DE 1723 À 1725, LORIENT EST DEVENU LE
PREMIER PORT NÉGRIER FRANÇAIS Jean-Yves
Le Lan Détail d’un tableau de Hue Jean-François (1751-1823) représentant des navires dans le port de Lorient Photo Jean-Yves Le Lan
Le constat Dans son article[1] intitulé « Note sur les chiffres de la traite atlantique française au XVIII° siècle », Charles Becker réalise une analyse critique du répertoire sur la traite établi par Jean Mettas. Nous constatons à la lecture de cette étude que pendant trois années (1723, 1724 et 1725), le port de Lorient a été le premier port négrier français. En effet, en 1723 sur 14 expéditions recensées, 8 ont eu pour départ Lorient, en 1724 sur 16 expéditions ce sont 14 qui sont parties de Lorient et en 1725 sur 20 ce sont 18. Ce constat est résumé dans le tableau I.
Tableau
I - Expéditions négrières en France par port pour les années 1722 à
1726, données issues du Mettas. On peut se poser naturellement la question pour quelle raison Nantes qui avaient une position dominante pour les opérations de traite négrière a été quasiment absent sur cette activité pendant trois ans ainsi que les autres ports comme La Rochelle, Le Havre, Bordeaux et Saint-Malo, au profit de Lorient. Pendant ces trois années, Lorient a traité plus de 11 000 « noirs » (2544 en 1723, 3408 en 1724 et 5110 en 1725)[2]. Ce chiffre est à considérer comme un minimum car pour certaines années le nombre de « noirs » traités n’est pas connu. La traite a été réalisée par la Compagnie des Indes au départ de Lorient sur les côtes ouest de l’Afrique (Sénégal, Juda, Angola) avec la vente en Martinique ou en Louisiane. Les différentes expéditions réalisées, pendant les années 1723, 1724 et 1725 par la Compagnie des Indes au départ de Lorient, sont synthétisées dans le tableau II.
Tableau
II – Expédions négrières au départ de Lorient pour les années
1723, 1724 et 1725.
La raison de
l’importance de Lorient comme port négrier de 1723 à 1725 Le commerce de la traite fut dans une première période, de 1673 à 1716, un monopole. Pendant plus de quarante années, les compagnies du Sénégal (1673), de Guinée (1685), de l’Asiento (1703) l’assurent avec des équipages engagés par elles. Pendant toutes ces années, de nombreuses plaintes se feront entendre contre le privilège de ces compagnies qui réduisaient les armateurs à n’être que des commissionnaires et les actionnaires qui recevaient plus d’appels de fonds que de dividendes[3]. Une modification importante dans la traite française est survenue en 1713 au traité d’Utrecht quand l’Espagne dessaisit la Compagnie de Guinée de l’Asiento au profit de l’Angleterre. Les débouchés des colonies espagnoles perdus, il fallait se replier sur les Antilles françaises. La Compagnie de Guinée qui avait consacré l’essentiel du marché de l’Asiento au port de Nantes dû revoir sa position et hésita à renouveler les permissions. Les négociants de Nantes inquiets demandèrent une certaine liberté de commerce qui leur fut accordée par l’ordonnance royale du 20 septembre 1713. La traite nantaise devint alors très active. Les lettres patentes du 16 janvier 1716 étendirent cette liberté à cinq ports : Rouen, La Rochelle, Bordeaux, Nantes et Saint-Malo. Honfleur et Le Havre obtinrent peu après les mêmes droits, en 1719, Marseille et en 1721, Dunkerque. Un arrêt du 27 septembre 1720 établit la nouvelle Compagnie des Indes comme ayant « le privilège exclusif de faire le commerce de Guinée, ce qui comprend la traite négrière […] ». Tous les armateurs étaient inquiets car non seulement la Compagnie percevait 20 livres par ces derniers pour chaque « noir » introduit aux colonies mais en plus elle percevait 13 livres pour chaque « noir » introduit pas ses soins. Heureusement, la nouvelle Compagnie n’eut pas la volonté de se substituer au négoce mais de s’enrichir par ce prélèvement. Nantes bénéficia de la sollicitude de la Compagnie car en octobre 1722, un édit royal, accorda uniquement à Nantes une détaxe de six livres par « nègre » introduit. Nantes en profita largement mais cet accord ne dura pas. La Compagnie rétablit ses prérogatives et n’accorda plus aucune autorisation. La Compagnie assura alors par ses propres navires les opérations de traite au départ de son port qui était Lorient. Les négociants se plaignirent de cette situation et les plaintes finirent par être entendues. En 1726, la Compagnie vit ses privilèges rognés. Elle n’eut plus le monopole que sur la concession du Sénégal et un droit de 10 livres par tête introduit par les armateurs privés.[4]
L’activité des autres ports de 1723 à 1725
L’activité de Nantes[5] Au passage de l’Asiento à l’Angleterre, la Compagnie de Guinée perdit une partie de ses débouchés et fut enclin à revoir sa position en particulier vis-à-vis des armateurs Nantais. En 1721, la Compagnie des Indes reconstituée allait de nouveau recevoir le monopole. Mais elle considéra ce monopole comme un moyen de toucher des revenus sur le nombre de « noirs » traités à l’exception des années 1723 à 1725 où elle n’accorda plus d’autorisation. Nantes interrompit presque intégralement ses armements négriers de mars 1723 à décembre 1725. En 1723, il y eut uniquement deux expéditions de L’Annibal et de L’Amériquain, aucune en 1724 et deux en 1725 avec L’Union et La Marie Heureuse. Le tableau III résume ces expéditions.
Tableau
III – Opérations de traite au départ de Nantes en 1723 et 1725.
L’activité de La Rochelle De 1723 à 1725, La Rochelle ne vit aucune expédition de traite partir de son port. Trois se déroulèrent en 1722 et une en 1726.
L’activité du Havre Comme à La Rochelle, Le Havre effectua un nombre très réduit d’expédition de traite pendant la période de 1723 à 1725 qui se limite à une seule expédition celle de La Sérieuse en 1723 (tableau IV).
Tableau
IV – Opérations de traite au départ du Havre en 1723.
L’activité de Bordeaux[7] Comme indiqué précédemment la Compagnie définit, en 1722, de nouvelles conditions pour la traite. Bordeaux qui trouvait trop dure ces nouvelles conditions imposées par la Compagnie, ne donna pas suite. En mai 1724, seuls deux navires partirent de Bordeaux avec la permission de la Compagnie : La Grande-Flore et Le Duc de Bourbon. Le tableau V donne quelques éléments sur ces deux opérations de traite.
Tableau
V – Opérations de traite au départ de Bordeaux en 1724.
L’activité de Saint-Malo[8] Les armateurs de Saint-Malo, de 1717 à 1723 organisèrent 21 expéditions et devinrent ainsi le deuxième port négrier français, à égalité avec Le Havre mais très loin derrière Nantes qui expédia 92 bâtiments. Dans le tableau I, on voit que Saint-Malo pour la période qui nous intéresse a eu une activité concernant la traite négrière uniquement en 1723. L’interruption en 1724 et 1725 s’explique par la décision de la Compagnie d’exercer pleinement son monopole en refusant toute permission. C’est ainsi que seulement trois navires, L’Auguste, Le Saint-Pierre et La Vierge de Grâce ont mené des campagnes de traite (détails tableau IV).
Tableau IV – Opérations de traite au départ de Saint-Malo en 1723. [1] Becker, Charles, Note sur les chiffres de la traite atlantique française au XVIIe siècle, in Cahiers d’études africaines, vol. 26, N° 104, p. 633 à 679. [2] Banallec, Yves et Le Lan, Jean-Yves, La Compagnie des Indes et la traite des noirs, in Idées et représentations coloniales dans l’océan Indien, sous la direction de Norbert Dodille, Presse Universitaire Paris-Sorbonne, 2009. [3] Martin, Gaston, Nantes au XVIIe siècle, L’ère des négriers, 1714-1774, Editions Karthala, Paris, 1993, p. 13. [4] Saugera, Eric, Bordeaux port négrier XVIIe – XIXe siècles, Editions Karthala, Paris, 1995, p. 55et 56. [5] Martin, Gaston, op. cit., p. 14 et 15. [6] Nombre à la vente. [7] Saugera, Eric, op. cit, p. 56 et 351. [8] Roman, Alain, Saint-Malo au temps des négriers, Editions Karthala, Paris, 2001, p. 40.
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