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 L’APPORT DU LABORATOIRE

DE SCIENCES DES MATERIAUX A L’ETUDE 

ET LA CONSERVATION DES OBJETS ANCIENS

   

Guy Saindrenan

Professeur émérite

Ecole polytechnique de l’université de Nantes.

 

 

La lecture sûre et approfondie des objets anciens est une préoccupation qui, lorsqu’elle aboutit, permet de comprendre les hommes et la civilisation à laquelle ils appartenaient. Elle permet aussi une mise en perspective de la connaissance humaine qui apporte un peu d’humilité dans notre analyse du « progrès » scientifique et technique. L’étude des objets anciens est une des missions de l’archéologie. Cette étude se heurte à un certain nombre de difficultés inhérentes aux objets eux-mêmes :

·      Leur état de conservation,

·      La présence d’une gangue ou de produits de corrosion étrangers à l’objet initial,

·      L’unicité de l’objet qui interdit toute analyse destructive…

 L’étude de l’objet métallique est particulièrement intéressante puisque le métal n’est généralement pas un produit naturel (sauf l’or et le platine) et qu’il suppose d’avoir été élaboré avant d’être mis en forme pour son utilisation. La compréhension de l’objet métallique est donc riche d’informations sur la maîtrise et l’état d’avancement des connaissances scientifiques et techniques d’une civilisation.

 Les méthodes d’analyse de la physique délivrent une information objective indépendante de l’âge des pièces. Aux incertitudes de mesures près, la datation par les radioéléments par exemple constitue un formidable outil d’accès à l’âge d’un objet (ou d’un être). D’autres méthodes, moins médiatisées mais tout aussi pertinentes, peuvent apporter les certitudes de la physique à l’archéologie plus spéculative dans sa démarche et ses méthodes.

La conférence a pour objectif d’illustrer ce propos à partir de quelques exemples choisis parmi ceux qu’a eu à connaître le Laboratoire de Génie des matériaux et des procédés associés de l’Ecole polytechnique de l’université de Nantes, à savoir :

·      L’étude métallurgique d’une hache à douille armoricaine qui a apporté des informations remettant en cause la constitution chimique de ces objets ;

·      L’expertise de médailles qui a permis de reconstituer l’endommagement qu’elles ont subi et par voie de conséquence, d’en déterminer la cause ;

·      Une méthode simple, mise au point au laboratoire, qui permet de restituer à des objets en plomb fortement corrodés, un lisibilité qu’ils avaient perdue.

 Les travaux objets de ces études ont fréquemment été réalisés par des étudiants, sous la responsabilité d’enseignants, dans le cadre d’une pédagogie active visant à développer l’autonomie des élèves-ingénieurs.

 

1.   Etude métallurgique d’une hache à douille armoricaine

 

Figure 1 : Hache à douille armoricaine.

       Les haches à douilles armoricaines sont des objets élaborés vers -1500, à la fin de la période dite âge du bronze (figure 1) ; les sites de découverte sont essentiellement concentrés sur le massif armoricain. Ces objets, sont énigmatiques à plus d’un titre :

·      on les trouve fréquemment en très grand nombre et soigneusement rangées dans leurs sites d’enfouissage ( figure 2),

·      elles ne présentent jamais la moindre trace d’utilisation (affûtage, traces de chocs…),

·      l’alliage constitutif de type bronze contient du plomb en proportions variables selon les objets et qui est fréquemment majoritaire relativement au cuivre et à l’étain, métaux constitutifs des bronzes.

 

Figure 2 : Reconstitution de la disposition des haches découvertes dans un gisement (cliché J. Briard).

Les archéologues pensent que ces haches inutilisées et, inutilisables en raison de leurs propriétés mécaniques inadaptées à leur usage prévisible, sont des objets à fonction monétaire : La grande quantité de haches à douille recueillies de nos jours reste difficile à expliquer. La nature des alliages, la mauvaise qualité de la coulée hétérogène de ces haches sans tranchant affutable les rendaient impropres à tout usage. La théorie d’objet de troc, de prémonnaie semble la plus logique. (Pierre-Roland Giot, Jacques Briard, Louis Pape PROTOHISTOIRE DE LA BRETAGNE Ouest-France Université, Rennes 1979).

Une de ces haches a été découpée selon son plan de symétrie. Les observations à diverses échelles et par des techniques appropriées ont permis d’effectuer les constatations suivantes (les techniques utilisées sont mentionnées entre paraenthèse) :

·      l’objet, obtenu par fonderie, présente une structure sandwich visible à l’œil nu, constituée d’une couche centrale de couleur gris sombre enserrée de deux couches externes de couleur plus claire qui étaient au contact du moule et du noyau de fonderie.

·      Outre le plomb, le cuivre et l’étain présents dans l’alliage, l’oxygène est présent à hauteur de 2,27 % en masse, ce qui revient à dire, compte tenu de sa faible masse atomique, qu’un atome sur 4 du matériau constitutif de la hache est un atome d’oxygène (analyse chimique ).

·      Cet oxygène est associé au plomb sous la forme de l’oxyde PbO et dans une moindre mesure au cuivre (Cu2O) (diffraction des rayons X).

·      Le soufre (0,25%) présent dans l’alliage est associé au cuivre sous la forme de sulfure Cu2S qui apparaît à l’état dendritique (microanalyse à sonde électronique). Ce constituant s’est donc formé à partir de l’état liquide ; fondant à 1250 °C, il atteste que le métal avant coulée était au minimum à cette température.

De ces divers examens, on peut donc confirmer que la hache a été mise en forme par fonderie, la présence de nombreuses dendrites en atteste et que la température de foyer était au minium de 1250°C. Cette précision n’est pas sans importance s’agissant de connaître les performances thermiques des fourneaux utilisés par les métallurgistes de l’époque. S’agissant de la nature du matériau, elle est plus proche d’une céramique que d’un métal puisque 60% environ du volume de la pièce est constitué d’oxyde. Cet oxyde qui apparaît à l’état dendritique s’est formé lors de la solidification et n’est aucunement le résultat de la corrosion. Doit-on encore parler de bronze pour qualifier un tel matériau qui d’ailleurs ne contient pratiquement pas d’étain (0,48%) ? Ceci explique aussi les médiocres propriétés mécaniques  de ces haches (fragilité, inaptitude à l’affûtage).

Figure 3 : la photo du haut représente la hache qui a été coupée (photo du bas). Le dessin intermédiaire est un croquis de la structure.

Au-delà de ces données objectives, on peut aussi s’interroger sur l’intérêt qu’il y a à mettre en œuvre des techniques expérimentales par des praticiens non formés aux disciplines dont sont issues ces techniques. Analyser un alliage, ce n’est pas seulement rechercher les éléments métalliques ; l’un des plus vieux d’entre eux, l’acier, est un mélange de fer (métal) et de carbone (métalloïde) ; ne pas considérer ce dernier, c’est renoncer à comprendre les propriétés de l’acier.

 2.   Expertise d’une médaille du XIXe siècle

 La demande consistait à déterminer la nature du métal constitutif des médailles et la cause des altérations dont l’origine pouvait être liée à un incendie survenu en 1865, un changement de bâtiment ou une panne de climatisation.

Une coupe effectuée sur une médaille a permis d’analyser la microstructure et de déterminer les compositions chimiques des divers constituants présents au niveau des altérations. La médaille initiale est en cuivre ; sa structure recristallisée atteste d’un réchauffement ultérieur de l’objet. La succession des constituants métalliques incite à penser que des gouttes d’alliage étain-plomb fondu  sont venus au contact de la médaille. La présence de trous au voisinage de l’interface médaille / métal fondu évoque un effet Kirkendall, phénomène lié à l’interdiffusion des espèces chimiques (plomb, étain et cuivre), ce qui privilégie l’hypothèse de l’incendie comme cause des dommages observés.

Figure 4 : Aspect d’une des médailles de la bibliothèque municipale de Bordeaux.

 

 

Figure 5

 

Figure 5 : microstructure de la médaille au niveau de l’endommagement (photo du haut) et schéma du mécanisme diffusionnel (en bas).

 

Pour vérifier cette hypothèse, du cuivre et un alliage étain-plomb ont été placés dans un four à 600 °C pendant 3 heures. Après recuit, les examens de l’échantillon ont révélé une microstructure parfaitement conforme à celle de l’objet d’origine.

C’est donc l’incendie du bâtiment abritant les médailles qui est l’événement à l’origine de son endommagement, l’alliage étain-plomb provenant selon toute vraisemblance de la fusion d’éléments de construction ou d’architecture (épis de faîtage, solins…) du bâtiment.

 3.   Restauration et consolidation d’objet en plomb

Le plomb est un métal corrodable, mais dans certains cas, les corrosions observées sont catastrophiques. Tel est le cas par exemple d’objets conservés dans des musées : médailles, sceaux, poids… L’objectif de cette étude était de comprendre les raisons de ces corrosions catastrophiques et, de manière plus ambitieuse, de restaurer ces objets en leur restituant tout ou partie de la lisibilité qu’ils avaient perdu.

Différentes analyses effectuées sur des objets altérés, ont révélé la présence d’une couche d’acétate de plomb à l’interface entre le métal sain et la couche de corrosion. L’affinité de ce  constituant pour l’eau est la raison pour laquelle, contrairement au comportement usuel du plomb, la corrosion ne s’arrête pas : ce film humide inhibe le caractère protecteur de la couche de corrosion et la dégradation du métal se poursuit au cours du temps. Mais d’où vient l’acide acétique formateur de ce composé ? La réponse se trouve dans les musées et plus précisément dans les bois utilisés pour la construction des médaillés et autres meubles de stockage ou d’exposition de ces objets. En effet, des bois tels que le chêne relarguent au cours du temps des acides organiques tels que l’acide formique et acétique.

Dès lors, pouvait-on envisager de réduire ces couches de corrosion qui, en atténuant ou supprimant la lisibilité des objets altérés, en réduisait l’intérêt ? Le pari n’était pas mince car, si la réduction des formes oxydées du plomb relève de l’enfance de l’art du chimiste, effectuer cette opération de façon telle que le métal régénéré retrouve sa place d’origine sur la surface dégradée ne relève pas d’une physique évidente. L’idée d’utiliser la réduction électrolytique associait à la simplicité de la méthode la possibilité d’utiliser des cinétiques très lentes, a priori favorables au but recherché.

Les conditions de réduction cathodiques ont été affinées par voie expérimentale et les résultats obtenus sont satisfaisants comme ont peut le constater sur la figure 6 représentant un sceau épiscopal.

Figure 6 : Sceau épiscopal en plomb (au centre).

Détail avant et après restauration.

   4.   Conclusion

La physique peut apporter un éclairage et/ou des aides efficaces à l’archéologie, encore faut-il que les coopérations se nouent entre des disciplines si éloignées dans l’institution universitaire !