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LA PIERRE GRAVEE DECOUVERTE A LANESTER

EN RELATION AVEC LES STELES DU MEME TYPE

Dominique PAULET

Kerulvé - Lorient

 

La série des stèles

La stèle de Kervanguen
Langombrac'h Mané-Justis       La gravure de croix
Prostlon Kervily       Les inscriptions
Plumergat Brandérion       L'entaille

 

Carte des stèles

 

Conclusion

 

  

 S’est-il agi d’une concordance ou d’une coïncidence ? L’ouvrage d’une équipe de chercheurs britanniques intitulé « Les Inscriptions de la Bretagne du Haut Moyen Age » parvenait à la bibliothèque de la Société d’Archéologie et d’Histoire du Pays de Lorient tandis que le groupe de travail sur le haut Moyen Age de la SAHPL s’intéressait aux stèles gravées. L’ouvrage anglais (que nous appellerons CISP, pour Celtic Inscribed Stones Projects) analyse avec une grande finesse les mots incisés dans la pierre entre Vème et Xème siècles à travers l’Armorique. Ils sont peu nombreux. La famille des stèles épigraphes situées grosso modo entre Hennebont et Vannes constitue une part importante du lot ; elles sont au nombre de six, voire cinq en se limitant aux stèles chargées à la fois d’une inscription et d’une croix sur hampe, les plus caractéristiques.

   L’inventaire du CISP paraissait complet.

   La vie associative multiplie les contacts. C’est ainsi que Claude Le Colleter entendit à ce moment évoquer par des habitants de Lanester la présence d’un curieux menhir dans un bosquet au bas d’un champ proche du village de Kervanguen, tout près de la voie ferrée. Reconnaissance faite, l’objet est apparu typiquement de la famille des cinq stèles du CISP, l’accroissant donc d’une manière notable. De nombreux regards se sont aussitôt portés, dès le printemps 2002, sur la « stèle de Kervanguen », en particulier ceux de Gwenaël Le Duc, co-auteur du CISP.

   L’existence de cette pierre de mémoire était restée jusqu’alors bien secrète ; elle ne figure pas dans « Les stèles de l’Age du Fer dans le Morbihan » de Daniel Tanguy, outil pourtant si performant dans la recherche de stèles habillées ou non d’une gravure.

 

 

 

INDICATIONS SUR LA SÉRIE DES STELES ANALOGUES
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Stèle de Mané-Justis (M1 dans CISP) – Elle porte le nom du lieu où elle était plantée autrefois, non loin de la chapelle St André de Lomarec (commune de Crac’h) qui abrite un vénérable sarcophage. Elle est placée actuellement à Vannes, dans la cour du Château Gaillard. C’est la plus grande et peut-être la plus ancienne de la famille des stèles épigraphes à croix hampée.

Mané-Justis.jpg (72195 octets)

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Langombrach.jpg (65521 octets)

 

 

Stèle de Langombrac’h (M4 dans CISP) – Située dans le village de ce nom (commune de Landaul). Elle est la seule à présenter des crosses en agrément de la croix, et la seule où l’inscription soit horizontale.

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Stèle de Prostlon (M6 dans CISP) – Elle est dite « de Prostlon » car ce nom y est gravé ; c’est un nom attesté par le Cartulaire de Redon (IXème siècle). Placée à Pen er Pont, à l’entrée de la presqu’île de Mendon dans la commune de Locoal-Mendon, elle se particularise par son apparence de colonne à section circulaire et par quelques ornements en frises.

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Stèle de Kervily (M5 dans CISP) – Autrefois placée à Kervily (commune de Languidic), elle est aujourd’hui dans un parc privé à la pointe de Kerzo en Port-Louis. Dans l’inscription se lit le mot heranhal qui figure aussi sur la stèle de Mané-Justis. La croix n’est pas gravée en creux comme sur ses semblables, mais en faux relief. De plus les bras de la croix sont implantés dans un cercle au centre du motif.

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Stèle de Plumergat, près de l’église de la commune de ce nom (M8 dans CISP) – C’est la plus petite de la série, et la seule à section octogonale. L’histoire de cette pierre est complexe, car elle porte une inscription gauloise sur une de ses faces.

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La stèle de Branderion (chapelle Ste Anne, figure ci-contre) est significative de ce type. Elle porte une deuxième croix sur une autre face, ce qui n’est pas exceptionnel.

  

Certaines stèles du même secteur géographique ont un aspect très voisin de celles de la famille passée en revue ci-dessus, portant également une croix hampée, mais sans épigraphe. Elles ne sont pas plus nombreuses.

 

   Quelques autres stèles, généralement de petite taille, sont ornées d’une croix pattée sans hampe, le plus souvent gravée au simple trait de contour.

   La carte (Voir la carte) positionne la plupart des stèles ainsi concernées. On y reconnaît les stèles avec croix hampée et inscription, celle avec inscription sans croix, celles avec croix hampée sans inscription et celle portant une croix sans hampe. La majorité du groupe est centrée sur le nord de la ria d’Etel. La stèle de Clohars-Carnoët (à toucher l’église du bourg) est figurée bien qu’elle soit d’un modèle légèrement différent : forme de la pierre relativement grossière, croix pattée seulement aux extrémités des bras.

 

KERVANGUEN – LA STELE PROPREMENT DITE

 

La forme générale est celle d’un prisme à arêtes très adoucies, la partie supérieure étant arrondie en calotte. Une surface régulière d’excellente facture et en bon état rend la pierre agréable à caresser. La section en coupe est rectangulaire d’environ 50x40 cm, la hauteur au dessus du sol de 1,2 mètre. L’embase n’est que dégrossie et forme bourrelet.

Nous sommes à n’en pas douter en présence de l’une des si nombreuses stèles de l’Age du Fer. Ces pierres ont été taillées aux VIème/IVème siècles av. J.C ; elles varient dans leurs proportions et dans leur hauteur. Par son élancement (rapport hauteur / largeur), la stèle de Kervanguen se classe nettement dans les « stèles hautes » ; elle est plutôt moyenne par la taille : sur 114 stèles recensées par Daniel Tanguy dans les cantons de Pont Scorff et de Port-Louis, 34 ont entre 1,1 et 1,5 m, 52 sont plus basses, 28 plus hautes.

   La réutilisation de ces monuments durant le haut Moyen Age s’explique si l’on considère qu’il s’agit d’une époque où l’art de tailler la pierre avait disparu, du moins en Basse-Bretagne. A défaut de fabriquer soi-même, l’extraordinaire production des pré-Gaulois fournissait des éléments lithiques plus conséquents que les débris de l’époque romaine.

   En comparaison des stèles analysées par le CISP, celle de Kevanguen est de la meilleure facture, la plus voisine étant celle de Kervily toutefois un peu plus grande (1,7 m).

LA GRAVURE DE CROIX

 

   A noter que les gravures s’étalent sur une face située d’un coté étroit de la stèle et non sur une des faces les plus larges. Il en est de même pour la stèle de Kervily dont la section est plus proche d’un carré.

 

La croix et sa hampe sont gravée en creux (profondeur de l’ordre du centimètre). L’image est restée très nette, supérieure en qualité à bien d’autres.

La hauteur totale du sujet est de 59 cm dont 27 cm pour la croix et 32 cm pour la hampe.

La croix est du type à branches égales pattées. C’est un modèle très courant dans toute la chrétienté entre l’époque des chrismes paléo-chrétiens et l’apparition des figurations de croix latines simples, soit entre le VIème et le Xème siècles, c’est-à-dire durant tout le haut Moyen Age.

En regard des croix pattées des stèles M1, M4, M5 et M6 du CISP, la croix de Kervanguen a les bras plus étroits, ce qui la rend d’apparence plus moderne.

   Confrontation plus large : des stèles funéraires franques portent, dès le très haut Moyen Age, des gravures de croix pattées. Au pays de Galles une croix pattée aux extrémités des bras est visible sur une stèle du VIIème siècle, mais plus tard un dessin très orné, sur la base de la croix potencée, se répandra.

   La présence d’une hampe soutenant la croix est, parmi les gravures bretonnes, largement particulière à notre famille de stèles du Morbihan. Généralement ailleurs à bords parallèles, terminée par une sorte de fer de lance pour les stèles de Mané-Justis et de Prostlon, par des crosses à Langombrac’h, la hampe est ici d’un pur tracé s’élargissant vers le bas.

   Parenthèse historique : lors de la guerre britto-franque de 590, l’évêque de Vannes envoie ses clercs à la rencontre des Francs, en procession « avec des croix », nous dit Grégoire de Tours. Ces croix étaient probablement du modèle patté, en bois, emmanchées sur des hampes. Le tracé de ces objets de liturgie aura été repris dans la pierre.

   La présence d’une petite hampe sous la croix apparaît sur des figurations byzantines. Elle se voit également aux pages 137 et 180 du Cartulaire de Redon, comme reporté ci-contre.

LES INSCRIPTIONS

 

Sur la reproduction photographique présentée ici l’orientation est basculée, le texte vertical étant positionné à l’horizontale pour en faciliter la lecture.

La première ligne ne prête pas à ambiguïté. Il convient de lire CROX, comme sur les stèles de Langombrac’h et de Kervily (variante CROUX sur la stèle de Prostlon), traduction CROIX. Cette manière de souligner la présence d’une croix peut entraîner des confusions dans l’interprétation de textes médiévaux : lorsqu’il y est question de « croix », il peut s’agir d’une stèle aussi bien que d’une croix sculptée.

   La forme des caractères C, R, O et X est la même que celles des lettres correspondantes des stèles M1, M4, M5, M6 et M8, notamment le R.

   La deuxième ligne est de lecture plus difficile ; Louis Goulpeau en donne une interprétation dans le présent bulletin. Nous attendons aussi l’avis des paléographes de réputation internationale ; en archéologie l’analyse complète ne suit pas de très près la découverte.

   Le dernier mot de l’inscription (probablement RAMLIO) évoque un nom attesté, Romélius. En effet les biographies anciennes de St Guénaël rapportent que le père du saint s’appelait ainsi. Compte tenu de la proximité du monastère fondé par St Guénaël au VIème siècle, il y a là de quoi être troublé. On aurait, comme pour Prostlon, un nom rapporté dans un texte, mais ici relié à une lignée nettement plus ancienne.

   Pour ceux qui s’intéresseraient aux relations entre St Guénaël et l’abbaye de Landévennec, cela alimente un débat. St Guénaël est donné, d’une manière jugée parfois douteuse, comme successeur direct de St Guénolé à la tête de l’abbaye de Landévennec. Ce qui repose sur le fait que la famille de Guénaël, notamment Romélius, habitait, selon les biographies, dans la contrée de Landévennec. Louis Goulpeau propose des hypothèses sur le transfert de la mémoire du nom auprès du Blavet.

L’ENTAILLE DANS LA STELE

Une gorge parfaitement rectiligne marque horizontalement une des faces de la stèle, environ à mi-hauteur. Il ne s’agit pas d’une entaille destinée à préparer un débitage de la pierre ; la saignée aurait alors été plus étroite ou constituée d’un pointillé.

De telles entailles sont visibles sur d’autres stèles de l’Age du Fer. Elles empruntent des formes diverses, pouvant ceinturer entièrement la stèle. Il n’est pas impossible, comme le suggère Daniel Tanguy, qu’elles aient une signification rituelle. Signification alors vraisemblablement pré-chrétienne, puisqu’elles sont généralement absentes des stèles portant une croix.

 

 

Curieusement, il existe une stèle à encoche très semblable à celle de Kervanguen, à peu de distance, dans la chapelle de Locunel. Visiblement stèle de l’Age du Fer mise à l’envers, elle est utilisée comme bénitier.

 

 

 

 

 

CONCLUSION - DATATION

   L’ouvrage CISP n’attribue de date aux gravures de nos stèles qu’à plus ou moins un siècle près. En référence au classement dans le temps indiqué dans cet ouvrage, par voisinage plus net aux modèles M1, M5 et M8, la stèle de Kervanguen serait à rapporter aux environs du VIIIème siècle.

Photos de l’auteur

 

Carte

 

Kervan1.jpg (32742 octets)

 

 

 

 

 

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