LORIENT, LA VILLE EN BOIS

UNE POTERIE AU XVIIIème SIECLE

   

Daniel Faurie

La Ville en Bois – Lorient

 

 

La place de la poterie, ses rues calmes qui l’entourent, pleines de charme, enclavée entre la rivière Scorff, cette épine dorsale qui aurait attrapé la scoliose, et la voie de chemin de fer où passent de bien paresseux TGV.

Petites maisons de deux étages ou trois, pimpantes sur rues qui montent vers le centre de la paroisse…Quartier dans le quartier. Pas d’industrie, sinon celle de la salive de nos ménagères sur le chemin du marché.

Pas d’artisanat, si ce n’est celui de la rénovation de nos maisons centenaires. C’est du presque neuf, de l’après-guerre et c’est justement l’histoire de ces lieux quelque peu mal famés, de la Côte d’Alger et de la Ville en Bois que l’on va écrire ensemble.

Des origines

Les rochers du Faouëdic, le blanc, le sieur Chaurey, la côte d’Alger, le viaduc Eiffel, la Manufacture de porcelaines, la place de la Dague , les abattoirs, le « Corail »…Tous les noms qui  font l’histoire de notre petit quartier, avec plusieurs vies, pleines de rebondissements, de strates, de scories, de fragments de poterie…d’éclats d’obus.

C’était si simple. Nos rives s’appelaient les rochers du Faouëdic. L’Orient était né des landes du même nom. 1666. Sur notre sol, des bois, une métairie. L’enclos était urbain :ici pleine campagne avec l’estuaire du Scorff et ses paluds juste en face de l’anse de Kerguillé, profonde comme une ria.

Début XXème,comme partout, on poldérise, on comble des zones qui servent de vase d’expansion aux crues de l’estuaire.

L’homme veut à tout prix des choses rectilignes, des quais, des berges, des ports.

Alors la première question que l’on se pose dans notre quartier : comment se fait-il que la place de la poterie se soit dénommée ainsi ?

C’est facile. A l’emplacement de notre « place », était une manufacture de porcelaines…et nous avons des écrits venant des Archives Départementales dont nous publions quelques extraits.

 22 avril 1790. Le premier journal public du Port de la Compagnie annonce la création sur les bords du Scorff, au lieu-dit « le Bois du Blanc », tout près des ateliers de la compagnie de l’Isle et Costes de Saint Domingue, de la Manufacture de porcelaines.

C’est au maire de Port-Louis que l’on doit la découverte de l’argile kaolinique, à Ploemeur, en 1760.

C’est le sieur Nicolas Chaurey qui implante cette fabrique de porcelaine, grâce à la proximité des gisements de kaolins.

La manufacture de porcelaines, 40 ouvriers, les lettres P et L « porcelaines lorientaises » disposées en chiffre, couleur bleue, échantillons très rares. Les ouvriers apposeront leurs initiales :G.Guenet, J.Jubin,L.Launay,N.Nicollet,P.Pollo,S.Semer.

Les plus belles pièces marquées de la lettre T avec scènes charmantes dans le genre Watteau, délicieux paysages et autres allégories dues aux pinceaux d’artistes talentueux, tel Raynal.

Puis une lettre du maire et des Officiers Municipaux déclarent et certifient que le sieur  Chaurey formé une fabrique de porcelaines:que le sieur leur a présenté "quelques objets parfaitement bien traités ".Rapport favorable ont été témoignés, d’où ce « certificat pour servir et valoir ce que de raison » lui est accordé. Maire :Duchaussoy, hôtel commun de la ville de Lorient,10 décembre 1791.

L’établissement d’un four dans l’environnement immédiat des maisons autour de la manufacture de porcelaine donne quelques épisodes relatés dans deux courriers.

« Le 11 octobre 1791, se sont transportés au faubourg de Kerentrech :

- M.Le Jeune, officier municipal.

- M.Raoul, substitut du procureur.

- M.Cordé, faisant fonction d’ingénieur à la ville de Lorient.

La maison portant l’enseigne Laurier Fleury dans la cour de laquelle est établie la Manufacture de porcelaines dont le four a occasionné des craintes aux habitants des maisons voisines.

Entrés dans la susdite maison, on nous a fait voir un hangar bâti en planches et couvert en ardoises, de 28 pieds [1] de longueur sur 14 pieds de largeur, dans lequel se préparent les matières propres à la fabrication de la porcelaine, et au milieu, un four circulaire, bâti en briques de 12 pieds de diamètre et 4 pieds « dans œuvre » surmonté d’une cheminée de 18 pouces qui excède le toit de 7 à 8 pieds .

    Après avoir examiné la situation dudit four relativement aux maisons voisines, nous avons remarqué qu’elles sont toutes couvertes d’ardoises, excepté une seule distante de 13 toises[2] et séparée de la fabrique de porcelaines par une rue fort large….ne peut résulter d’inconvénient pour les édifices situés dans le voisinage[3].

                                     Signé :     Le Jeune, Cordé, Raoul

      Le 19 octobre 1791. Procès verbal adressé à Messieurs les administrateurs du district d’Hennebont :

« L’on peut laisser sans aucun risque pour les maisons subsister la Manufacture de porcelaines. Nous sommes d’avance plus aise, que ces petits commencements pourront conduire à des établissements d’une plus grande importance et faire naître l’industrie chez un peuple sans manufacture d’aucune espèce.

Signes :Trintignant, (De) La Croix Herpin , Gélabert (maire) Le Jeune, Raoul, etc. »


Avec un peu  d’imagination, la Manufacture de porcelaines au lieudit Le Blanc-Au Laurier Fleury, à Kerentrech, au bord du Scorff,

faubourg de Lorient, en 1791.

 

   Malgré les beaux certificats, la Manufacture a beaucoup de mal à perdurer, c’est la faillite et le sieur Chaurey prend la poudre d’escampette.

   Adieu les beaux espoirs de vendre aux Amériques les produits de son art.

 

Aussi bien qu’à Sèvres, il voulait faire et avait fait venir des spécialistes de Paris, Strasbourg, Limoges, Nantes….

La nouvelle Compagnie des Indes est supprimée par la Constituante de 1790 ; la période n’était pas la bonne….Et pourtant, le citoyen Sauvageau reprend et conduit à nouveau, à la perfection, la Manufacture. Il en devient le Propriétaire. Ce qu’une lettre du 23 Primaire An 6 écrite par Pierre Bertrand nous apprend :

Mais la vente de ces articles étant diminué par la révolution, le sieur Sauvageau n’a plus les moyens de continuer, si vous venez à son secours, je vous invite à le faire jouir de la somme que le gouvernement a dû mettre à sa disposition.

Je trouve que l’avance qu’il vous demande est très peu de chose, puisqu’en six mois de temps, j’y ai mis 24 à 25 000 livres , la paix venant de l’étranger tirera de ces articles et il ne sera dans le cas de vous rembourser.

Signé :Bertrand

  

 

 

Pour se faire un peu de publicité, Sauvageau, directeur de la Manufacture , offre à l’administration, un vase, le 7 germinal An 6.

Le vase, une urne d’environ 4 dm, modelé par F. Sauvageau, d’une grande beauté, présente la Liberté et ses attributs, sur l’autre face, un trophée républicain portait, au centre, sur une enseigne R.F.L.E.F.(République Française, Liberté, Egalité, Fraternité)

Nous n’avons pu recevoir qu’un sentiment de gratitude, le don d’un objet précieux sorti de vos fourneaux, ce, nous l’exposons d’une manière distinguée aux regards des connaisseurs, Le fini de cet ouvrage justifie les talents qui vous distinguent. Et les caractères qu’il représente prouvent à nos successeurs que Liberté-Egalité-Fraternité, droits de l’homme et constitution étaient des mots chers aux artistes de la Manufacture de Porcelaines de Lorient.

26 germinal an 6

 

 

Vase offert par le directeur de la Manufacture

 

 François Sauvageau mourut le 25 Pluviôse An 13. Il était né à Vaugirard. Rappelons les ouvriers : E.Semer, Pierre Denis, Jacques Jubin, Denis Guenet, Antoine Nicolas, René Vertou.

 Témoins à son mariage, ils assistèrent à son enterrement.

 Sa veuve Marie Fouquet poursuivit son œuvre. Le directeur Lazare-Marie Hervé épousa une des filles Monistrol. Elle fut copropriétaire du « Blanc » avec ses frères et ses sœurs(acte de vente du 7 Nivose an 14.

Hélas, l’industrie périclita  pour de bon, elle cessa en 1808, faute de successeurs.

Et voilà pourquoi nous avons une place de la poterie au lieu « Le Blanc » »Au laurier Fleury »,sur les bords du Scorff, dans les faubourgs de Kerentrech, sur des prés pentus bien ensoleillés.

 Et si nous revenons au temps présent…

Une voisine, lors de fondations dans son jardin donnant sur le Scorff, a trouvé des débris de vaisselle. Blanche et bleue…

S’agissait-il des pièces du sieur Chaurey ou du sieur Sauvageau ?

A méditer !

 

Maternité

 

1] Un pied valait 0,324 mètre , divisé en 12 pouces .

[2] La toise valait 1,949 mètre

[3] Un four pour cuire de la porcelaine doit produire de 1 250 ° à 1 400°. On comprend aisément les doutes des voisins ; plus tard, ce seront les escarbilles des locomotives qui feront frémir les riverains du chemin de fer (1862).