Un point remarquable du paysage du Pays Pourlet.
La colline de Lochrist culmine à 255 mètres. Elle est visible de
Quelven (Guern) à 20 km à l’est, de Kerfandol (Ploërdut) à 8 km au
nord, de Sainte-Barbe (Le Faouët) à 12 km à l’ouest, de la forêt de
Pontcalleck à près de 9 km au sud. Elle s’étire en pente douce vers
l’est sur Ploërdut et forme la limite de partage des eaux entre le
bassin versant du Scorff au sud et celui de l’Aër au nord. Cette dernière
rivière rejoint l’Ellé, près de la Roche-Piriou, au sud-est du Faouët.
Sur le
plan géologique, la colline de Lochrist appartient à une bande de grès
armoricain clair, bien exposée dans les communes de Saint-Tugdual et de
Ploërdut, qui se suit sur 25 km de Crémenec en Priziac jusqu’au
sud-ouest de Langoëlan. Un mince filon de quartz coupe par le nord et
d’est en ouest la zone gréseuse dans un secteur où elle est modifiée
par la granulite.
Un carrefour très ancien.
Une voie de crête nord-sud traverse la lande de Lochrist.
Venant vraisemblablement de la côte, discernable dès Plouay à Lézot,
elle entre en Inguiniel dans les environs du Moustoir, atteint le bourg de
Kernascléden. Elle passe « La Gare » où Mlle Chany a trouvé,
dans son potager, deux armatures de flèches en silex qui ont été cassées
au moment de la taille. Plus au nord, à Moustoiriallan, en Ploërdut,
c’est un polissoir qui a été découvert parmi les pierres du lavoir,
tout près de la voie. Elle atteint Lochrist devant la chapelle, traverse
la lande au plus court pour rejoindre le bourg de Saint-Tugdual par
Coatcren. Progressant toujours plein nord, elle escalade la colline de
Kerbidic en côtoyant les vestiges d’une enceinte circulaire en terre,
traverse Kerguzul et sa motte
castrale, dépasse par l’est La Villeneuve Saint-Noay et son enceinte en
terre. A la hauteur du château de Trégarantec, la voie gallo-romaine
Hent-Ahès, qui vient du sud-est, emprunte son tracé sur 1 km pour
contourner par le nord les sources de l’Ellé. Elle laisse ensuite
Saint-Michel Glomel à l’ouest et se dirige vers Pont Auffret et
Rostrenen. On la suit ainsi en consultant les cadastres napoléoniens sur
une distance de plus de 35 km. Voie de crête nord-sud, dont le parcours
est parsemé de vestiges très anciens, cette route nous semble être une
des voies primitives qui a pu succéder à un cheminement peut-être mésolithique,
éventuellement une de ces fameuses « routes du silex ».
Une
autre voie traverse la lande de Lochrist d’est en ouest. Reprise par la
D132 et continuant la route Le Faouët-Priziac que S. Le Pennec considère
comme gallo-romaine, elle passe par Le Croisty et Ploërdut. Elle continue
vers l’est, traverse le Scorff à Saint-Houarno, croise Hent-Ahès et
rejoint Séglien. De là elle a pu atteindre Silfiac et, par Perret, le réseau
routier gallo-romain Rennes-Carhaix en évitant par le sud le dense
chevelu des sources de l’Aër et du Scorff. S. Le Pennec la considère
comme une voie importante qui a pu relier Quimper à la région de
Saint-Malo.
La lande de Lochrist a toujours été très correctement reliée au monde.
Cela a encouragé les hommes
à s’y installer.
L’époque néolithique
Une occupation
humaine y est donc attestée par la voie ancienne qui la traverse du nord
au sud mais aussi par la belle
hache de microgranite de Coat-Cren. Découverte au cours d’un labour au
nord-est du hameau par Monsieur Barbère de Kerborgne, elle mesure 13.5 cm
de long. Son tranchant, en excellent état, est large de 5.2 cm. Son épaisseur
ne dépasse pas 3 cm. On peut aussi rattacher à cette époque le
polissoir de Moustoiriallan.
Une stèle de l’âge du fer.
L’époque gauloise représentée par un monolithe de granite clair de près
d’1.50 m de long . C’est P. Kernec
qui l’a signalé en 1979, à 200 m au N-E. de la chapelle de
Lochrist, sous la souche d’un pin arraché par la tempête, dans une
enceinte quadrangulaire plus récente dont les côtés approchent la
quarantaine de mètres. M. Tuarze rapporte que « ce monolithe
porte un angle épannelé droit et une de ses faces restée brut de taille
suggérerait le débitage dans une stèle rectangulaire. » Une
de ses extrémités a été façonnée ultérieurement, peut-être
« en vue d’une christianisation qui n’aurait pas été menée
à son terme ». Remarquons que ce bloc de granite a été très
certainement, au prix de quelques efforts, apporté volontairement au
sommet de cette colline gréseuse.
Une villa, un fanum et un bas-fourneau gallo-romains.
L’époque gallo-romaine a laissé plus de traces
d’occupation dans la partie est de la lande. De très nombreux tessons
de tegulae, de sigillée, de poterie grise commune parsèment les labours
à l’est du bois. Rappelons que les vestiges d’une villa ont été découverts
par A. Barach de la SAHPL suite au défrichement d’une lande, entre
Lezannué et La Villeneuve, à
moins de 500 mètres toujours à l’est. Des travaux de sylviculture, après
la tempête de 1987, ont aussi dégagé beaucoup de tegulae et des tessons
de poterie grise commune dans la surface boisée.
Tout près de là, sous le couvert, une enceinte carrée de 70 mètres de
côté, ouverte à l’est, contenant elle aussi de la tegulae, au sol
rehaussé et aplani, rappelle immanquablement le péribole du fanum de
Jublain (Mayenne). Des fragments de tegulae mêlés à un amoncellement
assez important de petit appareil de granite de forme presque cubique
pourraient être les vestiges de la cella. Les tuiles que les membres de
l’Association d’Archéologie et d’Histoire du Centre-Bretagne y ont
récoltées ont été datées des années 150 après J.C. D’après J-Y
Eveillard, cette enceinte pourrait être l’un des seuls fanums encore en
élévation en Bretagne. Les exemplaires fouillés dans l’ouest avaient
tous remplacé des lieux de culte laténiens. Si celui-ci ne fait pas
exception à la règle, nous pourrions nous trouver à Lochrist, en intégrant
la chapelle, devant une permanence du sacré sur près de 25 siècles.
Une enceinte médiévale ?
Rosenzweig en 1863 avait déjà signalé au nord-est de la
lande, à droite de la route qui descend vers Coat-Cren, une enceinte
rectangulaire de 60 m sur 50. Le côté occidental de son massif parapet
de terre et de pierre a, depuis, été rasé par des travaux de défrichement.
Ces enceintes en terre ont été occupées de la protohistoire au XIIIème
siècle. En l’absence de fouilles, il est toujours périlleux
d’essayer de les dater avec trop de précision. Nous sommes cependant
tentés d’émettre juste une suggestion. La fortification a été
construite en contrebas de la voie. Cette position ne nous semble pas très
favorable à la surveillance de la circulation. Elle est située sur le
flanc nord de la colline de Lochrist. Le panorama y est somptueux. Devant
elle, s’étend la vallée de Saint-Tugdual avant une ligne de collines
boisées qui culminent à 280 m. Cette ligne de hauteurs est elle-même défendue
du côté sud, donc exactement en face de notre fortification par un
chapelet d’une demi-douzaine d’autres enceintes de terre circulaires,
toutes tournées vers le sud, qui se succèdent à flanc de coteau sur 5
km aux alentours des 200 mètres d’altitude. Et si certains de ces
ouvrages défensifs avaient appartenu à la Marche de Bretagne dont une
des limites se situe chez nous autour de l’Ellé et de ses affluents ?
Notre enceinte de Lochrist serait-elle une de ces « custodiae »
(ouvrages de protection) que Louis Le Pieux fit édifier avant de quitter
le territoire breton en 834? Dans ce cas, les enceintes de
Saint-Tugdual auraient pu appartenir au territoire sous domination
bretonne. A noter que le « camp romain » du bois de Coët-Codu
en Langoëlan est lui aussi quadrangulaire, en terre, et placé sur le
versant nord de la colline. De là, on embrasse aussi un paysage
majestueux, toujours vers le nord. Lochrist serait alors placé juste sur
la frontière, du côté franc. A. Provost semble nous rejoindre dans nos
spéculations : « … Le
second point concerne les enceintes et sites défensifs implantés de part
et d’autre des hauteurs séparant le Vannetais de la Cornouailles, en
particulier vers Saint-Tugdual où la densité des sites fortifiés est
particulièrement impressionnante autour de la cote IGN 200. Certes, tous
ne sont pas isochrones et, si les éléments recueillis indiquent parfois
le Haut-Moyen-âge, la majeure partie de ces petites fortifications
n’est pas datée. Au titre de piste de travail, l’hypothèse d’une
ligne de défense ou d’une zone frontière aux confins nord-ouest de la
Marche de Bretagne dans la lutte entre Bretons et Francs, est à prendre
en considération... » Rappelons pour conclure sur ce point que
Louis Le Pieux avait établi, en 818, lors de son expédition contre
Morvan, son camp à Priziac et que Saint-Tugdual et Le Croisty
appartenaient à cette époque à ce territoire.
Une chapelle d’origine romane.
Le véritable joyau de la lande de Lochrist reste incontestablement sa
chapelle. Le bâtiment orienté est étonnamment trapu. Le vaisseau
central s’ouvre sur le bas-côté nord par trois arcades en plein
cintre. Sur l’enduit du mur qui leur succède, des traces d’humidité
dessinent une quatrième arcade, identique aux trois premières. De ce côté,
des sondages en vue d’une restauration future, ont mis à jour, sous
l’ancien enduit, les vestiges d’un décor peint géométrique. Le
retable cache lui-aussi des peintures murales. Les arcades du midi sont en
arc brisé. Cette partie occidentale de la chapelle pourrait appartenir au
roman tardif. Des travaux notamment du XVIIè siècle ont fortement remanié
le reste de la construction. « Malgré tout, la chapelle conserve
une certaine unité grâce à sa belle robe de granit ». Des
pillages successifs ont amoindri son mobilier qui reste important.
L’ensemble religieux moderne est complété par un calvaire qui a dû
connaître des heures plus glorieuses. L’ouvrage de J. Danigo présente
la photographie d’un fragment de bas-relief en granit
représentant le portement de croix qui a certainement appartenu à
ce calvaire. Il ressemble aux calvaires de Saint-Tugdual et de Locuon du
XVIè siècle qui sont vraisemblablement issus d’un même atelier. Ce
fragment a été volé en 1967 ainsi que plusieurs autres statues. Une
fontaine appareillée datée de 1734 se niche en contrebas sous le couvert
de pins sylvestres.
Les
vestiges de quinze loges.
La lande de Lochrist est caractérisée par les vestiges d’une
quinzaine de loges d’habitation. Ce mode d’habitat a perduré
longtemps dans nos campagnes: J. Le Tallec nous a communiqué la
description de l’une d’entre elles qui date de 1664. En 1853, on en
construisait encore une à Lisouriet, en Langoëlan. Semblables à première
vue aux maisons médiévales de Pen er Malo, de Pontcalleck ou de Lann
Gouh Velrand, elles s’en différencient par quelques aspects essentiels.
Les
loges de Lochrist sont toutes excavées. Les parois sont formées de
l’amoncellement de la terre et des caillasses issues du creusement. La
plupart ont été construites en appui sur un talus préexistant. Cela
permettait d’économiser de la terre et de monter d’autant l’ensemble
des cloisons. Contrairement
aux maisons médiévales, aucun parement n’apparaît. Ces parois ne sont
que des paravents incapables de supporter la moindre toiture de végétaux
ou de mottes enherbées. Celle-ci devait donc reposer sur le sol,
englobant l’ensemble de la construction.
A
Lochrist, certains de ces « logerons »
ne comportent qu’une pièce, les animaux et les humains y
vivaient ensemble. D’autres sont coupés par une cloison, elle aussi de
la matière du sous-sol, qui était vraisemblablement surmontée d’un
clayonnage. Les deux pièces communiquent. Les humains et les animaux
dormaient séparés mais entraient et sortaient de la maison par
l’unique porte. D’autres encore
comportent deux pièces et deux portes. Une sorte de porche encadre
souvent la sortie de la loge toujours placée au sud. Il forme ainsi
comme une deuxième pièce.
La loge Le Boursicot est un peu particulière. Elle semble avoir été
creusée dans une autre enceinte, antérieure, à peine plus vaste. Un
gros monolithe de granite, relativement plat, de la forme d’un triangle
dont les angles auraient été fortement arrondis, est percé en son
milieu par un trou rectangulaire inachevé. Il peut rappeler le projet
d’un support de croix. Posé de guingois, il est à moitié intégré
dans le muret de la loge, comme si les constructeurs l’avaient trouvé
dans le sous-sol, en creusant l’emplacement de la construction et
n’avaient su qu’en faire. On y trouve 4 cupules très nettes.
Grâce
au cadastre napoléonien (1842) et au recensement de 1841, les 80
habitants des 20 loges de l’époque ne nous sont pas tout-à-fait
inconnus. Ils étaient présents sur les lieux au moins depuis 1735 date
à laquelle des monitoires et reagraves (des appels à témoins publiés
aux prônes par les prêtres) accusent certains d’entre eux d’avoir
donné asile à « des mauvais garnements et gens inconnus qui
volent et qui pillent » « avec des filles de mauvaise
vie », peut-être des membres de la bande de Marion du Faouët ?
Ces « détenteurs » de portions de lande appartenaient
à la frange pauvre de la population agricole, des « indigents »
note une délibération du conseil municipal de 1860. Presque tous étaient
« laboureurs journaliers ». Seuls trois d’entre eux
faisaient exception à la règle : Louis Guillemot était couvreur,
Joseph Iziquel et Germain Réty étaient tisserands. Leur cheptel offrait
la part belle aux moutons et aux chèvres, ils ne possédaient donc aucune
force de travail autre que leurs bras. Difficile dans ces conditions de se
sortir de sa misère. Chaque loge était environnée de petites parcelles
réparties en prés, en terres labourables et en landes. Un acte de vente
du XIXè siècle décrit, en plus d’une loge de 48 m2, une parcelle de
« 30 ares de seigle ensemencé » et cinquante gerbes de
paille. Ce sont là les seules allusions à une culture sur la lande de
Lochrist. Cet acte nous prouve aussi que les édificiers des loges étaient
propriétaires de leurs bâtiments. Ils ont pu occuper ces « terres
vaines et vagues », ces « terrains jusqu’ici
improductifs et inutiles », propriété communale « en
vertu la loi des 28 août et 14 septembre 1792 » jusqu’au 20
mai 1860, date de la vente de la lande pour 18 016 francs à Monsieur
Jean-Louis de Launay, propriétaire à Guémené. On devine en lisant
entre les lignes les comptes-rendus de conseils municipaux que les
habitants de la lande ont tenté, en vain, de s’opposer à la vente. La
tradition orale rapporte que, chassés par la maréchaussée, ils auraient
trouvé refuge notamment au Moustoir-Podo et à Cornhospital, sur le
territoire du Croisty. Dans ces deux hameaux on trouvait encore, il y a
peu, plusieurs toutes petites maisons excavées, sortes de compromis entre
la « loge » et la « vraie » maison.
Ces
loges ont été longtemps chez nous l’habitat des plus pauvres. Ce sont
elles, les « habitations des pauvres paysans » qui sont
décrites par J. Cambry en 1794, Villermé et Benoiston en 1843, et E. W.
Davies en 1855. La relation que ces voyageurs font de la vie dans ces
logements de fortune est assez effroyable et doit pouvoir s’appliquer
assez justement à ce qu’ont vécu les habitants des loges de Lochrist.
Grâce à Jean Le Gal, de l’association Arethuse qui nous a communiqué
une copie de son acte de naissance, nous avons souvent, en passant devant
les vestiges de la loge Le Bris, une pensée pour la petite Perrine qui y
est née, « le 3 nivôse an six de la République française »
(à la fin du mois de décembre 1798). Le document daté du « vingt
quatre floréal an sept de la République française » décrit
l’habitation comme « un petit loget nouvellement baties dans la
lande de Lochrist ».
Pour
finir avec ces logements de fortune sur une note un peu plus heureuse, une
Croistyate se souvient que sa famille possédait une loge pas très loin
de Lochrist, à Garhenec, sur la commune du Croisty. Du temps de sa
jeunesse, ils y venaient quelquefois passer l’après-midi à la belle
saison et leur « petit logeron » servait alors de
maison de campagne, une sorte de luxe en guise de clin d’œil à la misère
d’autrefois…
Tout au long de son histoire, au moins épisodiquement, la lande de
Lochrist a abrité et en partie nourri un grand nombre d’humains et
d’animaux domestiques. Elle est maintenant un lieu désert où seule la
« sauvagine » prospère mais les traces de ces anciens sont
encore discernables. Il suffit de rechercher les clés du rébus…
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migrations bretonnes du « Bro Gwenedour ». U.E.R. Sciences
Historiques et Politiques. Mémoire de maîtrise. 1985.
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D.E.A.. 1987.
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Morbihan. Société Polymathique. 1863.
Association de l’Abbaye de Daoulas. « Au temps des Celtes Vème
-1er siècle av. JC» Catalogue exposition.
L’allure générale de certaines
loges de Lochrist dotées d’un porche rappelait-elle cette maison
gauloise ?