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LA PRODUCTION DE SEL DANS LES ÎLES ET SUR LE LITTORAL BRETON

A L’EPOQUE GAULOISE

   

Marie-Yvane DAIRE*

Chargée de Recherche au CNRS, Rennes

 

UMR 6566 “ Civilisations atlantiques et archéosciences »

(CNRS, Universités de Rennes 1, Rennes 2, Nantes, Ministère de la Culture).

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            Le sel, produit vital pour l’homme et les animaux, joue de multiples rôles (médecine, peausserie…) ; c’est également un agent de conservation des alimentations carnées (viandes, poissons, mais aussi fromages).

            Les principales sources d’approvisionnement en sel exploitées pendant la Préhistoire sont d’une part, les mines de sel gemme et d’autre part les eaux salées, exploitées par des méthodes dites “ ignigènes ” ou “ ignifères ”, qu’il s’agisse de sources (Pologne, Lorraine, Angleterre) ou de l’eau de mer (côtes de la Manche et de l’Atlantique). La matière première est traitée dans des structures de combustion (fours ou fourneaux) de sorte à accélérer l’évaporation de l’eau et la concentration des sels, jusqu’à la cristallisation de ces derniers dans des récipients d’argile et l’obtention de pains de sel séchés.

           Les récentes recherches menées sur ce dernier type d’exploitations (1), connues sous le nom d’installations de “ briquetages ” ou encore “ d’ateliers de bouilleurs de sel ” ont nettement fait progresser les connaissances dans l’Ouest de la Gaule , en particulier pour la période de l’Age du Fer. Plus de cent cinquante de ces ateliers sont aujourd’hui recensés le long des côtes bretonnes. Des fouilles archéologiques ont été menées sur les ateliers armoricains des Ebihens à Saint-Jacut-de-la-Mer, de Landrellec et d’Enez Vihan à Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), de l’île d’Yoc’h à Landunvez (Finistère) et des Saisies à Groix et d'Ilur, dans le Golfe du Morbihan. Ces recherches de terrain nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de ces ateliers, les chaînes opératoires, les choix architecturaux…

Pour s’en tenir aux recherches les plus récentes, nous évoquerons les données livrées dans le cadre du programme dirigé par N. Molines (Université Rennes 1, UMR 6566) depuis 2001 et visant à l’étude diachronique du peuplement de l’île de Groix (Morbihan) (2) (3).

L’occupation humaine de l’île de Groix, pendant l’Age du Fer, est caractérisée par plusieurs sites livrant divers types de vestiges. Mais à la fin de l’Âge du Fer, la côte sud de l’île et la zone de Locmaria, en particulier, était le siège d’une activité artisanale importante, avec des gisements de briquetages installés en bordure de côte et connus jusqu’en 2003 uniquement par des prospections et ramassages sur l’estran, à la Pointe des Saisies, à Kermarec- Port Roed et à la pointe des Chats-Port Morvil, sur la commune de Locmaria (4).

 

 

 

 

 Haut : sites de l’Âge du Fer connus sur l’île de Groix en 2006.

Bas : Plan d’ensemble des vestiges du site de la Pointe de Saisies à l’île de Groix (Morbihan)

(Relevé M.Y. Daire, DAO L. Quesnel).

 

Le sondage mené à la Port-Morvil montra assez nettement que, si un site de briquetages a incontestablement existé en ce lieu (quelques restes étant encore bien visibles en coupe de falaise), les vestiges subsistants sont extrêmement ténus, probablement parce que le site est érodé à l’extrême et qu’il n’en subsiste que les ultimes témoins. Ceci s’est manifesté à la fois dans la stratigraphie du sondage mais aussi à travers la quantité de mobilier collecté (450 g), pratiquement insignifiante par comparaison avec le sondage de la pointe des Saisies. Cette situation parait aggravée par la perturbation résultant d’une décharge sauvage d’ordures, qui a cependant ramené le mobilier le plus significatif en surface (quelques tessons de céramiques domestiques de l’Age du Fer, accompagnés d’éléments de briquetages caractéristiques). Sans être totalement négatif, ce sondage ne nous a pas incités à envisager des recherches plus approfondies sur ce secteur.

A la Pointe des Saisies les sondages ont permis la découverte de structures et niveaux en place. Le site a connu une réutilisation très postérieure à l’Âge du Fer, manifeste par la présence d’éléments modernes (notamment un tesson de céramique glaçurée et deux fragments de tuyau de pipe en terre blanche) ainsi que de structures ayant en partie bouleversé les niveaux et aménagements antérieurs.

 Probablement liée à la production du sel, une vaste fosse (S8) a connu une phase de combustion assez intense et a ensuite servi de dépotoir. Puis, toujours en liaison avec cet artisanat, la principale structure est un four (S7) dont la longueur totale peut être évaluée à environ 2 m pour une largeur de 1 m. Lui sont associés des moules à sel en forme d’augets parallélépipédiques et une grille supportée par des voûtains. Des murets de pierre sèche à double parement (S3 et S6) et au tracé incurvé sont des éléments architecturaux également attribués à l’Âge du Fer.

 En totalité, ce sont 352 kg d’éléments de briquetages, liés à la production du sel, qui ont été collectés sur le site. Ils correspondent à deux technologies différentes, à savoir d’une part une grille amovible, à base de briques et de boudins de calage et, d’autre part un four à grille fixe (structure S7) à voûtains.

Le mobilier domestique est principalement constitué de plusieurs fragments d’amphore Dressel 1 (fragments de panse et d’anse), en association avec des éléments de céramiques domestiques, que leurs caractéristiques typo-morphologiques (dont des lèvres à cannelure interne fine, des poteries ornées de stries multiples…) permettent une attribution à La Tène finale et plus précisément au 1er siècle av. J.-C.. La présence de ces derniers mobiliers tend à indiquer une occupation sporadique du site au cours de l’antiquité, peut-être en continuité de l’occupation gauloise.

 Ces éléments renouvellent la réflexion sur cette production artisanale dont les infrastructures demeurent relativement moins bien connues sur la côte sud de la Bretagne et sur la côte atlantique, d’une manière plus générale que sur les côtes de la Manche (Daire, 2003). Par ailleurs, l’association, aux Saisies, de mobilier domestique et artisanal apporte un certain nombre d’informations utiles sur la chronologie de l’occupation, assez tardive, ainsi que sur les contacts ayant existé entre les populations locales et d’autres, extérieures à la région, ou bien des négociants (présence d’amphores vinaires, notamment). Ce type d’approche est d’autant plus pertinent que l’on a affaire ici à un territoire insulaire à cette époque, dont la position géographique pourrait avoir induit un rôle fondamental dans les circuits d’échanges par voie maritime.

 Les données historiques et les textes antiques nous aident à situer cette activité dans le contexte économique de l’époque. Les données archéologiques nous montrent que la production de sel, à l’aube de la conquête romaine, était une activité florissante et sans doute économiquement significative sur les côtes de l’Armorique. La question de la production est intimement liée à celle des transformations (salaisons) et des débouchés (vers la Méditerranée, en particulier), le sel paraissant, pendant tout l’Age du Fer, avoir été lié aux circuits d’échanges à l’échelle européenne.

 

 

Notes

 

(1) Programme autorisé et financé par le Ministère de la Culture (DRAC, SRA Bretagne) et le Conseil Général du Morbihan.

(2) DAIRE M.Y., 2003 – Le sel des Gaulois. Éd. Errance, 152 p.

(3) MOLINES N., DAIRE M.Y., GUYODO J.N. 2004 – Les premiers peuplements de l’île de Groix. Penn ar Bed, n° sp. Histoire Naturelle de l’île de Groix, n°190-191, déc. 2004, p. 39-45.

(4) Ces deux sites des Saisies et de Port-Morvil se trouvant inclus dans l’emprise de la réserve naturelle, les travaux et sondages y ont été réalisés en accord et en concertation avec les gestionnaires de la Réserve François Le Bail et la Société “Bretagne Vivante” (SEPNB, Société pour l’étude et la protection de la Nature en Bretagne) que nous remercions pour leur collaboration.

 

   

 

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