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POINTE DE KERPENHIR

 

Menace sur les Pierres Plates de Locmariaquer

 

 

Georges Mousset 

SAHPL

d’après les notes écrites de Pierre Godec

Documents photos

 

Le présent récit inédit a été recueilli en mars 2006 auprès de Pierre Godec, ancien Combattant et Résistant natif de Locmariaquer, il nous narre l’historique d’un fait exceptionnel qu’il a vécu avec quelques camarades au cours de la seconde Guerre Mondiale, période pendant laquelle il a été enrôlé dans l’organisation Todt pour la construction des fortifications du « Mur de l’Atlantique » à la pointe de Kerpenhir en Locmariaquer. C’est ainsi que ce témoignage resté jusqu’à ce jour connu du seul entourage proche de Pierre Godec trouve place dans notre bulletin en raison de son caractère patrimonial et historique intéressant.

J’ai rencontré Pierre pour la première fois lors de l’assemblée générale de l’Amicale des Anciens Résistants du secteur d’Auray ( 2ème Bataillon Le Garrec) en 2005 à laquelle je participais dans l’espoir de recueillir des informations et des témoignages éventuels au sujet des postes retranchés liés aux événements locaux de la seconde Guerre Mondiale, postes découverts à Belz dans une parcelle de lande courant 2003 (sujet qui fait l’objet d’un compte rendu dans le bulletin 2006 de la SAHPL).

Au cours de cette réunion je me suis présenté comme étant membre de la SHAPL et déclaré que notre Société ne s’intéressait pas seulement aux dolmens et aux menhirs, mais aussi à l’histoire contemporaine et aux faits historiques de notre région.

Pierre m’a alors entretenu sur un événement relatif à un monument mégalithique de Locmariaquer dont il a été témoin et d’une certaine façon acteur et qu’il a souhaité me faire connaître.

Agé aujourd’hui de 86 ans, Pierre conserve une excellente mémoire de cette période mouvementée, il nous narre ce fait historique avec un petit « h » qui aurait pu être un fait historique avec un « H » pour notre patrimoine préhistorique morbihannais si le destin ne s’en était mêlé.

 

    

 

Pierre est né en 1920 à Locmariaquer, apprenti mécanicien à Auray aux Ets Briel en 1934, il s’engage comme beaucoup de jeunes de la côte dans la Marine Nationale le 28.06.38.

Ancien du contre-torpilleur « Le Terrible », le bâtiment échappe au bombardement anglais de la flotte française à Mers el-Kébir le 3.07.1940, il embarque plus tard sur le « Volta » jusqu’au 28.04.41, date de sa démobilisation.

Il quitte alors son unité de Toulon et rentre à Locmariaquer et c’est à ce moment que commence le récit.

A la bétonnière 

Peu de temps après son arrivée à Locmariaquer, en juillet 41, il reçoit par l’intermédiaire du garde-champêtre de la Mairie une convocation à la Kommandantur locale chargée de l’organisation de la construction des fortifications du « Mur de l’Atlantique » à l’entrée du Golfe du Morbihan côté Locmariaquer, à la pointe de Kerpenhir précisément.

L’entretien porte d’abord sur la carrière professionnelle et militaire de Pierre, l’officier allemand est très bien renseigné, il insiste sur ses connaissances en matière de moteurs et de mécanique en général. On lui propose un emploi au chantier en cours dirigé par l’organisation Todt, sachant qu’il n’a pas beaucoup de choix, il accepte d’être embauché au poste de conducteur de bétonnière à moteur, et accessoirement selon les besoins, de pelleteuse, de concasseur…

Sur le chantier il retrouve ses copains de Locmariaquer déjà embauchés.

Les travaux se déroulent « correctement » malgré les conditions parfois très difficiles, le travail se fait en deux équipes, matin et soir, les contacts sont heureusement bons entre eux et les ouvriers allemands de l’organisation Todt ainsi que les soldats. Ce n’est pas le cas avec l’officier, un vrai tyran, détesté de tous, « on l’entendait qui hurlait à longueur de journée après tout le monde, y compris sur les soldats qui travaillaient avec nous et sur les sentinelles qui nous surveillaient, il mettait la «  pression » ».

Le chantier était commencé depuis 1941. La construction des fortifications nécessitait des matériaux en grande quantité, «  tout était bon pour cela ; ainsi les murets des parcelles des champs, le fort Vauban, la maison du douanier ainsi que la statue de N.D. de Kerdro furent démolis et abattus, les pierres récupérées, concassées pour le béton».

Ces pierres étaient montées dans le concasseur mobile sur le site à l’aide d’un tapis roulant où elles étaient broyées pour en faire des gravillons nécessaires à la fabrication du béton de ces fortifications, le sable provenait de la côte à proximité, tout ça fonctionnait avec un effectif important de plusieurs centaines d’ouvriers, un service de ramassage par cars fonctionnait.

La pierre récupérée des démolitions était du granit de surface, le gravillon produit par le concasseur était friable, le béton était de mauvaise qualité, peu résistant, ce qui était préjudiciable aux ouvrages prévus devoir résister aux puissants bombardements.

L’officier allemand responsable de la construction des fortifications, un oberleutnant, n’était pas satisfait de la qualité des gravillons fabriqués à partir de ces pierres, on le voyait souvent à la sortie du concasseur vérifier les matériaux et on comprenait qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, « nich god » qu’il disait furieux en faisant couler le sable entre ses doigts.

Il fallait des fortifications de qualité avec des matériaux de qualité, pour cela, nous l’avions compris aussi, il était disposé à puiser dans les monuments mégalithiques de Locmariaquer situés à proximité, il en parlait souvent, on le sentait décidé.

« On pensait tous au dolmen des Pierres Plates pas loin du chantier, un copain en avait fait une chanson. Les wagonnets sur rails passaient devant sur toute la longueur de la plage pour les chargements de sable, il y a là de gigantesques pierres faciles d’accès dans ce dolmen».

(Effectivement, les monuments mégalithiques de Locmariaquer sont constitués de roches plus dures, de l’orthogneiss, qui proviendraient de carrières situées prés d’Auray, le granit local étant nommé «granit de Carnac» beaucoup plus friable)

Un jour, on fait livrer sur le chantier des perforateurs pneumatiques avec leur longue mèche et tout ce qui faut pour le dynamitage, cela intrigue tout le monde, ça discute sur le chantier.

« C’est quoi ce bazar là » dit Pierre en parlant à son copain, « il ne va tout de même pas dynamiter pour de vrai le dolmen, ce c.. là en serait bien capable, ils ont bien abattu la statue ND de Kerdro, ça revient souvent dans ses crises de colère, il nous reproche que ça ne va pas assez vite, schnell, schnell, qu’on perd du temps à ramasser les cailloux, en plus, ils sont pourris, ça ne donne que du sable ! ».

Les choses ne s’arrangeaient pas avec cet officier, «  il devenait de plus en plus nerveux, il était insupportable, il fallait toujours bosser, et pas question de sécurité sur le chantier, il y avait des accidents.

Un jour, c’était en 43, René E. de Locmariaquer, 17 ans, un gosse à l’époque, a eu le pied coupé par un wagonnet qui s’était renversé, moi-même un jour, j’ai basculé avec ma pelleteuse, je m’en suis sorti je me demande comment, toute l’huile du moteur s’était renversée sur moi ! Et les gars pris dans l’éboulement du tunnel, ça s’est passé sous mes yeux, Louis G. et Gaston D. ont été ensevelis, il a fallu les sortir en grattant la terre avec nos mains. Louis a été sauvé grâce à sa pelle bien placée qui l’a protégé des éboulis. Il a été réanimé par un infirmier présent sur place. Ils s’en sont finalement bien sortis tous les deux mais Gaston n’a pas eu de chance, un peu plus tard, sur le chantier de Plouhinec, il décédera de ses blessures après un accident dû à un wagonnet de matériaux qui s’était renversé sur lui. »

 

L’accident de l’ oberleutnant :

« Ce jour là, c’était en mai/juin 42, nous étions occupés au bétonnage d’une plate-forme destinée à recevoir un poste de tir isolé près de l’ancien fort Vauban, une mitrailleuse lourde ou quelque chose comme ça.

La bétonnière avait été placée depuis quelques jours sur une plate-forme en bois rehaussée, cela permettait le déversement du béton en sortie de goulotte dans les brouettes et à quelque chose près dans les fouilles de fondation de la plate-forme en question tout à côté.

Cela nous avait obligé de prolonger les 2 U formant chemin de roulement du skip (la benne chargeuse qui contient le sable, les gravillons et le ciment à mélanger dans la cuve de la bétonnière), le travail avait été réalisé avec les moyens du bord tant bien que mal, il fallait toujours faire vite avec ce qu’il y avait, le résultat laissait à désirer.

Le bétonnage était en cours, le béton ne se versait pas directement au bon endroit dans la fouille contrairement à ce que l’on avait prévu, un ouvrier était chargé de refouler le béton à la pelle au bon endroit, ce qui avait pour effet d’irriter l’officier et de le faire gesticuler avec véhémence.

Ne pouvant supporter la chose, il s’empara d’un marteau et fou de rage s’engagea sous la bétonnière ».

Pierre voyait qu’il allait se passer quelque chose, qu’il allait faire « une c..ie »  du genre forcer sur la goulotte ou décaler les roues de la bétonnière.

Pierre lui crie : « stop moteur ? » 

L’officier lui répond: « nein ! » voulant dire clairement pas question d’interrompre le bétonnage, continuez.

Pierre veut réagir, il sait qu’il est interdit et dangereux d’évoluer sous cette machine à cause de tous les mécanismes en rotation non protégés et des vibrations. Pensant bien faire :

« J’ai abaissé la manette pour débrayer le câble de montée du skip qui déchargeait dans la bétonnière. L’officier tapait sur quelque chose avec son marteau, il voulait peut être déplacer la goulotte ou faire pivoter la bétonnière, à ce moment, stupéfaction, le skip retombe précipitamment et lourdement, il percute l’officier qui se trouvait dessous justement ».

« Bon Dieu », lâche Pierre choqué tout en conservant la main sur la manette de commande du skip, « qu’est ce que j’ai fait, c’est de ma faute ! ».

L’Allemand est coincé sous le skip qui l’a heurté, rapidement des ouvriers présents à proximité se précipitent à la bétonnière, se saisissent du skip et forcent à plusieurs pour le relever et ainsi tenter de sortir l’officier de cet accident.

Dans sa chute, le skip s’est éjecté de ses deux glissières, les ouvriers peinent à le remettre en place, et finalement, la manœuvre réussie, l’Allemand se dégage péniblement.

« Il se redresse sur ses jambes, il est hébété, il titube, fait quelques pas et s’effondre sur le sol, il est  très gravement blessé ».

Le copain de Pierre présent à son côté lui dit à voix basse, les dents serrées:

« Bien fait pour lui, bon boulot Pierre » pensant que Pierre avait manœuvré volontairement pour faire redescendre le skip au bon moment et se débarrasser enfin de ce personnage.

Pierre lui réplique :

« Ferme ta g….e, tu veux me faire fusiller sur place ? »

Sur le chantier c’est le branle-bas, très vite l’ambulance et les feldgendarmes en side-car arrivent.

« Je n’en menais pas large, je pensais que mon compte était bon ».

Un interprète entend la déposition de Pierre et des ouvriers témoins, Mme M. est là aussi qui explique bien ce qui s’est passé, étant d’origine alsacienne, elle parle bien l’allemand.

Rien n’est reproché à personne, c’est un accident stupide, l’officier est responsable de ce qu’il lui est arrivé. Aucune suite n’est donnée à cette grave affaire.

Le blessé est rapidement évacué, « on n’en entendra plus parler, qu’est-il devenu ? On n'en sait rien !».

C’est le soulagement général sur le chantier, à croire que la mort de cet individu contente aussi les autorités militaires allemandes, « personne n’a été inquiété ».

Le chantier se poursuit, les matériaux nécessaires aux constructions sont puisés dans les cailloux trouvés sur place et ceux récupérés lors des démolitions, il ne reste plus un seul muret dans le secteur. Plus personne chez les Allemands ne parle de dynamiter le dolmen.

Cet accident aura peut être coûté une vie, il aura certainement permis de sauver le dolmen des Pierres Plates d’une destruction totale.

 

Le départ

Le chantier de Locmariaquer devait libérer de la main-d’oeuvre pour la construction des fortifications de Keroman-Lorient considérées prioritaires. Pour ne pas y aller, Pierre décide de suivre « Grand Travaux de France » (l’entreprise chargée de la pose du câble téléphonique de liaison entre les fortifications de Kerpenhir et Lorient) pour la réalisation de travaux dans le secteur de Kermouster près de Paimpol et Plouha dans les Côtes d’Armor, toujours avec l’organisation Todt.

Quelques temps plus tard des recruteurs allemands, étrangers au chantier, sont repérés par les ouvriers, ils sont à la recherche de spécialistes pour les usines en Allemagne. Il y a aussi un Français qui cherche à recruter pour la Légion des Volontaires Français afin d’aller combattre sur le front russe avec les Allemands.

« Ces types là ne rigolaient pas, je me suis dit qu’il était temps de déguerpir, des copains ont été enrôlés pour les usines en Allemagne».

Avec son frère et des copains ils décident de quitter le chantier et de gagner le maquis d’Ile et Vilaine chez « les Maquisards bretons ».

Il reviendra dans sa région natale début août 44 au moment de la conquête du pays par les Armées Alliées. Après leur débarquement en Normandie, ces armées libèrent progressivement l’Europe et foncent prioritairement vers l’Est, ils laissent aux forces françaises réorganisées la tâche de contenir les Allemands dans les poches de résistances constituées autour des points stratégiques fortifiés (St-Nazaire, Brest, Lorient…)

Pierre se retrouve aux abords de la poche Quiberon-Penthièvre qui fait partie du territoire sous contrôle allemand de la « Poche de Lorient », il stationne un temps entre Etel et Carnac avec le « Bataillon Le Garrec », dans la 3ème Section de la 4éme Compagnie, affecté au 1er Groupe en tant que voltigeur.

Pierre, « Gasoil » pour ses camarades, participera notamment à un coup de main dramatique ayant coûté la vie à plusieurs Allemands dans le secteur de Crucuno-Plouharnel en 1945. Il nous en reparlera...

Ce récit est l’occasion d’évoquer brièvement les vicissitudes des monuments mégalithiques. De tous temps, ils ont eu à souffrir des atteintes des hommes. Certains spécialistes estiment qu’il ne subsiste aujourd’hui qu’une proportion de 10 % de tout ce qui a été érigé au néolithique. Ces destructions volontaires peuvent être l’œuvre de leurs constructeurs eux-mêmes ou de leurs proches descendants (thèse de l’Helgouac’h pour ce qui concerne le Grand Menhir brisé de Locmariaquer). Ces monuments ont constitué aussi des carrières à ciel ouvert pour la réalisation des grands travaux d’aménagement des siècles précédents (construction de routes, de voies ferrées, remblais…), pour certaines constructions particulières et peut-être pour certaines fortifications du « Mur de l’Atlantique » comme cela aurait pu être le cas à Locmariaquer.

Aujourd’hui ces monuments, dont certains sont classés « Monuments Historiques », méritent toute notre attention. Sachons les respecter.

 

 

DOCUMENTS

 

 

Pierre devant le dolmen des Pierres Plates : « il a eu chaud, c’est un monument magnifique, cela m’aurait fait beaucoup de peine, j’étais habitué de les voir, à l’âge de 10/11 ans, avec les copains, on renseignait et on les faisait visiter aux touristes »

 

 

Le site de Kerpenhir aujourd’hui, « il ne reste plus rien, les fortifications ont été rasées après la guerre, le site est protégé. »

 

Pierre à la pointe de Kerpenhir : « la bétonnière était placée ici, la pièce à bétonner est là, on voit toujours le béton, l’officier est tombé ici »

 

La statue de « Notre Dame de Kerdro » (Notre dame de Bon Retour) aujourd’hui les pieds dans l’eau, la statue d’origine fut érigée en 1883 sur le rempart du fort Vauban.

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