Page précédente Accueil  Plan du site

 

DU BAC DE  KERENTRECH

AUX PONTS SAINT CHRISTOPHE

 

Claude Le Colleter

 S.A.H.P.L

   

 Suite aux vidéo-productions du groupe Histoire et Patrimoine de Lanester, et dans l’attente de la mise en service du nouveau pont urbain je me suis attaché dans le présent article à établir une rétrospective sur les trois ponts Saint Christophe qui ont contribué à l’expansion et au désenclavement de la commune de Lanester..

 

Au XVIème siècle, dans le quartier, peu d’animation, deux paroisses très étendues, celles de Ploemeur à l’Ouest du Scorff et à l’Est celle de Caudan.  La rivière de Pont-Scorff (appelée plus tard le Scorff) les sépare. Côté Ploemeur le château de Treizfaven déjà habité en 1320, rénové en 1484 va se retrouver en piteux état et abandonné un siècle plus tard.  La chapelle Saint Christophe,(Saint Christophe est le patron des voyageurs) vient d’être  édifiée au XVème sur un tertre » motte à Madame » déjà existant ( F.  Jegou suggère  une motte féodale mais le toponyme « motte à madame »ici indiqué signale le plus souvent un tumulus.

Côté Caudan ( aujourd’hui Kerentrech-Lanester, on dit aussi Kerenster), une petite population  vit en autarcie (en 1427 on y trouve une métayrie appartenant au seigneur du pou, (R. De Laigue ). Quelques passeurs transitent les passagers qui veulent se rendre d’une commune à l’autre.

  Une grande date : 1666

 En effet le 31/07/1666  le directeur de la Compagnie des Indes Denis Langlois  achète à divers propriétaires une vingtaine de parcelles au lieu dit le Faouëdic pour y installer des constructions navales le plus proche de Port-Louis. 

 Le Faouëdic (ou Féandik) est concédé à la Compagnie des Indes Orientales pour l’établissement des « ports, quais, chantiers,  magasins et autres édifices nécessaires à la construction de ses vaisseaux et armements de ses flottes (F. Jégou.) Il faut étendre l’empire colonial, il faut de la main d’œuvre et il faut une jonction administrative avec Paris.  Le trafic passagers, cavaliers, voitures attelées se fait de plus en plus dense, on descend au bas de l’actuelle rue du Scorff, on prend le bac pour se retrouver en face côté L’Orient ( au niveau du petit embarcadère).  Mais c’est dangereux surtout pour les chevaux. Le vent ni les marées ne sont souvent favorables (20 minutes parfois de traversée) et le trafic en provenance de Paris par La Grande Route de Paris qui s’appellera  un peu plus tard «Nationale 24 » (actuelle rue Jean Jaurès- Lanester) s’intensifie. La malle-poste transporte des colis, des documents importants pour les administrateurs de la Compagnie des Indes. 

En 1781 le prince de Rohan était disposé à faire construire un pont au passage Saint Christophe dans l’intérêt de la ville de l’Orient dont il est le seigneur à condition que le Roy lui accordât un droit de péage pour les passagers et les voitures. Ce projet sera abandonné mais d’autres projets vont naître.

Le 21/04/1789 dans le cahier de la sénéchaussée d’ Hennebont on pourra lire «  qu’il est intéressant pour le public de construire un pont sur la rivière du Scorff, à Saint Christophe, au lieu du bac incommode qui entraîne des malheurs fréquents et des inconvénients multiples dont les voyageurs gémissent  ».

En 1792 J.M Esnoult émet le vœu de remplacer  « le bacq… dont les échouemens fréquents sont des inconvéniens aux expéditions de la marine, à celle du commerce, aux voyageurs, et enfin à l’approvisionnement des habitans de la ville dont la plupart, attachés au service de la marine paient les denrées beaucoup plus cher que tout ailleurs par la difficulté de communication avec les campagnes …etc » ( Y. Lukas Lorient,  Histoire d’une ville)

Sur l’unique feuille du  journal hebdomadaire local de 1790, on publie diverses propositions.  L’ingénieur Guillois se dit favorable à un pont-barrage, un autre architecte un pont de terre en détournant la rivière. 

wpe1F.jpg (52700 octets)

Au XVIIIème siècle, les voyageurs, venant  de Paris descendaient  à Caudan l’actuelle rue du Scorff pour prendre le bac à péage. On devine sur la  droite en descendant  la maison du « passeur » C’est la présence de cette maison qui fait penser que l’embarquement primitif devait avoir lieu au bas de cette rue.

(Photo Claude. Le Colleter)

 

wpe21.jpg (50378 octets)

L’arrivée parfois mouvementée se faisait sur l’autre rive à l’embarcadère situé en ce lieu de  la commune  de Ploemeur (au niveau de l’ancien centre Leclerc).

 (Photo : C.Le Colleter)

Sur ce croquis de 1831, on distingue la chapelle Saint Christophe dédiée au patron des voyageurs

(Lorient n’est qu’une escale avant les Indes) ainsi qu’en arrière-plan le « pont Koët Caudan »

qui ne sera utilisé qu’une quinzaine d’années.

En 1791 un autre projet  de messieurs Friché et Ulliac propose de bâtir un pont de pierre, on creuserait un chenal, on retiendrait les eaux d’un lac en amont, le tout régularisé par une écluse …

Hélas la révolution bat son plein, l’Europe est en guerre, et on manque d’argent…

Le 12 décembre 1818, on décide de construire le pont de bois à péage (« Pont Koët en l’Oriant ») et l’inauguration se fera le 1er janvier 1823. Malheureusement, la solidité de l’ouvrage n’est pas des plus fiables et en 1841 il devient inutilisable.

Le 26 juillet 1842, on se décide pour un projet plus consistant, ce sera le pont suspendu…on l’appellera «  le pont fil-de-fer »

 * Kerentrech tient son origine étymologique comme étant « village de la traversée, du passage ».

    « A dreuz « signifiant en breton  « au travers ».En  français «  le toponyme «  trait  » est utilisé à l’entrée des estuaires pour en indiquer la traversée, à comprendre dans le sens de « trait d’union »).

Il est identique au gallois treth « taux taxe » ; « droit de passage » On le retrouve à la limite des villes où l’on devait s’acquitter d’un droit pour entrer dans la cité proprement dite (A.Deshayes).  Il existera aussi en face sous la forme de Treizfaven.( étymologiquement « passage sur  l’aven, « aven » avec le sens de rivière. (C’est du moins ce que j’en pense  du point de vue toponymique). Ces villages sont assez nombreux en Bretagne et se situent toujours au bord d’un cours d’eau qu’il faut franchir.

                                             Le pont suspendu ou le pont « Fil de fer ».

 Le 4 septembre 1843 à Kerentrech-Lorient c’est la grande  fête, le duc et la duchesse de Nemours, enfants du roi Louis Philippe viennent poser la première pierre de l’édifice en présence des maires de Lorient et de Caudan, de l’ingénieur monsieur Leclerc et de son adjoint monsieur Noyon, et 5 ans plus tard en 1848, c’est la bénédiction de l’ouvrage  avec le concours de la garde nationale, de fanfares militaires sous les yeux émerveillés de milliers de spectateurs.

La longueur totale du pont (à péage) entre les piédestaux est de 292 mètres ,  la largeur de 6,30m dont 4,90m pour la voie charretière et 0,70m pour chaque trottoir piétonnier ( Le patriote breton, journal local). Le pont est suspendu par 4 câbles en fil de fer de 16cm de diamètre qui joignent les 2 portiques de 17 m de haut. Chaque câble est formé de 1650 fils de fer, ce qui a nécessité quantité d’aller-retours aux ouvriers. Pour agrémenter le tout, il est prévu des rond-points plantés d’arbres aux sorties du pont et deux imposantes statues de sphinx doivent trôner de chaque côté  à l’entrée de l’édifice. Malheureusement pour ces sphinx, ce projet, jugé onéreux sera rapidement remis puis abandonné

En 1900, on ajoute 10 nouveaux câbles, le tramway électrique sera bientôt en service.

En 1901: on va pouvoir se rendre plus  rapidement à Hennebont, la ligne de tramways est inaugurée. 

 

Le pont suspendu ( côté Lorient) au début du XXème siècle.

 En 1920, « un voyage à Hennebont où l’on pourra admirer le charmant paysage de l’embouchure du Scorff » est une excursion très recommandée et le dimanche, la traversée du pont et la visite de « Kerenster », (nom donné au quartier au début du XXème siècle) deviennent le dimanche, l’une des promenades à pied les plus prisées des Lorientais.

Ensuite, la voiture ayant fait son apparition, le trafic devenant plus dense, on installera la circulation alternée, avec un feu rouge actionné manuellement par un gardien quelque peu distrait ou s’accordant des pauses trop longues, qui oubliant de mettre le vert, causera parfois de longs embouteillages !!

 Après la guerre, le « vieux centenaire », bien rouillé, montre des signes de fatigue, il va falloir songer à le remplacer. Ce sera chose faite en 1960.    

                                                                             

Le pont Saint Christophe actuel

Le pont suspendu a souffert de la guerre, et le trafic quotidien dépassant les 15 000 véhicules (c’est l’axe Nantes-Quimper), les travaux pour le nouveau pont débutent en 1955.  Même les éléphants du cirque Pinder, de passage à Lorient doivent «  mettre pied à terre » afin de rejoindre l’autre côté du Scorff. Le convoi en effet s’avérait trop lourd.  D’ailleurs, le 7/11/53, Jean Maurice, nouvellement élu a exposé devant le conseil municipal « l’état déplorable devant lequel se trouve le vieux pont, conséquence d’une  circulation sans cesse accrue, il y a danger. Il demande aux pouvoirs publics d’agir de toute urgence afin qu’il n’y ait pas d’accident grave ».  

Les travaux, commencés en 1955, seront programmés en 2 parties avec circulation alternée pour  permettre le passage des voitures.

En 1960,  il est achevé.  Avec une portée de 219 m , une chaussée de 9 m , 2 pistes cyclables de 1,50m ( à cette époque on utilisait beaucoup le vélo ou le cyclomoteur, avec 5000 passages journaliers) et  2 trottoirs de 1,50 m , la largeur totale impose avec ses 15 m .  Le 19 juillet 1960 ont lieu les premiers essais, une file de 45 poids lourds (972 tonnes) permet d’en apprécier la fiabilité.  Le 15 novembre 1960 à 12h30, c’est l’inauguration officielle, au son de l’harmonie du patronage laïque de Lorient, la présence des élus locaux et de Robert Buron, le ministre des transports du  gouvernement De Gaulle. Ensuite, côté Lanester, la rue Jean Jaurès sera réhabilitée, l’essor de la commune va s’intensifier, construction d’immeubles H.L.M., de groupes scolaires, amélioration du réseau routier (boulevard du Scorff).

Une petite chansonnette sera fredonnée :

 

Le pont Saint Christophe …est terminé…

On peut passer dessus…sans s’arrêter…

Ah...hi…ah…oh……oh.oh.oh

 

Lors de la démolition du vieux pont, on découvrira dans un pilon, deux médailles en bronze et trois pièces en argent, souvenirs de l’inauguration au XIXème, comme c’était la coutume lors de la mise en service d’un ouvrage d’art. 

A la fin des années 70 la construction de la voie express et celle du pont du Sac’h-Quéven ont rendu plus pratique la traversée de l’agglomération et la mise en service du prochain pont urbain permettra un accessibilité plus facile du centre-ville lorientais par l’utilisation des transports en commun.

 

Bibliographie :

 

Lorient : Au-delà des remparts ; U.T.L.

Images et mémoire de Lanester : A.et L.Leclère 1999

Lorient Histoire d’une ville : Y. Lucas ; Editions Palantines 1997

Histoire de la fondation de Lorient : F. Jégou

Archives du conseil municipal, Mairie de Lanester

 

                                                                                                                  

                                                                                                                       

Ì   Ì   Ì