nombreuses lames retouchées souvent à retouches marginales, des lames et lamelles tronquées. Les encoches et denticulés restent fréquents ce qui confère à l'ensemble un aspect archaïque. Mais la caractéristique principale de l'industrie de Beg-ar-C'hastel tient dans l'abondance des lamelles Dufour, éléments quasi microlithiques à fines retouches latérales. A noter la présence de deux pièces à dos (proches de la Pointe de Chatelperron) qui viennent confirmer le rapprochement avec certains aurignaciens primitifs connus en d'autres régions. Le niveau d'occupation humaine se situe dans une couche sablo-limoneuse datant probablement de la fin du stade isotopique 3.

Un autre témoin de l'Aurignacien en Bretagne septentrionale nous est fourni par le site de Beg-Pol à Brignogan (Finistère). Il s'agit d'une petite série lithique comprenant de bons grattoirs sur lames, dont des formes carénées et quelques burins.

La fouille du site de Plasenn-al-Lomm (Ile-de-Bréhat, Côtes-d'Armor) a mis au jour un vaste habitat avec d'intéressantes structures, vestiges d'un campement situé sur une plateforme dominant la paléo-vallée du Trieux. Un abri relatif était fourni par de grands rochers. Certains assemblages de blocs peuvent être interprétés comme des calages de poteaux, suggérant la présence de huttes ovalaires. Tout laisse penser que nous avons affaire à un habitat de courte durée, peut-être saisonnier. Le caractère laminaire de l'industrie est assez peu marqué. Les grattoirs sont rares. Par contre les burins sont extraordinairement abondants, ce qui dénote plutôt des activités spécialisées que des traits culturels. Ce sont des outils robustes dans l'ensemble, avec des bords latéraux souvent retouchés et avec de fréquentes traces de réavivages. Les formes sur troncature oblique sont caractéristiques du gisement. La position stratigraphique correspond à la base du loess de couverture et l'occupation humaine se placerait donc au début du stade isotopique 2, entre 20000 et 25000 ans. Ceci peut surprendre du fait des conditions climatiques rigoureuses à cette époque, mais l'état de gélifraction des silex confirme que le froid fut très intense avant l'enfouissement. L'industrie de Plasenn-al-Lomm ne présente pas d'affinités bien nettes avec les grands groupes classiques. Bien que les conditions de gisement excluent un mélange de couches, des traits périgordiens et aurignaciens semblent se superposer.

Bien que discret, le Paléolithique supérieur armoricain est aujourd'hui clairement attesté, même si ses industries osseuses sont quasi inconnues. Il se révèle souvent par des outillages lithiques extrêmement spécialisés ou atypiques. Les formes classiques n'apparaissent guère que sur les marges ou dans le domaine ligérien. La rareté des gisements, qui s'explique au moins en partie par l'érosion qui a accompagné la remontée du niveau marin au post-glaciaire, peut aussi être due à la rareté du silex (exigence plus grande au Paléolithique supérieur quant au choix de la matière première) et au manque d'abris naturels à des périodes particulièrement rigoureuses. Il est d'ailleurs notable que ce sont les phases anciennes et finales du Paléolithique supérieur qui sont les mieux représentées (le vide coïncidant assez bien avec le maximum du froid) et que seul le petit karst de la vallée de l'Erve a donné une séquence assez complète).

Jean Laurent MONNIER

Directeur de Recherche

UPR 403 du CNRS, Université de Rennes 1

Conférence de la S.A.H.P.L. du 5 mars 1994

 

Références bibliographiques:

MONNIER J.L., 1980 - Le Paléolithique de la Bretagne dans son cadre géologique. Trav. Labo. Anthropologie, Rennes, 597 p.

MONNIER J.L., 1991 - La Préhistoire de Bretagne et d'Armorique. Les Universels Gisserot, Editions Jean-Paul Gisserot, 123 p., 11 pl.

 

Légendes des figures

(les liens donnent accès directement aux figures)

Fig. 1 : Courbe isotopique du quaternaire

Fig. 2 : Paléolithique inférieur - en haut : Saint Colomban (choppers et éclats retouchés) - en bas : La Ville-Rein (bifaces)

Fig. 3 : Paléolithique moyen à outils bifaciaux - en haut : La Trinité - en bas : Bois du Rocher (bifaces sur éclats)

Fig. 4 : Paléolithique moyen - en haut : Grainfollet (outils sur éclats et bifaces micoquiens) - en bas : Mont-Dol (outils sur éclats)

Fig. 5 : Paléolithique supérieur - en haut : Plasenn-al-Lomm (grattoirs et burins) - en bas : Beg-ar-C'hastel (grattoirs, burins et lamelles Dufour)

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1

Fig 1: Courbe isotopique du quaternaire
Fig 2: Paléolithique inférieur: Saint-Colomban en haut, La Ville-Rein en bas Fig 3: Paléolithique moyen: La Trinité en haut, Le Bois-du-Rocher en bas Fig 4: Paléolithique moyen: Grainfollet en haut, Le Mont-Dol en bas Fig 5: Paléolithique supérieur: Plassen-al-Lomm en haut, Beg-ar-C'hastel en bas
Figure 2 Figure 3 Figure 4 Figure 5

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