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LETTRE DU COMMISSAIRE GÉNÉRAL DE POLICE

DE LORIENT AU SOUS-PRÉFET EN L'AN IX

 

 

Alban Peres

Membre de la SAHPL

 

Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion d'acquérir le document reproduit ci-dessous, portant l'en-tête du Commissariat Général de Police de Lorient. Intrigué par la date de la correspondance, ainsi que par e sujet de celle-ci, j'ai pris le parti de vous soumettre le résultat de mes recherches.

Lettre du Commissaire Général de Police

 

I - Le sujet de la lettre.

       Tout d'abord, voici la transcription du document :

COMMISSARIAT-GENERAL DE POLICE,

 

Résidence de Lorient

 

Liberté                                                         Egalité

 

LORIENT, le  8 Germinal  an  9

de la République française

 

 

LE COMMISSAIRE-GÉNÉRAL,

 

 salue le citoyen Garnier et lui fait demander s'il a reçu quelques nouvelles relatives à la proclamation de la paix. S'il n'en a pas reçu aujourd'hui, il y a lieu de croire que la proclamation de la paix n’aura lieu à Lorient que le décadi qui suivra celui-cy.

Le Commissaire Général prie le citoyen Garnier de croire à son estime et à son dévouement absolus.

 

  J. Charron 

 

 

 

       

Rédigée le 8 germinal an IX (29 mars 1801), la lettre fait référence à « la proclamation de la paix ». Mais de quelle paix pourrait-il s'agir ? En tout état de cause, cela doit faire référence à la signature du traité de Lunéville qui eut lieu le 29 pluviôse an IX (9 février 1801), et dont les villes de province ne furent averties que progres-sivement. Un autre indice est le destinataire de la lettre, le citoyen Garnier, sous-préfet de Lorient, qui est en contact direct avec les plus hautes autorités de l'État. C'est donc à un événement historique important que fait référence le texte de la missive. La proclamation eut-elle lieu dans les jours qui suivirent ? On peut vraisemblablement le penser malgré l'absence d'indices dans les délibérations du conseil municipal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

            Allégorie de la paix de Lunéville   -   Anonyme - XIXe

 

.

II - Le destinataire.

 

            Jean-Sigismond-Joseph Garnier, est né le 24 mai 1757 à Saint-Malo. Il était négociant de profession, mais la Révolution lui apporta le titre de capitaine de la Garde Nationale de Lorient. Officier municipal, il fut maire de la ville du 26 novembre 1794 au 1er décembre 1795, puis, juge de commerce, administrateur de l'hospice civil, et sous-préfet du 12 avril 1800 au 23 août 1815. Il sera également un des fondateurs de la Chambre de Commerce de Lorient en 1807, et membre de la loge maçonnique de Lorient « l'Union ».

III - L'expéditeur.

 

       Joseph Charron, voilà un nom que la mémoire collective n'a pas retenu. Et pourtant, ce personnage eut une carrière étonnante, et marqua de son empreinte l'idéologie révolutionnaire parisienne. Né vers 1760 dans les environs de Sézanne dans le département de la Marne (aucune certitude cependant sur son lieu de naissance car les registres sont lacunaires et d'autres documents l'indiquent natif de Paris), on lui doit notamment une « Lettre ou mémoire historique sur les troubles populaires de Paris en août et septembre 1788 », publiée à Londres en 1788. Puis, on trouve sa trace à Paris en 1790, habitant rue de Bourbon-Ville-neuve dans la 14e section appelée « Bonne-Nouvelle », pour laquelle il était secrétaire-greffier. Il y est indiqué comme ancien premier commis des décimes de Paris et « actuellement » contrôleur des domaines de main-morte[1]. Ardent révolutionnaire, il était donc membre de la toute puissante municipalité de Paris, et non moins fin lettré. En effet, il fut membre de plusieurs sociétés littéraires, co-fondateur du « Journal des clubs et des sociétés patriotiques », et rédigea plusieurs brochures.

 

       C'est également lui qui fut à l'origine de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790. En effet, le 18 avril précédent, il fit un discours à l'Assemblée du district de Bonne-Nouvelle qui était un condensé de l'idéologie et du programme de la Fédération. Ce sera donc sur sa demande que le district prit un arrêté pour inviter les neuf autres districts à nommer chacun un député pour préparer cette Fédération. Ces élections eurent lieu aussitôt, et il en sortit une « Assemblée des députés pour le pacte fédératif », dont Joseph Charron fut l’âme, et qui tint ses deux premières séances le 29 avril et le 1er mai 1790. Les députés de la nouvelle Fédération demandèrent alors l’hôtel de ville de Paris pour y siéger. Le maire Bailly hésitant à leur répondre, ils s’installèrent manu militari. Alors Bailly n'eut d'autre choix que d'accepter, et il assista à la séance du 8 mai avec le marquis de La Fayette. Afin de répandre ces nouvelles idées, Joseph Charron rédigea à cette occasion une « adresse des citoyens de Paris à tous les Français au sujet de la célébration de la fête du 14 juillet ».

Triomphe de Voltaire le 12 juillet 1790 – Gravure de Jean-Louis Prieur

       Fort de son aura, il fut chargé en 1791 par la municipalité de Paris d’examiner la pétition de Charles Villette visant à transférer les cendres de Voltaire au Panthéon, et devint donc le chef d'orchestre de cette immense cérémonie qui se déroula le 11 juillet 1791. A cette occasion, il ne manqua pas durant l'exhumation du corps de récupérer un petit souvenir du grand homme : une dent qu'il conserva précieusement et dont la trace fut perdue (peut-être est-ce celle qui est présente dans le reliquaire de Vivant Denon conservé au musée Bertrand de Châteauroux). Cette même année, il fut également député pour assister à l'autopsie de Mirabeau en tant que membre du tribunal de police.

 

        On le retrouve ensuite en 1792 de retour dans la Marne à Marcilly-sur-Seine où il est maire. Ce retour en Champagne (qui tend à faire penser qu'il est bien natif de ce département et non de Paris) fait certainement suite à l'insurrection du 10 août, puisqu'il est arrêté et emprisonné en 1793. Libéré suite à la « réaction thermidorienne », il devient Président de l'administration du département de la Marne durant le Directoire.

 

       C'est donc sous le Consulat que le document qui nous intéresse ici fut rédigé. Joseph Charron devint commissaire général de Police sur la nomination de Fouché dont il était un des hommes de confiance. Il dut faire la connaissance du nouveau ministre de la Police lors de sa carrière parisienne, et sut faire apprécier ses qualités. Quoi qu'il en soit, il fut nommé à Lorient dans le seul but de capturer Georges Cadoudal, et ainsi anéantir l'Armée Catholique et Royale du Morbihan qui causait tant de soucis aux autorités depuis 1793. Malheureusement pour lui, outre le fait que Cadoudal restait imprenable, la municipalité réclama au ministre de la Police la suppression du commissariat général de police durant sa séance du 6 février 1801. Cette demande faisait suite à la suppression du commissariat général de police de Brest, et était justifiée par les frais que cela occasionnait à la municipalité, et le double emploi avec le commissariat de la ville. Le document concerné par l'article fut donc certainement un des derniers rédigés à l'en-tête de cette institution éphémère.

 

       Que devint Joseph Charron ensuite ? Il est possible qu'il ait été muté à Marseille mais j'ai retrouvé sa trace à Turin alors chef-lieu du département du Pô, où il a été muté à la même fonction de commissaire général de Police. Il y sera au moins à partir de 1803 puisqu'une brochure fut éditée à l'occasion de son installation. Sa nomination à Turin ne fut pas de tout repos puisque dans la correspondance de Napoléon Ier à Fouché, il est plusieurs fois question de lui et du général Menou qui était administrateur du Piémont, et avec lequel il était en conflit. L'empereur n'aimait pas du tout Charron et l'exprimait ouvertement à Fouché en ces termes :

 

« (…) faites écrire à Charron, à Turin, que je ne veux point d'intrigues. Qu'il vive bien avec Menou, avec le maire, et qu'il ne desserve personne. J'ai vu de très mauvais œil la conduite qu'il a tenue lors de l'évènement arrivé au général Menou. » (lettre du 24 fructidor an XII)

 

« (…) je le suppose de Charron; cela achève de me prouver que c'est un intrigant. » (lettre du  5 vendémiaire an XIII)

 

« (…) C'est la même chose de Charron à Turin. Vous lui donneriez cent mille écus qu'il ne serait pas content. Il a plus de traitement et de bureaux qu'un préfet ; il a des fonds extraordinaires, et je n'entends jamais parler de lui dans vos bulletins. C'est un mauvais homme, qui a des ministres plénipotentiaires à Paris, et qui fait intriguer au Conseil d'État au lieu de faire tout bonnement son métier de police. » (lettre du  14 vendémiaire an XIII)

 

« (…) Quant à votre commissaire Charron, il ne fait rien, il ne pense qu'à lui. (...) » (lettre du 15 vendémiaire an XIII)

 

       Se rendant certainement compte de sa situation précaire du fait de l'inimitié de l'empereur, il dut profiter de la création du royaume de Naples en 1806 pour entrer au service du nouveau roi Joseph Bonaparte. On le retrouve en 1812 occupant la fonction d'intendant de la province de Capitanata auprès de Joachim Murat alors à la tête du royaume des Deux-Siciles. Ce sont là les derniers indices que j'ai pu être en mesure de trouver.

 

       Qu'advint-il de lui après la chute de Murat en 1815 ? A-t-il eu la possibilité de retourner en France ? Est-il mort en Italie ? Le mystère reste entier...

 

IV – Conclusion.

 

       Cette lettre dont les tribulations avant d'arriver entre mes mains resteront à jamais un mystère, va rejoindre les réserves des Archives municipales de Lorient car c'est là sa place. En effet, on peut observer que le cachet des archives départementales fut apposé sur le document. Ce qui amène à la conclusion que ce document fut volé, comme ce fut le cas pour bien d'autres documents malheureusement. Cet article aura également permis de remettre en lumière un personnage dont la postérité n'aura pas fait grand cas malgré l'importance qu'il a pu revêtir durant les premières années de la Révolution, et d'aborder une période trop rarement traitée : le Consulat.

 

 

Bibliographie

 

Archives Nationales

Archives départementales de la Marne

Archives municipales de Lorient

Guérard A., 1993, Statistique historique du département de la Marne.

Laurent G., 1940, Annales historiques de la Révolution Française, Tome XVII

La Révolution Française, Revue d'histoire moderne et contemporaine, Tome LXVIII, 1915

Robiquet P. Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution,  période constitutionnelle

Chassin Ch.-L., Les élections et les cahiers de Paris en 1789, Volume 2.

Correspondance de Napoléon Ier, 1862



[1] Les biens de main-morte étaient les biens possédés par des congrégations ou des hôpitaux : leur possesseur ayant une exis- tence indéfinie, ils échappent aux règles des mutations par décès.