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LES OSSARIA.

UNE PRATIQUE FUNERAIRE GALLO-ROMAINE EN PAYS VENETE.

Résumé de la conférence donnée à la Société d'Histoire et Archéologie

du pays de Lorient.
par
Joël LECORNEC.
Conservateur des collections de la Société Polymathique du Morbihan.

 

Pour reprendre brièvement l'historique de la recherche concernant des "coffres" de forme cylindrique auxquels il fut donné à l'époque le nom de "pile mil", il nous remonter à 1955 date à laquelle le chanoine Danigo écrivit le premier article les concernant dans le volume annuel de la Société Polymathique du Morbihan. Ce fut le début d'une polémique qui prit de l'ampleur entre les années 1956 et 1961, les uns voyant dans ces "coffres" des monuments à fonction funéraire (Lepart, André, Coppens, Lecornec), les autres demeurant partisans d'un dispositif à écraser le mil (Danigo, Rio). Mais des recherches plus récentes (Tuarze, Pape) ont conduit à réaliser un pré-inventaire (C. Saujot-Besnier, 1977,1999), puis, à l'instigation de la section Archéologie-Préhistoire de l'Institut Culturel de Bretagne et du Centre Régional d'Archéologie d'Alet, une prospection suivie d'un inventaire d'une étude analytique et comparative nous fut confiée et aboutit à la publication d'un volume (Lecornec J.et Saujot Besnier C., 2002).

Un inventaire ne pouvant être exhaustif, les recherches se sont poursuivies après cette publication, donnant lieu à un premier complément d'inventaire dans le volume annuel de la SPM en 2003, qui sera suivi en 2005 par un second inventaire complémentaire. En effet l'intérêt suscité par ce travail a réveillé historiens locaux et propriétaires de ces monuments, si bien qu'à l'heure actuelle ce sont 1012 ossaria qui ont été répertoriés et analysés.

De nombreux points de réflexion nous ont conduits à ne plus considérer ces monuments en granite ou leucogranite comme "pile mil".

Conçus en trois éléments - le fût présentant un réceptacle, la couronne s'adaptant au sommet du fut par un système de mortaises et tenons ou un dispositif comportant moulure et saignée, un couvercle obturant la partie supérieure de la couronne mise en communication avec le réceptacle du fût par un orifice vertical- ce dispositif est beaucoup trop complexe pour remplir le seul rôle de broyeur de céréale.

Par ailleurs les profils des réceptacles sont très variés: ovoïdes, coniques, tronconiques, hémisphériques ou rappelant encore le profil d'amphore avec son culot. Or il est bien évident que seul le profil hémisphérique est adaptable à la récupération d'une poignée de mil décortiqué.

Le profil en entonnoir de la partie supérieure de la couronne ne présente aucun intérêt pratique si l'on avait à considérer l'ensemble comme un pile mil. Il semble plus judicieux de penser que ce profil était destiné à faire couler un liquide provenant de libations destinées au défunt.

Les formes des fûts parfois très recherchées - multiplicité des pans (8, 10, 12, 15), ornementations réalisées à l'aide de moulures, représentations végétales ou bien encore de personnages (bustes ou personnage en pieds), motifs géométriques - n'incitent guère plus à abonder dans le sens des partisans du pile mil.

Enfin la répartition des monuments fait apparaître une absence totale de leur présence dans des secteurs considérés comme gros producteurs de millet à l'époque où cette céréale était encore cultivée. C'est le cas en particulier de la zone littorale.

Au sujet de cette répartition tant en Armorique qu'au delà de nos frontières régionales, il est intéressant de constater que dans l'ouest, seul le Morbihan présente la particularité de posséder de tels monuments. Une recherche effectuée dans les autres départements bretons a fait apparaître une petite concentration d'ossaria, environ une vingtaine, dans le Cap Sizun (Le Goffic M.,2002).En revanche hors de l'Armorique seuls quelques points ont attiré notre attention : le Limousin, le département de la Creuse qui en comptait 1372 et la Haute-Vienne 400 après l'inventaire de 1943, l'Auvergne et la Charente avec un nombre de monuments très nettement inférieur, et enfin dans le nord-est le Pays Trévire. A la différence des ossaria vénètes tous ces monuments ne comportent pas de couronne mais seulement un fût et un couvercle, et ont été fréquemment trouvés groupés en véritable nécropole. Un dernier point enfin, si dans les régions précédemment citées ces monuments funéraires étaient destinés à être enterrés, le couvercle seul pouvant apparaître à la surface du sol, il semble bien que les ossaria vénètes étaient conçus pour être vus soit à l'intérieur d'un sanctuaire domestique soit dans un sanctuaire public proche de l'habitat.

En conclusion, on ne peut que se réjouir de l'intérêt présenté par un tel inventaire et une telle analyse. Le travail se poursuit, nous recueillons toujours des informations, mais des problèmes surgissent liés à la grande mobilité de ces monuments et à l'intérêt qu'ils présentent pour certains collectionneurs ou commerçants.