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DE NOTRE-DAME DE LA COUARDE

A LA VENUS DE QUINIPILY

   

Jean-François Nicolas

Comité d'Histoire - Baud

 

 

              Grâce à l’aimable autorisation de Madame de Pontavice, nous avons pu consulter les archives du château Des Salles, au Perret, dans les Côtes d’Armor. Celles-ci contiennent des documents relatifs à la seigneurie de Quinipily, dont les pièces du procès du comte de Lannion contre le duc de Rohan, des 30 octobre, 11 novembre, 5 décembre 1700 et 7 janvier 1701, concernant le droit de propriété de la statue connue aujourd’hui sous le nom de Vénus de Quinipily. Nous ne rentrerons pas dans les détails de ce procès très technique et complexe, avec le droit féodal et celui de la coutume en Bretagne. De Rohan perdit son procès. Nous n’écrirons pas non plus une nouvelle histoire de la Vénus. Nous relaterons seulement les faits contenus dans ces dépôts de production et mémoires des procureurs, souvent sans rien changer au texte. Les arguments avancés, par de Lannion, de Rohan, les divers commentaires, nous permettent de découvrir le site de Castennec en 1700, par les gens de l’époque et avec leurs connaissances des siècles passés qu’ils avaient alors.

 .           L’histoire de la Vénus de Quinipily maintes fois reprise, avec à chaque fois les mêmes erreurs répétées, est en général celle de M. Bizeul[1]. C’est la copie d’un document sans nom d’auteur, trouvé au XIXe siècle, malheureusement disparu, chez un notaire de Baud. Ce document aurait été recopié à plusieurs reprises, mais de manière différente.

             A Quinipily, Pierre de Lannion vient de rentrer dans son château après la signature du traité de Ryswick, le 20 septembre 1697, qui met fin à la guerre de la ligue d’Augsbourg[2]. De Lannion est un personnage très important, maréchal de camp des armées du roi, gouverneur de la ville de Vannes, baron de Malestroit, seigneur des terres de Quinipily, Camors et autres lieux. Sa maison est opulente, ses récompenses nombreuses, dues à ses actions héroïques. Il passe alors pour l’un des meilleurs officiers du royaume. Il est le nouveau seigneur de Quinipily depuis la mort de son père Claude en 1695. Il sera le défendeur dans le procès.

             Louis de Rohan-Chabot, duc de Rohan, pair de France est un des grands du royaume de France. Il réside à Paris. Son procureur fiscal à Pontivy se nomme Allanic, sieur de Kercaire. Il sera le demandeur.

             Pierre de Lannion, de retour des dernières guerres, a donc regagné sa demeure de Baud. Désireux de continuer à servir son roi, il veut entretenir, dit-il, une excellente condition physique « pour mieux se préparer à la fatigue ». Pour fuir l’oisiveté, il souhaite rendre son séjour agréable, en construisant quelques bâtiments, cultiver et aménager lui-même son jardin par de nouveaux ornements.

             Il apprend, au début de l’an 1698, qu’il y a dans le Blavet une statue de pierre ensevelie dans le sable. « On prétend qu’elle a donné lieu à des idolâtries de la part de quelques esprits et que pour cela, soit par ordonnance de l’évêque de Vannes[3] ou par le zèle de quelques missionnaires[4], elle a été jetée dans le fleuve, voilà près de cinquante ans, du haut de la montagne de Castennec en Bieuzy ». Il pense que cette « pierre informe et inutile » peut lui servir pour quelques aménagements dans son jardin. Il ne s’arrête pas à « ces contes d’idolâtrie » et la fait sortir de l’eau par des « hommes et sujets » qui en vinrent à bout difficilement, puis la transporte en son château de Quinipily où il la met dans une grange.

             Laissons le procureur conter la suite : « Mais ayant vu que les restes de cette figure, qui paraissaient être de femme, étaient indignes de paraître aux yeux de véritables chrétiens, il donna ordre de la faire incessamment retailler et ôter ce qui choquait la pureté de notre religion, pour en faire une figure plus honnête et dans laquelle personne n’eusse pu remarquer aucun reste de ce qu’elle représentait, qui aurait excité les esprits faibles et superstitieux, de commettre les plus sales idolâtries que la nuit paganisme ait jamais pratiqué à l’égard d’une idole et fausse divinité. De sorte qu’on fait continuellement travailler deux ouvriers pendant plus d’un mois pour tâcher d’en venir à bout. Mais comme cette pierre était extrêmement dure, ils furent obligés d’y travailler de violence et à grands coups de marteaux et pieux, en ont souvent cassé plus grande partie qu’on ne souhaitait, pour lui donner quelques perfection et enfin est achevée de brisée ».

             Le duc de Rohan conteste ce fait et ajoute que la « statue, après avoir été piquetée et passée sous le marteau pour lui ôter l’embrunissement de plusieurs années passées sous l’eau,  est  d’aussi belle représentation qu’elle avait lors de sa première construction ».  

            Pendant ce temps-là, maître Charles Cariou, notaire de la juridiction de Lanvaux, propriétaire en partie de la métairie de la Couarde, va trouver de Lannion et lui apprend que cette pierre est une figure de Vénus appelée « Groah Er Hoard » et que les anciens propriétaires de la métairie noble, avaient également fait construire une auge « pour le plaisir et l’ornement de leur maison qui était considérable ». Il propose, comme cette auge est sur son terrain et lui appartient « sans contestation », de la vendre ainsi que la statue pour la somme de deux louis d’or valant vingt-huit livres. La vente est reconnue le 5 juin 1698 par un acte passé devant deux notaires de la juridiction de Kerveno-Baud. Pierre de Lannion pense qu’il pourra utiliser ce bassin avec un jet d’eau. Il veut donc transporter l’auge à Quinipily. A cet effet, il fait construire spécialement une « machine » et fait venir quarante ou cinquante couples de bœufs. Mais il ne peut la déplacer, tant le poids est considérable, aussi il en « diffère le charroi ».

             Il y a quarante ans, le seigneur de Rimaison, avait voulu lui aussi acquérir cette auge, mais les propriétaires de la métairie de la Couarde s’étaient opposé à cet « enlèvement ».

             La statue est donc dans une grange à Quinipily et le bassin n’est pas encore enlevé. C’est alors que le procureur fiscal de Pontivy, le 4 avril 1700, près de deux ans après l’enlèvement de la statue, assigne Pierre de Lannion à la juridiction de Pontivy, pour le condamner à rétablir la statue dans la place qu’elle occupait avant et avec interdiction d’enlever l’auge. C’est le début du procès, où le duc de Rohan essaie de démontrer que la métairie noble de la Couarde relève de son fief et dans ce cas ces antiquités lui appartiennent.

             Quelles raisons poussent le duc de Rohan, après l’achat par Pierre de Lannion, à vouloir récupérer la statue et le bassin. Etait-ce comme il l’affirme pour que ces « antiquités sont en quelque façon, autant pour le public que pour le particulier qui prend soin de les faire construire et comme la curiosité porte toutes les personnes de ce lieu et même de plus éloignée à venir les voir, il faut que le lieu où elles sont soit de libre accès à tout le monde » ?  

            On peut en douter ! Peut-être qu’une rivalité existait entre ces deux hommes ?

             Les documents du procès nous permettent de découvrir la montagne de Castennec en cette fin du XVIIe siècle.

             On y lit que sur la montagne de Castennec, à la « Couarde qui est près de l’église du prieuré, il y avait deux antiquités, l’une une statue représentant la déesse Vénus et l’autre une auge de pierre. Ces deux pièces étaient de temps immémorial sur cette montagne et ont toujours été regardées comme des reliques de l’antiquité et des restes de paganisme et qu’elle est appelée vulgairement la statue de la Couarde. La statue et l’auge sont placées à une distance de cent cinquante marches[5] de la porte de la chapelle ».

             Charles Cariou affirme que ce sont les propriétaires de la métairie de la Couarde qui firent poser et construire sur la montagne de Castennec la statue et le bassin. Mais s’il est vrai que ces antiquités ont été de temps immémorial sur la montagne, « c’est une supposition de dire que ce soit par ces propriétaires » rajoute ce même document.

             Pour le duc de Rohan, l’origine de la statue et du bassin est différente. Ce sont les anciens seigneurs de Rohan qui les ont fait construire et si ces antiquités sont placées sur le terrain de la métairie de la Couarde, c’est que ce terrain leur appartenait. Et il continue : « Ce n’est pas un simple particulier, qui n’est vassal que pour posséder aux fiefs du demandeur trois ou quatre sillons et un bout de maison, qui aurait pu avoir les moyens de les construire. Non, une décoration pareille ne convient pas à une petite chaumine. Ce sont des personnes de considération, lesquelles excitées par la situation du lieu pour lui donner que distinction et agrément, qui les firent construire comme il se pratiquait en ce temps là parmi les gens nobles et de distinction ».

            Le château, qu’avait construit les ancêtres de Rohan, est éloigné de la métairie d’un « grand coup de mousquet[6] et les terres en sont séparées d’un talus ou gourglay[7], que les fermiers de la même métairie ont toujours disposé des terres qui sont du côté du couchant du talus qui est justement l’endroit où était la statue et l’auge de pierre. L’ancêtre Allain, qui a donné le lieu où est situé le prieuré de Notre-Dame de la Couarde et ses dépendances, s’il n’était pas le duc de Bretagne était du moins un prince indépendant, comme il est marqué par les mots de prince Alanuce. Les vestiges du château et ce qui en dépend sont séparés du prieuré et terres en dépendantes par un talus qui paraît fort ancien aussi et il marque dit-on la fondation du dit prieuré et donné pour borne et séparation des terres et droits. D’ailleurs dans un aveu[8] de 1471, il est prouvé qu’aux chapitres des châteaux appartenant au vicomte de Rohan qu’en la paroisse de Bieuzy il y avait des marques de château et ville. Ce château qui autrefois sur ville close et encore y pavoisant de murailles clôturées ».

             Que conclure ? Qui croire ? Que faut-il en penser ?

            Les paysans appelaient cette statue Gwrac’h ar Ouarn, la vieille femme de la garde. Le sens de Gwarc’h n’est pas très bien défini. Il peut signifier : la vieille femme, la sorcière, mais aussi la sainte, la fée. Ouarn signifie la garde et rappelle évidemment le camp romain qui gardait la montagne de Castennec[9].

             L’étude aujourd’hui de la statue peut-elle nous renseigner sur son origine ? Louis Pape qui dirige le laboratoire d’archéologie Pierre-Merlat, dans son livre la « Bretagne romaine », dit que « l’interprétation de cette œuvre est impossible dans la mesure où nous ignorons son aspect primitif avant les retouches modernes ».

             Avait-elle été jetée dans les fondations de l’église et retrouvée au 17e siècle ? Non c’est peu probable. On sait qu’elle est là de « temps immémorial ». Le prieuré et la chapelle ont du se substituer à un lieu de culte beaucoup plus ancien où la statue était déjà là.

             Pourquoi vouloir la détruire ? On sait donc qu’elle est là « de temps immémorial ».  Elle a même donné son nom à la chapelle « Notre-Dame de la Couarde ». Oui, elle donnait lieu à certaines idolâtries depuis des siècles, qui n’étaient certainement pas ignorées du clergé et qui devait même s’en accommoder. On sait qu’en Bretagne les croyances anciennes et païennes se sont souvent maintenues dans la religion. De cet amalgame naît une culture religieuse spécifique par certaines pratiques, qui a dû tant choquer les missionnaires jésuites du 17é siècle. On peut penser que ce sont eux, avec le clergé séculier des paroisses voisines, qui demandèrent sa destruction. C’est pour cela sans doute qu’on parle de « la prétendue ordonnance et ordonnance imaginaire » de l’évêque de Vannes.

            La statue aurait été jetée du haut de la montagne de Castennec. Serait-elle arrivée intacte en bas ? D’après des tailleurs de pierre interrogés, cela semble peu probable. On sait que les habitants la vénéraient. Pourquoi dans ce cas ne l’auraient-ils pas descendue jusqu’à la rivière avec beaucoup de précautions et de respect pour la déposer dans la rivière?

 Il est dit aussi que la statue, tirée de la rivière, était affreusement mutilée et brisée. Pourquoi dans ce cas le comte de Lannion se serait-il donné tant de mal pour la ramener dans son château ? 

Il  semble qu’en 1700 la chapelle soit encore en bon état. Mais après l’enlèvement de la statue et du bassin, les habitants cessèrent de fréquenter ce lieu de culte. La chapelle lentement tomba en ruine.

Les 10 et 11 juin 1791, l’expert Joseph-Marie Colleszau est chargé de procéder à l’estimation  de la chapelle de Notre-Dame de la Couarde et « d’une montagne dépendante de la dite chapelle, comprise entre deux gros rochers » pour Jean Bellec soumissionnaire.

De la chapelle il ne reste plus qu’un monceau de pierres. Elle mesurait 22 mètres de long sur 9 mètres de large.

            En 1972, lors de la construction de la maison voisine de la métairie, diverses pierres taillées furent trouvées en creusant les fondations. Ces pierres pouvaient provenir de la chapelle.

             Trois cents mètres plus au nord se trouve un calvaire du 19e siècle. Le pavage est fait de grandes dalles de granit qui pourraient avoir elles aussi la même origine.

             A Quinipily, depuis trois siècles, Notre Dame de la Couarde devenue la Vénus de Quinipily garde encore ses secrets. 

 

 

Sources :

            Archives départementales du Morbihan : Série 89 J 60, Q 73

 



[1]  Historien, archéologue du XIXe siècle

[2] Appelée également la guerre de Neuf Ans, opposant la France alliée avec le Danemark et l’Empire ottoman à une coalition composée de l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède, etc…

[3] Dans ce document il est dit que « que l’ordonnance est imaginaire, puisque cette prétendue ordonnance ne paraît point »

[4] Au 17e siècle les évêques Sébastien et Charles de Rosmadec firent venir dans le Vannetais les Jésuites, puis la mise en place des missions paroissiales qui visaient à reprendre l’instruction religieuse des fidèles, en balayant tout ce qui peut s’opposer à la vrai foi : Paganisme, rites anciens, superstitions etc.. A Baud il y eut une mission en 1661

[5]  Nous ignorons si c’est une mesure de distance

[6] Arme à feu employé du XVe au XIXe siècle. C’est l’ancêtre du fusil.

[7]  Peut-être un mot d’origine bretonne dont nous n’avons pas trouvé la signification

[8] Acte écrit et rédigé par le vassal dans lequel il décrit les terres et autres biens qu’il tient de son suzerain.

[9]  Ecriture et traduction M. Albert Boché,