1790 - 1800 LES CHOUANS ANTIREVOLUTION,
CONTREREVOLUTION
|
Jacques Sotéras (1) Professeur d'Histoire au Lycée Dupuy de Lôme à
Lorient Conférence de
Il
est apparu intéressant d'utiliser ces deux concepts Antirévolution
et Contrerévolution, proposés par les chercheurs ces dernières
années, comme grille de lecture de
Ces
deux concepts présentent deux avantages : q Ils
permettent de contrecarrer l'historiographie traditionnelle trop
monolithique et caricaturale, qu'elle soit Blanche
(thèse du soulèvement spontané pour la défense du Roi
et de q Ils
permettent d'introduire de nombreuses problématiques qui ouvrent de
nouveaux champs d'investigation. Il est difficile d'échapper à une
lecture chronologique des évènements, qui, seule, permet de cadrer les
différentes phases des révoltes, d'en dresser une typologie au niveau
de leur déroulement, de leur causalité immédiate et de leurs acteurs. Le
front anti nobiliaire de l'automne 88 et du printemps 89 regroupant le Tiers
Etat urbain et rural ne doit pas faire illusion : il est, en réalité,
fragile et deux problèmes fondamentaux, la question frumentaire et le
contrôle du pouvoir local, vont progressivement le fissurer. A la fin
de l'été 1789, le peuple des villes et des campagnes - des troubles se
multiplient à Fougères, Vitré, Ploërmel, Carhaix, Lannion, Quimperlé
- est en effervescence et s'oppose à la libre circulation des grains,
au commerce spéculatif pratiqué par les laboureurs vendeurs de céréales
et les marchands blatiers. 1790 - 1792
- Anti et Contre Révolution,
deux courants parallèles Toute
la paysannerie, qu'elle soit riche ou pauvre, va se désolidariser de la
bourgeoisie qui apparaît comme
la nouvelle classe dominante. Les mendiants ou journaliers ne bénéficient
plus de l'aumône de l'église privée de la dîme. Les laboureurs se
sont heurtés aux riches bourgeois qui ont acquis les plus beaux lots
parmi les biens du clergé mis en vente. A la tête des nouvelles
municipalités rurales, ils n'acceptent pas la tutelle administrative
imposée par les municipalités urbaines à la faveur d'un
alourdissement considérable des circulaires, procédures et tâches inhérentes
à la mise en place d'une nouvelle administration. L'affaire
Nédelec de juillet 1792, dans la région de Fouesnant, illustre
clairement cette opposition de la paysannerie aisée aux empiètements
du pouvoir urbain jugé insupportable. Gros laboureur, Alain Nédelec
est élu juge de paix de son canton en 1790. Il refuse de siéger sous
prétexte qu'il n'a pas reçu sa nomination signée par le Roi. Il empêche
l'élection d'un nouveau juge. Face aux réactions des autorités du
district qui veulent l'arrêter, il réplique en organisant un soulèvement
armé. La garde nationale de Quimper et un renfort militaire venu de
Brest devront être envoyés sur place pour calmer la révolte.
L'affaire Nédelec est très révélatrice d'un conflit opposant l'élite
paysanne frustrée dans ses ambitions à la bourgeoisie qui, elle, a
accaparé le pouvoir politique à tous les échelons. La référence à la signature royale est le seul recours qui permette à cette élite
paysanne de préserver son pouvoir local tout en dénonçant les
exigences jugées exorbitantes de Le
glissement de la paysannerie vers l'Antirévolution va se trouver
conforté dès l'automne 1790, par le basculement du bas clergé breton
jusque-là favorable à Les
évènements de Vannes de février 1791 montrent bien la rencontre et la
fusion de ces deux courants antirévolutionnaires. Le 5 février, 200 à
300 paysans de 6 cantons déposent une pétition au directoire du
district d'Auray où s'entremêlent les revendications économiques ou
religieuses ; elle a vraisemblablement été rédigée par un membre du
clergé. Le 7 février, nouveau rassemblement à l'entrée de Vannes et
dépôt de nouvelles pétitions. Les autorités départementales réagissent
par la proclamation de la loi martiale et une demande de renforts à
Lorient qui dépêche 5 canons et 1 300 hommes pour la plupart gardes
nationaux. Parmi eux, les "jeunes gens" au zèle fougueux, qui
vont se rendre au collège, pour imposer au principal et au régent, le
port de la cocarde tricolore ; de là, ils se dirigent vers l'évêché
où Monseigneur Amelot, saisi de panique, s'enfuit par les jardins. Ces
interventions musclées heurtent les paysans, qui, croyant l'évêque
prisonnier, se dirigent en masse (au nombre de 3 000) vers la ville, au
matin du 13 février. Une fusillade éclate, les dragons
"Orientais" tuent 4 paysans et font une trentaine de
prisonniers très représentatifs de l'ensemble de la société rurale
(22 agriculteurs, 5 artisans, 2 marchands, 1 cabaretier, 2 curés). Il
ressort des interrogatoires que la révolte a pour objet principal la
libération de l'évêque "prisonnier" ; mais il apparaît
aussi assez clairement que les paysans veulent en découdre avec les
autorités du district, du département et les patriotes lorientais dont
ils n'acceptent pas l'ingérence brutale ; ils refusent qu'ils leur
imposent, par la force, des conceptions révolutionnaires dont ils se détachent
de plus en plus. Complot
de De
leur côté, les nobles bretons ne restent pas inactifs. Ceux qui n'ont
pas émigré se sont retirés dans leurs châteaux où ils préparent
des complots ; ils se regroupent pour tenter un soulèvement, en juin
1791, lors de la fuite du Roi, au château du Pré-Clos près de
Malestroit ; mais ce rassemblement est facilement dispersé par la garde
nationale de Lorient. Plus sérieuse sera la conjuration du marquis de 1793, Dès
le mois de juillet 1792, les paysans commencent à se révolter, dans
les Côtes du Nord, le Finistère et le Morbihan contre la "levée
des volontaires" qui vient d'être instaurée par suite de
l'insuffisance du nombre d'engagements. La grande insurrection paysanne,
au sud comme au nord de En
Bretagne, la révolte est plus discontinue, surtout dans les Côtes du
Nord et le Finistère ; sont touchés toute Vendée
: l'Antirévolution fait appel
à 1794 - 1801
: Association
Anti et Contrerévolution Les
Chouans ne rassemblent que de modestes effectifs : dans les forêts de
Laval, Fougères, Vitré et Rennes, 3 bandes ne dépassant pas
15 000 hommes : pas plus de 1 500 hommes pour attaquer une ville
; on est donc loin d'une mobilisation générale ; ils sont minoritaires
au milieu d'une population pas toujours complice et alliée. Ils se
recrutent parmi les rescapés de L'observation
globale d'une carte de Jean
Meyer a remarquablement démontré que les soulèvements Chouans
interviennent dans les zones où le prélèvement nobiliaire n'est ni
trop fort ni trop faible (entre 20 et 30 % de revenu rural) ce qui
permet aux seigneurs d'exercer une influence encore solide sur les
paysans qui ne la rejettent
pas ou qui ne l'ignorent pas.
Le chômage (les faux sauniers dans les régions limitrophes de
la province), la misère, interviennent également. En Ille et Vilaine,
la plupart des paroisses patriotes sont plus riches que la moyenne des
autres communes du département. L'attitude
du clergé local a dû, elle aussi, être déterminante. Les prêtres
constitutionnels entraînent, derrière eux, l'adhésion de leurs
paroisses (ex. : district de Première Chouannerie
- Mars 1794-Avril
1795 Après
le soulèvement de mars 93, le calme a été maintenu en Bretagne, par
une politique de terreur appliquée par les représentants en mission
impitoyables comme Prieur de Après
la chute de Robespierre (juillet 94), les patriotes modérés, de retour
au pouvoir, cherchent l'apaisement et préparent l'amnistie générale.
Des pourparlers s'engagent entre Hoche et de Cormatin, le second de
Puisaye. Ils aboutissent à la paix de Seconde Chouannerie
- Juin 1795-Mai
1796 Cette
nouvelle phase est essentiellement marquée par le débarquement à
Quiberon, le 27 juin, 1795, d'une armée de 5 437 hommes soldés, équipés
et transportés par les Anglais ; composée surtout d'officiers émigrés,
elle a été complétée par le recrutement forcé de prisonniers de
guerre républicains, libérés des effroyables pontons anglais. La
jonction est établie avec les Chouans du Morbihan qui accourent en
masse vers la plage du débarquement à Carnac, où ils sont pris en
charge, encadrés, armés, habillés d'uniformes rouges. Mais cette
gigantesque expédition va lamentablement échouer à cause des
divisions, de l'impéritie de l'Etat-Major et des intrigues sournoises
qui affaiblissent le camp royaliste : deux chefs se disputent le
commandement, le monarchiste constitutionnel comte de Puisaye investi
par les Britanniques et le monarchiste intransigeant comte d'Hervilly
reprochant au premier ses compromissions avec Mais
ce succès arrive trop tard, Hoche, le commandant en chef des troupes républicaines,
a eu le temps de se ressaisir, de s'organiser, de rassembler des
renforts. Les avant-gardes chouannes sont refoulées à l'intérieur de
la presqu'île dont l'entrée, au pied de la colline de sainte Barbe,
est bloquée par la construction d'un gigantesque retranchement de Après
le désastre de Quiberon, la guérilla reprend, mais la contrerévolution
en sort divisée et diminuée. Chaque bande revient sur son territoire,
reprend l'initiative et agit séparément. Puisaye et certains nobles se
sont discrédités aux yeux des Chouans par leur incompétence et leur mépris
de la plèbe rurale. Le relais du commandement va parfois être repris
par une élite roturière dynamique - Georges Cadoudal dans le Morbihan
- en prise directe avec les communautés rurales dont elle traduit les
frustrations et exprime fidèlement les idéaux et aspirations. Fort
de son succès, Hoche, commandant l'armée des Côtes de l'Océan, réduit
Troisième Chouannerie
- 1798-1801 Le
succès électoral des monarchistes va provoquer un coup d'Etat, en
septembre 1797, des patriotes extrêmistes. Le Directoire est épuré,
12 députés royalistes arrêtés et, surtout, les élections annulées
dans 49 départements, dont tous ceux de l'Ouest. La persécution
religieuse reprend, les prêtres réfractaires à nouveau déportés.
C'en est trop, ce retour
brutal des méthodes terroristes va à nouveau exaspérer les
populations paysannes ; la troisième chouannerie, dirigée par Georges
Cadoudal, reprend dans le Finistère, les Côtes du Nord, le Morbihan et
s'étend en Normandie jusqu'en Eure-et-Loir. En 1799, le retour de la
conscription et la loi des otages qui touche les parents et les communes
abritant les Chouans relancent le recrutement. Les défaites militaires
du Directoire donnent un dynamisme nouveau à Le
coup d'Etat de Bonaparte (novembre 1799) et la mise en place d'une
politique conjuguée de fermeté et de tolérance vont porter un coup décisif
à la chouannerie ; Cadoudal dépose les armes en février 1800. La
signature du Concordat, en juillet 1801, en instaurant la paix
religieuse, apaise les paysans antirévolutionnaires qui rentrent chez
eux. qqq Le
déroulement de cette période historique, aux soubresauts mouvementés,
devrait conduire à une lecture nuancée et à une interprétation
pleine de circonspection d'une phase complexe dont les enjeux multiples,
qu'ils soient politiques, militaires, religieux, économiques, se sont
enchevêtrés et interpénétrés si rapidement et brutalement qu'ils
ont provoqué des réactions violentes de refus collectif. La mythologie
simplificatrice et réductrice, qui s'est élaborée au 19è siècle, ne
devrait plus avoir cours aujourd'hui, à la lumière des recherches récentes
qui ouvrent des perspectives nouvelles et permettent, grâce à des
champs d'investigation plus pointus et approfondis, de tenter une
approche plus fine des comportements collectifs et individuels : si les
contrerévolutionnaires se battent pour Jacques Sotéras (1) Professeur d'Histoire au Lycée Dupuy de Lôme à
Lorient Conférence de (1)
L'auteur a participé à la rédaction d'un ouvrage collectif "Révolution
et Bretagne" (P.U.R. - Université de Rennes 2 - Haute
Bretagne)
Etat de
Furet (F.) et Ozouf (M.), Dictionnaire
critique de
Sole (J.),
Tulard (J.), Histoire et
Dictionnaire de Antirévolution,
Contrerévolution
Chaussinand-Nogaret (G.) - Petitfrère (Cl.), Deux
cents ans de
L'Histoire,
numéro spécial N° 113, 1988
Le Refus de
Les Rebelles de l'Ouest,
pp. 78-85
Chiappe (J.F.), Georges
Cadoudal ou
Dupuy (R.), De
Garnier (R.), Hoche,
Payot, 1986
Lambert (H.), Pour Dieu
et pour le Roi ou l'inutile
sacrifice, Quiberon juin-juillet 1795, Edition Marque-Maillard,
1987
Lebrun (F) - Dupuy (R.), Les
Résistances à
Le Falher (J.), Etude sur
Martin (J.C.), collectif, Vendée
chouannerie, Reflet du Passé, 1981
Rieux (J.),
Services Educatifs des Archives Départementales du Finistère,
Services Educatifs des Archives Départementales du Morbihan, Le Morbihan pendant
Service Educatif des Archives Départementales du Morbihan, Cadoudal
et
Hoche en Morbihan,
catalogue de l'exposition, mars-mai 1975
Skol Vreizh, Histoire de
Vidalenc (J.), L'affaire
de Quiberon-thermidor-messidor an III, Poitiers, extrait des Actes
du 87ème Congrès National des Sociétés Savantes, 1962
"Les débarquements royalistes en Bretagne 1795", in
Revue internationale d'histoire militaire
|