Bulletin n° 38 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
HISTOIRE DE LA LANGUE FRANCAISE
Michèle Benoit 8 rue de Kerlouarnec 29100 – Douarnenez
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
La Société d’Archéologie et d’Histoire du Pays de Lorient m’avait conviée, ce samedi 13 juin 2009, à vous exposer l’histoire de la langue française. À croire que depuis cet été-là, l’intelligensia (un mot russe) s’était emparée du sujet, tant les publications concernant la bonne utilisation du vocabulaire, de la grammaire ou de l’orthographe ont été nombreuses. Comme nous avions déjà un aperçu de ce débat d’idées, il nous fut plus facile d’appréhender : «Zéro faute d’orthographe, une passion française» de François de Closets, «La langue française au défi» de François Taillandier, «Dictionnaire amoureux des langues» de Claude Hagège, le catalogue de l’exposition «Paris, capitale des livres», les dernières publications d’Erik Orsenna et bien d’autres encore… Parallèlement à ces succès «à la mode» il est étonnant de constater à quel point les francophones méconnaissent l’évolution de leur langue. Pourtant, cette histoire a été minutieusement décrite par les grands maîtres de la linguistique que sont Charles Bruneau et Ferdinand Brunot ou Charles Beaulieux et Pierre Guiraud, mais elle n’est pas enseignée dans les écoles. Je possède une petite «Grammaire Française simple et complète pour toutes les classes» (P. Crouzet, G. Berthet, M. Galliot) de 1919, où chaque règle énoncée est suivie d’une «explication historique dans le but de rendre plus intelligible l’usage actuel de la langue». Que n’a-t-on pas gardé cette précieuse habitude, car le français est une langue difficile, complexe, truffée d’exceptions, de confusions, d’abstractions, et qui pourrait être éclairée à la lueur de son histoire. Certes, la linguistique ne résout pas tous les problèmes mais, science encore jeune dans sa partie «historique» - car ce n’est qu’en 1900 que fut fondée, à la Sorbonne, la première chaire d’»Histoire de la Langue Française» - elle occupe une place de choix parmi les sciences de l’homme. L’histoire de notre langue est un cas unique dans celle des langues modernes, car c’est l’histoire d’un double langage au sens propre du terme. C’est toujours – et encore ! - une exception française. Toutes les langues de civilisation opposent une langue écrite, plus ou moins savante, à une langue parlée, plus ou moins populaire, mais dans aucune le fossé n’est jamais aussi profond qu’en français car ce parler n’a jamais eu de croissance libre et naturelle, mais il a toujours été placé sous contrôle que ce soit celui des érudits, des grammairiens, de la cour. Ce que l’on appelle le français moderne (donc dès le XVIIe siècle) «est en réalité, un greffon néo-latin sur une langue jusque-là simple et naïve».
Des origines aux Serments de Strasbourg
Partons maintenant aux origines de notre langue française qui se retrouvent dans la Gaule avant la conquête romaine. La Gaule est une région naturelle sans unité politique ni linguistique, dont nous savons en fait peu de choses car nous possédons peu de témoignages, mais le celte fait partie de la famille indo-européenne. Toutefois une excellente étude prouve que des langues hispano-caucasiques auraient donc été pré-indo-européennes et le basque en serait un dernier survivant. La toponymie reste un bon indicateur de cette époque et nous fournit les renseignements les plus éloignés. Ainsi avons-nous gardé Ardenne de la déesse «Arduenna» et Seine de la déesse «Sequana» qui étaient l’objet de cultes. Puis les Grecs fondent alors leurs comptoirs sur la côte méditerranéenne mais ils doivent faire appel à leurs alliés, les Romains, pour se défendre des attaques gauloises. Des Grecs nous garderons : Nice (de «Nicaia») ville dédiée à la déesse Niké (Victoire) ou Antibes (de «Antipolis») située en face de la ville de Nice. Les Romains occupent ainsi le sud de la Gaule dont il nous reste la Provence (de «Provincia») nouvelle province. Mais, petit à petit, le grec et le gaulois cèdent à l’influence latine et c’est véritablement à cette époque que commence l’histoire de notre langue. La création des routes, le brassage des mercenaires dans l’armée, favorisent l’utilisation d’un langage de communication peu châtié et vulgaire, évoluant très rapidement, conséquence d’une prononciation appuyant une mauvaise accentuation. Les Gaulois possédaient des dialectes mais le latin reste le moyen de contact le plus pratique et l’aristocratie gauloise se laisse totalement assimiler. Considéré comme une langue supérieure, il l’emporte sur le gaulois qui demeure un parler «paysan», et le développement du christianisme accroît encore son importance et son prestige. Mais dans le même temps, hors des grandes voies de communication, des régions entières conservent leurs propres usages et leurs propres dialectes. La dualité de notre langue est déjà très forte dans ses origines. Le latin «parlé», encore mal connu de nos jours, langue vulgaire et non savante, est donc notre «Roman commun», tandis que le latin «classique» vieillit et devient une relique de cette langue morte enseignée dans les écoles. Nous gardons de la langue gauloise : des noms de lieux comme : Verdun (de «Virodunum» = forte forteresse), des nombres ordinaux : dixième (de «decametos» qui donnera decimus), des termes d’agriculture : charrue, soc, sillon ; des noms d’animaux : bouc, mouton ; des plantes et des arbres : bouleau, chêne, bruyère ; les termes des artisans du bois, charrons et tonneliers char, tonne, bonde et surtout la braie (le pantalon d’où braguette) dont le terme adopté par Rome est passé dans toutes les langues romanes, et d’autres qui se retrouvent dans nos patois. Le Ve siècle voit les invasions barbares bouleverser cet état de fait (barbare indiquant ici des populations ne parlant ni grec ni latin). Les Germains conservent leurs rois, leurs droits, leurs usages et leur langue dont les mots pénètrent peu à peu notre latin vulgaire, comme «blank» = blanc. Les Francs, admirant les Gallo-Romains, forment une nouvelle aristocratie franco-latine, mais depuis la conversion de Clovis au christianisme le latin est de nouveau imposé par les monastères qui jouent un rôle linguistique de plus en plus prépondérant. La haute société parle maintenant trois langues : le francique, le latin, le roman et pendant plusieurs siècles, l’aristocratie sera bilingue. Les marques germaniques sur notre langue française sont nombreuses. Nous leurs devons le h aspiré et le son gu de garder ou gagner, ainsi que des mots comme hardi, orgueil, jardin, haie, osier, cresson. La Gaule entre maintenant dans une période d’ignorance totale due à la perte de toutes ses écoles et de ses enseignements. Charlemagne joue ici un rôle prépondérant dans l’histoire de notre langue, car, conscient de la pauvreté intellectuelle de ce pays, il instaure les études par la création d’écoles accessibles à tous, par l’enseignement de la grammaire qu’il juge fondamentale, par l’accueil en son royaume des plus illustres savants européens. Par une véritable «Renaissance carolingienne», Charlemagne fait de la Gallia, d’une façon inattendue, la Francia (prononcée alors Frankia). Une autre décision importante est également prise par le clergé en 813. Conscient que le peuple ne comprenait pas le latin savant des sermons, le Concile de Tours exige que les prêtres exposent en «langue romane rustique» ou en «langue germanique» les textes destinés à leurs ouailles. Suivra alors en 842 ce que nous appellerons «l’acte de naissance de la langue française» que sera le texte des Serments de Strasbourg, prononcés et écrits en langue vulgaire par les soldats de Charles le Chauve.
La civilisation européenne se passera désormais de son socle latin et la langue rustique commence à acquérir le statut de langue écrite. Le très ancien français La période de 842 à 1150 reste une des plus troublées de l’histoire de France. Les guerres intérieures, les invasions, les pillages entraînant famines et misères, favorisent l’établissement d’un nouvel état politique et le changement de la société. Celle-ci comprend trois ordres : le clergé, la noblesse, le tiers-état dit «le Labeur». Les villes se développent, engendrant une nouvelle classe dite «moyenne» : les bourgeois et la langue va alors suivre les aléas sociétaux et politiques. Deux faits nouveaux – dont l’importance linguistique se vérifiera par la suite - apparaissent.
En Europe, il n’y a pas de nationalités, mais une seule chrétienté, pourtant dans sa langue, la Gaule est alors divisée en deux pays : le pays de la langue d’oï au nord, le pays de la langue d’oc au sud.
Le francien commence à jouir d’un renom particulier dû au prestige de la ville de Paris, à la fois royal et universitaire, mais il reste toutefois un «vulgaire». La langue savante des clercs se doit toujours d’être le latin. Pourtant, la «Séquence de Sainte Eulalie», texte religieux en langue latine classique, est traduite (doublée) en langue rustique afin que le peuple en comprenne les paroles. Ce sont là les prémices de la transformation d’une langue populaire rustique (le dialecte francien) en une langue de civilisation.
L’ancien français À partir du XIIe siècle, Paris devient le centre d’une activité intellectuelle intense et utilise le français pour expliquer les textes latins. Le premier collège de l’Université de Paris est fondé - «le Collège des Dix-huit Clercs» – sa renommée est européenne. Dante, Saint-Bernard, Saint Albert le Grand, Roger Bacon, Saint-Thomas d’Aquin y enseignent. La bourgeoisie s’intéresse à la lecture et le commerce du livre se propage. Il existe une clientèle pour la lecture «en chambre». La langue et le style des œuvres littéraires suivront cette évolution. C’est une langue à la fois savante et populaire qui s’étendra dans toute l’Europe, laquelle reste toujours essentiellement chrétienne. Il existe donc au début du XIVe siècle, un français littéraire, souple et néanmoins déréglé et qui manque d’une base solide. À côté du latin, la langue de l’ancien français joue le rôle d’une seconde langue internationale. C’est la langue officielle du Royaume de Naples, la langue de l’aristocratie anglaise, car elle était : «la plus entendable au common people». C’est celle de l’empire de Constantinople et Marco Polo dicte ses textes en français. C’est à cette époque que l’on a donné une forme française aux noms étrangers. London devient Londres, Mûnchen est Munich, et Genova sera Gênes. Le vocabulaire est très variable : chaque auteur modifie le sens des mots-chefs et réinvente des dérivés. Chrétien de Troyes crée son style et adopte le vocabulaire de ses lecteurs.
Le moyen français et le français «fluent» (vers 1328-1605)
La littérature écrite peine encore à se faire admettre. La langue française reste un «vulgaire» et a du mal à sortir d’une catégorie d’amusement «bonne pour les femmes et les ignorants», les pages «sérieuses» sont toujours écrites en latin. Nos textes en français sont appelés à disparaître, ne reposant sur rien, sur aucun élément conservateur. Les copistes les habillent à leur mode, les arrangent à l’usage du temps ou à leur gré. Les ateliers de transcription nous laisseront une multitude d’exceptions, telles les finales en «aux», le x étant un signe d’abréviation. Les finales en aux Il s’agit une fois de plus d’une belle confusion orthographique. Le pluriel primitif de cheval était régulier «des chevals», puis «cheval» est devenu «chevaus» par vocalisation de l en u, puis «chevaus» s’est écrit «chevax» x étant une abréviation orthographique pour us. Plus tard, la valeur de ce x = us ayant été oubliée, on a rétabli le u et on a eu «chevaux» puis au XVIe siècle on a rétabli le l en écrivant «chevaulx» (comme aulx pluriel de ail). Les pluriels en ux ne se retrouvent que dans les mots anciens, les mots «modernes» suivent la règle normale en s : les carnavals, les chacals. Aux environs de la guerre de Cent Ans, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle nation et d’une nouvelle langue. Du point de vue linguistique, le moyen français est une langue de transition, puis le système se désagrège au cours du XIVe siècle pour donner naissance à un nouvel idiome. Cette crise reste unique dans l’histoire des langues européennes et Pierre Guiraud va jusqu’à considérer le moyen français comme une rupture de l’ancien français et il le tient pour un système différent et autonome. C’est alors la grande époque des traducteurs qui, pour préciser la valeur des mots français qu’ils utilisent, enrichissent le vocabulaire abstrait de la langue, préparant ainsi la conception des futurs dictionnaires. Nicole Oresme, protégé par Charles V, a pour but d’amener la langue française à une grande perfection. Il marque ainsi la différence entre peureux et couard, il utilise les «doublets» plaçant un mot ancien mais conforté par un mot moderne : frêle et fragile grave et grief ambulacion et aler. La difficulté réside aussi dans la traduction du mot grec. Alors on l’habille à la française : alphabet bibliothèque hippodrome. Notre dictionnaire de français moderne comprend 5000 latinismes et 500 hellénismes. Nous gardons nos pluriels aberrants, dits «irréguliers», de cette époque. Chevel – cheveux viel – vieux . On est en droit de penser que seul le hasard a présidé à la fixation de l’usage et qu’une explication rationnelle n’est guère plausible. Quant au dialecte de Paris, il poursuit son ascension. C’est l’avènement des Valois qui, tout à coup, fait basculer son destin. Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe VI «le roi trouvé», demande à Jean de Vignay de lui traduire les textes sacrés des «Épîtres et Évangiles de tout l’an à l’usage de Paris». Par cette décision, elle fait du dialecte de l’Île de France, une langue de culture.
Belle écriture cursive du XVe siècle à Roanne.
«Les Épîtres et les Évangiles de tout l’an à l’usage de Paris» Manuscrit de Jeanne de Bourgogne - (XIVe siècle) – Fr. n.a. 4508 – B.N.
Même texte « Les Épitres et les Évangiles » mais par un copiste parisien
En 1455, la publication de la «Bible» de Gutenberg «imprimée» multiplie les lecteurs et 1470 voit la première imprimerie s’installer à Paris. C’est une date capitale pour l’histoire de notre langue. Les «Chroniques de France» sont mises sous presse en 1477 et, dès lors, la langue du roi va triompher partout. Le francien devient le français, langue de France. Mais l’imprimeur attend beaucoup afin de mettre en forme les œuvres qu’on lui confie. Il attend l’orthographe, il attend les accents, il attend des règles, des conventions. Jusqu’à la Révolution de 1789, l’orthographe sera une affaire d’imprimeur. Ils conserveront l’y «lettre jolie» ; poids sera agrémenté d’un d fantaisiste pour le distinguer de pois et de poix ; vert sera écrit verd à cause de verdure. C’est l’État du milieu du XIXe siècle qui imposera l’orthographe du «Dictionnaire de l’Académie», fixant selon Charles Bruneau notre «caco-graphie à la fois illogique et incommode». L’acte le plus important d’un gouvernement dans toute l’histoire de la langue reste l’établissement en 1539 de : L’Ordonnance de Villers-Cotterêts. François Ier, protecteur des Lettres et des Arts, exige que : «tous les arrêts soient prononcés, enregistrés, délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement». Ce grand roi avait déjà fondé en 1529 le Collège des trois langues (le latin, le grec et l’hébreu) qui deviendra le Collège du Roi (on y enseignera les mathématiques et d’autres sciences) puis le Collège de France. Robert Estienne publie, en 1549, le premier «dictionnaire latin-français». Les diction-naires se multiplient et étonnent encore de nos jours par la richesse de leurs vocabulaires. En parcourant les œuvres de la Pléiade, celles de Marot, Rabelais ou Montaigne, on découvre que la langue française est devenue un outil que les auteurs utilisent, inventant à souhait de nouveaux mots, calqués sur le latin. Ils veulent faire du français une langue littéraire, un «idiome noble», la faisant fluctuer sur deux lignes parallèles : le latin et le françien. Toutefois, l’Europe médiévale unie par la religion chrétienne a vécu, facilitant l’émergence de trois grandes langues de civilisation : l’italien, l’espagnol et le français.
L’époque moderne Nous pouvons considérer que le tournant de notre langue vers son époque moderne commence avec l’avènement d’Henri IV. Ce roi se fixe à Paris et attire à la cour tout ce qui a de la valeur à ses yeux. Il se passionne également pour la langue, et désormais l’honnête homme ne parlera plus comme l’homme du monde. On attendait alors un maître pour fixer les règles et ce fut un «fou de grammaire», Malherbe, qui vint, donnant jours et nuits des consul-tations de grammaire et de vocabulaire. En 1637, Richelieu nomme une institution «corps d’Etat», c’est l’Académie française. Un de ses membres, Vaugelas, est en charge du dictionnaire et tentera de définir des règles en publiant : «Le Bon usage». Cet ouvrage consacre une rupture complète avec les langues anciennes, déclarant que la langue française doit «être maîtresse chez elle» et que seul l’usage est «le maître et le souverain des langues vivantes», principes toujours valables de nos jours ! Un autre souverain qui domine par sa personnalité l’histoire de notre langue et de notre littérature est Louis XIV. Il porte un vif intérêt à la littérature et s’intéresse directement aux problèmes de la langue. Mais, ne perdons pas de vue, que l’on différencie toujours la langue parlée de la langue écrite. Furetière, Richelet, l’Académie des Arts et des Sciences publient leurs «diction-naires» mais il est de plus en plus vain d’établir des règles. L’usage ignore la logique ! Bossuet respecte la langue tout en la perfectionnant, en «adaptant» les nuances, entre par exemple : ensevelir et enterrer. Racine reste soucieux d’exactitude et tente de porter à son point de perfection et de simplicité la langue noble, en employant toutefois un vocabulaire relativement pauvre. La Fontaine utilise une langue originale mais parfois bien artificielle.
De plus, à la Cour et à la ville, il y a maintenant deux langues littéraires : une langue de prose, une langue versifiée, avec en opposition, mais bien réelle, le langage propre au peuple de Paris. Rajoutons encore la langue «hors de Paris», puis les patois, les parlers locaux car le français de la Cour n’avait pas encore conquis la France, et nous avons une élémentaire image de ce kaléidoscope (mot grec) linguistique du royaume de France. La langue française est la seule, parmi les grandes langues modernes, à suivre des «règles» et elle va encore s’imposer à nouveau à la société cultivée de l’Europe entière. Elle est devenue une langue majeure, et dès 1700 on considère qu’elle est arrivée à son point de perfection. En 1702, le père Bouhours publie la première : «Histoire de la langue française». Pourtant le siècle des Lumières a vu peu de poètes, étouffés sans doute par de nombreuses grammaires qui «embarrassent l’esprit». «Quand l’usage ne fait pas lui-même la règle, il est à craindre qu’il n’y ait que de l’arbitraire». L’Encyclopédie de Diderot marque l’apogée des publications de dictionnaires mais, vers le milieu du XVIIIe siècle, on cesse de s’intéresser à la langue, pressé de découvrir les nouvelles sciences et le monde de l’économie. Les journaux affluent et les «gazettes» jouent un rôle considérable (déjà !). Au cours de ces deux derniers siècles notre langue a été examinée mot par mot, et classée en mots nobles, familiers, populaires, bourgeois, exotiques. Le vocabulaire abstrait s’enrichit. Le français est véritablement une langue de civilisation ! Mais n’oublions toujours pas que le français n’est pas la langue de toute la France ! Chaque village possède encore son propre patois et autres parlers
Évolution de la diphtongue « oi » - d’après F. Brunot et Ch. Bruneau Précis de grammaire historique de la langue française - 1949- p.80 (voir document pdf)
C’est la Révolution de 1789 qui va faire de cette langue un idiome, c’est à dire la langue de la Nation Française ! La France, réunie pour la première fois en une patrie unique, se doit d’avoir une langue unique. Mais il faut ignorer la langue des provinces, alors l’abbé Grégoire et sa politique de la langue unique comme base du nationalisme commence l’éradication de tous les dialectes. La langue du XIXe siècle est une langue en paix mais conservatrice et réactionnaire car les nombreux «Instituts» veillent. Pour l’enseignement du français, ce sont maintenant les maîtres qui font défaut sur tout le territoire. Les jeunes romantiques revendiquent la liberté dans l’art d’écrire et Victor Hugo déclare dans la fameuse préface de Cromwell que «tous les mots sont égaux en droit». L’orthographe devient une «orthographe d’État» qui conduira vers une bureaucratie de la langue, confortée par l’enseignement publique primaire. La suite de ce siècle est une lutte entre une langue qui change constamment sous les apports extérieurs (dont ceux de l’Empire Colonial) et l’école, grande conservatrice. Le français est maintenant enseigné obligatoirement et gratuitement dans toutes les écoles. L’enseignement dit «moderne» – sans grec ni latin – est mis en place en 1902. En 1905 les linguistes demandent des réformes de l’orthographe, mais en vain. Le brassage des grandes guerres a mélangé les genres, aussi en 1919 la langue française perd le privilège diplomatique. L’ «Office de la langue française» est créé en 1937, alors qu’en 1946 l’anglais s’approprie les documents internationaux. La langue française devient «langue de la Constitution de la République» en 1993. Nos anciens grands linguistes rêvaient d’une morale linguistique gérée par un «Bureau» mais l’enjeu est aujourd’hui complètement dépassé car une féroce «guerre des langues» se joue actuellement autour de l’Europe. Celle-ci, à la recherche de son identité, a compris que la langue est un véhicule. Notre langue a encore évolué, et par son essence même ne cessera jamais de se transformer, mais le système éducatif selon lequel il fallait se conformer aux idéaux littéraires du passé, semble battu en brèche par l’émergence de nouvelles technologies. C’est le logiciel qui corrige l’orthographe et le fossé grandit entre la langue littéraire et la langue parlée qui se limite à un corpus de 1500 mots. La communication par «courriel» ou «SMS» exige des mots courts et efficaces, ce qui privilégie le vocabulaire anglo-saxon ou l’orthographe phonétique. Le français est de moins en moins enseigné et apprécié dans le monde du fait de sa complexité. Notre dirigisme politique appliqué à la langue a conduit à son immobilisme. Notre langue est-t-elle encore adaptée à nos usages et à notre civilisation ? Il est grand temps de s’en préoccuper. Claude Hagège range le français dans le chapitre des langues en danger. L’avenir de notre langue se fera-t-elle par les étrangers, par ceux qui aiment le «mot» français par-dessus tout ? Le grand peuple de la francophonie peut nous réserver bien des surprises. Même si la situation actuelle est grave, on peut encore espérer, qu’après avoir traversé des périodes si troubles au cours de tant de siècles, notre langue saura garder son caractère et sa belle identité. Pour les linguistes, l’esprit de conservation peut être aussi nuisible que l’envie de changement. La langue française vit toujours, donc elle doit et peut changer afin de poursuivre activement la traversée de ce troisième millénaire.
Je conclurai en vous conseillant l’excellente publication de François Taillandier : «La Langue française au défi» (chez Flammarion) qui conseille : «il faudrait donner des cours sur l’histoire de la langue, expliquer à quoi elle sert, comment elle nous relie à une temporalité longue, comment elle s’est façonnée, rappeler aux enfants qu’il y a six siècles on ne se comprenait pas entre Montluçon et Bourges». Il qualifie les journalistes de l’audiovisuel et de la publicité de «catastrophe ! … formant un univers sonore global où le sabotage est à peu près permanent». C’est aussi l’avis de nombreux auditeurs de cette conférence. Alors, attention :
la langue est l’âme d’une civilisation, ne perdons pas la nôtre.
|