Pour une archéologie
expérimentale du chantier mégalithique.
Les
impressionnantes mises en œuvre mégalithiques d’Occident, pierres dressées
ou chambres funéraires enfouies sous leurs structures de recouvrement, posent
d’emblée le problème de leur construction. Comment les monuments mégalithiques
ont-ils été édifiés ? Quelles techniques ont utilisées les hommes du Néolithique pour
extraire, tracter, déplacer, façonner et ériger des blocs de plusieurs
dizaines de tonnes ?. Le paradigme de cette question reste aujourd’hui le
Grand Menhir de Locmariaquer.
Face
à ces quatre blocs dispersés sur un gazon, difficile d’imaginer que ce site
fut le théâtre d’un des moments les plus intenses de la vie des hommes du Néolithique,
le plus grand chantier de l’époque il y a 6800 ans. Pourtant, avec ses 20,50
mètres pour 280 tonnes, elle est la plus grande et la plus lourde pierre jamais
manutentionnée dans toute la préhistoire européenne ! Et comment ne pas
être pris de vertige quand on sait qu’elle fut déplacée sur près de 10
kilomètres et qu’elle a très certainement flotté pour traverser la rivière
d’Auray.
Problème,
si les monuments mégalithiques nous sont parvenus à l’état de ruine,
souvent très avancé, le chantier mégalithique, la phase initiale de mise en
œuvre des blocs, n’a laissé aucune trace. La traction et l’élévation
des mégalithes ont longtemps été une énigme, d’où l’émergence
d’hypothèses les plus extravagantes, jusque dans les années 1980 (écluses
hydrauliques, tapis roulant de céréales, glissades sur sol gelé, intervention
d’extraterrestres ou de forces telluriques ou magnétique) autant de versions
contemporaines des géants d’autrefois.
Pour
se construire une idée de la réalité matérielle, technique, sociale, voire
mythologique et religieuse du chantier mégalithique, plusieurs pistes peuvent
être empruntées de manière complémentaire. La première consiste à se référer
à des populations actuelles qui pratiquent ou pratiquaient il y a encore peu de
temps, de tels déplacements. Les apports de l’ethno-archéologie sont considérables
dans le domaine qui nous préoccupe.
On
peut aussi étudier les techniques employées dans l’Antiquité (en Egypte par
exemple) mais aussi avoir recours aux données modernes et contemporaines des
arts et métiers en s’intéressant aux manutentions historiques de lourdes
charges (déplacement et érection de l’obélisque de Louxor sur la place de
la Concorde en 1836, etc.).
Enfin
et surtout nous pouvons nous appuyer sur les reconstitutions proposées par
l’archéologie expérimentale. En effet, pour en finir avec les hypothèses
archéo-maniaques, plusieurs expériences ont été menées sur le terrain
depuis quelques décennies. Dès les années 1970, Richard Atkinson fait tracter
à Stonehenge des dalles par ses étudiants, trente-deux pour un bloc de 1,5
tonne. Dans les années 1960 et 1970, Michel Gruet et Bernard Passini, utilisant
les astuces et tours de main des vieux carriers, restaurèrent de nombreux
monuments mégalithiques du Maine-et-Loire, avec des moyens très rudimentaires
mais ô combien efficaces. En juillet 1979, sur le plateau des Chaumes à
Exoudun où affleure le banc rocheux d’où vient la dalle de 32 tonnes d’une
tombe F2 de la nécropole mégalithique de Bougon (Deux-Sèvres), pour la première
fois, un bloc du même poids a été tiré, sous la direction de Jean-Pierre
Mohen, par deux cents personnes et levé par soixante d’entre elles,
manipulant en même temps trois grands leviers, utilisant les mêmes matériaux
d’origine : rouleaux de bois, cordes végétales tressées, haches polies
pour tailler les troncs, pics en bois de cerf et coins en bois pour entailler la
roche, percuteurs siliceux pour boucharder et régulariser la pierre. La
technique a été améliorée en 1997 par l’équipe de Bertrand Poissonnier,
avec un système de moyeu à rayons.
Après
ces expérimentations, et nonobstant le fait qu’elles posent plus de questions
qu’elles n’en résolvent, la mécanique mégalithique apparaît astucieuse,
et sans savoir exactement celle qui était précisément utilisée, on sait désormais
qu’elle est non seulement humainement accessible, mais que pour défier le
poids des pierres, elle a atteint un degré d’élaboration digne des meilleurs
architectes.
Le
questionnement sur le chantier mégalithique dépasse largement le seul domaine
technique et interroge la notion même de mégalithisme dans toute sa complexité,
nous obligeant à définir mieux l’objet de notre recherche. C’est ce que
nous essaierons de développer au cours de cette causerie.