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LA SEIGNEURIE DU POÜ ET SES OFFICIERS DE JUSTICE
Gilbert BAUDRY Membre de la S.A.H.P.L.
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Rapport du Procureur Fiscal du Poü, Maître Depoilpré Nous, soussigné, Maître Daniel Marie Depoilpré, avocat en Parlement, procureur fiscal des juridictions de la châtellenie du Poü, Cunfio et La Claye, s'exerçant au bourg paroissial de Plouay, ancien avocat postulant en la juridiction du marquisat de Pont-Calleck s'exerçant au même lieu, résidant au dit bourg paroissial de Plouay, savoir faisons que ce jour premier Septembre, environ les sept heures du soir, invité par Maître Jean-Marie Corbé avocat et procureur fiscal de ladite juridiction de Pont-Calleck, Paul Olivier Le Corre aussi avocat, sénéchal de celle du Poü, et le sieur Robinet, architecte entrepreneur des ouvrages qui se font pour la province au lieu nommé Le Pontulaire, en cette paroisse de Plouay, à nous joindre à eux, après la soupe, à l'auberge du bourg où pend pour enseigne Le Lion d'Or, pour y jouer ensemble au jeu de la Triomphe, et boire une bouteille de vin ; nous nous y serions rendus environ les neuf heures du soir, y étant tous tablés. Avec Maître Louis François Le Corgne, greffier de ladite juridiction du Pont-Calleck, serait intervenu le sieur Roullié, son commis, suant et échauffé de boisson ; lequel aurait dit se joindre à nous, et qu'il voulait également courir les risques de perdre ou gagner sa bouteille, et pour éviter à tapage et scandale ayant été accepté. Peu de temps après son acceptation ledit Roullié s'en serait pris à nous Depoilpré de propos indécents et grossiers à l'occasion d'une carte qu'il prétendait avoir été mal jouée ; et lui ayant voulu représenter son inhonnêteté, le respect qu'il nous devait et spécialement à la compagnie, il nous a répondu par les lettres les plus tranchantes et les épithètes les plus dures toujours accompagnées de la lettre initiale f., qu'il était autant et plus que nous, qu'il était plus en état d'être avocat, quoiqu'il n'en eut pas le grade, et qu'il ne nous connaissait en rien. D'après lesquels propos, moidit Depoilpré, l'aurais averti une seconde fois de cesser ces sottises, de vouloir bien reconnaître la subordination, sans quoi nous serions forcé de lui faire sentir l'autorité et la force de la loi, de le faire sortir de notre compagnie, d'user de sévices, même en cas d'insistance - de notre autorité privée attendu l'absence de Monsieur le Sénéchal et seul juge du Pont-Calleck - de le faire conduire en prison. D'après ce, ledit Roullié ayant continué à répéter ses invectives, dit que nous n'avions aucune puissance, lui ayant enjoint de sortir, nous ayant proposé le défi, les sieurs Le Corre et Le Corgne s'étant retirés, le sieur Corbé au lieu d'en imposer audit Roullié, adhérant sans doute à ses propos indécents, nous aurait lui-même déclaré que nous ne pouvions et n'avions aucun droit de police, et, le prenant d'un ton d'autorité, nous aurait dit que lui seul la devait et pouvait faire au bourg de Plouay, et, en conséquence qu'il nous priait Depoilpré de sortir de suite, sans quoi il nous ferait nous même conduire en prison, nous demandant à voix échauffée si nous le reconnaissions, en nous portant la main sur la poitrine. Ce que vu, nous avons répondu audit Maître Corbé que nous n'ignorions aucunement ses qualités comme Procureur fiscal de la juridiction de Pont-Calleck et ses pouvoirs ; qu'il ne devait pas non plus ignorer les nôtres, qu'abstraction faite de celle de Procureur fiscal du Poü - qui nous donnait également qu'à lui la police dans le bourg de Plouay, après les deux juges du Pont-Calleck et du Poü - par celle d'ancien avocat, en l'absence de son juge qui n'a présidence qu'en concurrence avec celui du Poü, nous croyons prétendre l'avoir, à son préjudice, attendu qu'il ne pouvait que requérir et non statuer. Ledit Maître Corbé ému de colère, ayant insisté sur ses menaces et notre prompte sortie, nous lui avons déclaré que puisqu'il s'agissait maintenant de discuter nos qualités respectives au lieu d'imposer silence jointement et concurremment à un particulier qui nous manquait à tous, attendu qu'il était plus que dix heures à l'horloge de ce bourg, nous allions, pour faire cesser tout différend, nous revêtir d'habit décent, descendre en ladite auberge pour faire visite, y dresser notre procès verbal de contravention aux règlements, au cas qu'il s'y trouvât autres que des étrangers à y boire, et faire tous autres actes de police nécessaires dans l'occurence.
Et, de fait sorti, revenu en robe, accompagné de Maître René Le Lièvre, l'un des sergents de ladite juridiction du Poü, demeurant au bourg de Plouay pris pour l'exécution de nos ordonnances, entré en la cuisine du Lion d'Or nous y aurions trouvé nombre de personnes - que nous n'avons pu toutes reconnaître et distinguer à l'instant - rangées autour de Maître Corbé qui y était en robe avec Maître Jean Gabriel Barré, Procureur de ladite juridiction de Pont-Calleck, prétendu commissaire de police d'icelle, Alain Julien Bargain aussi Procureur de la même juridiction en bonnet de nuit et, chapeau sur la tête le sieur Roullié auquel, à mon aspect et aussitôt notre entrée, ledit Corbé a fait pouiller une robe sans collet. Et, nous adressant à la veuve Dolbois, hôtesse dudit Lion d'Or, en présence dudit sieur Robinet, d'un nommé "La Liberté" tailleur de pierre travaillant au Pontulaire, de Pierre Kergoat, couvreur, d'Alain Le Lidec, sergent du nommé Pierre, valet domestique et Bonne Le Bescond servant les deux derniers ladite veuve Dolbois, de Nicolas Ruban clerc et Thomas dit "Le Blondin" valet domestique, les deux derniers chez le dit Maître Bargain, et autres qui étaient dans ladite cuisine que nous n'avons pu distinguer, lorsque nous avons voulu déclarer à ladite veuve que nous venions pour faire la police et vérifier chez elle, sans nous donner le temps de nous expliquer, sans nous faire aucune interpellation, s'est avancé ledit Maître Corbé qui, nous repoussant de la main comme pour nous interdire l'entrée, nous a déclaré s'opposer formellement à tous actes de police de notre part, nous a présenté à lire un cahier en velin qu'il nous a dit contenir un arrêt de la Cour, par lui obtenu, concernant le fait de police, avec injonction de nous y conformer, ajoutant que lui seul et ses commissaires disait-il présents, parlant des sieurs Barré et Bargain qu'il nous a désignés, étaient en droit de l'exercer, à notre préjudice. Ayant pris ce cahier, l'ayant lu hautement, nous avons reconnu qu'il contenait un arrêt sur requête, daté du 17è Février 1770 - obtenu sur les poursuites et à la requête dudit Maître Corbé - qui ne pouvait porter atteinte à notre privilège en qualité de Procureur fiscal du Poü, puisqu'il porte la concurrence pour les juges des deux juridictions, ni à ceux résultant de l'absence desdits deux juges et de notre dite qualité d'ancien avocat postulant de la juridiction du Pont-Calleck. Ensuite, nous avons dit et répété audit Maître Corbé que nonobstant l'arrêt dont il se prévalait, contre lequel nous nous réservions de nous pourvoir en rapport en notre dite qualité de Procureur fiscal pour les seigneurs et juges du Poü, sur la connaissance qu'il nous en donnait actuellement, en notre qualité d'ancien avocat postulant au Pont-Calleck nous étions juge-né et représentant Monsieur le Sénéchal en son absence, que conséquemment notre démarche ne pouvait être arguée d'indiscrétion et notre droit ne pouvait être valablement opposé, que d'ailleurs feu Maître Corbé son père, aussi Procureur fiscal et jaloux du dit droit de police avait fait rendre un autre arrêt, le 23 Février 1759 qui concernant l'administration générale dans le bourg de Plouay indistinctement sous les fiefs de Pont-Calleck, Pont-Scorff et du Poü en concurrence, et l'un en l'absence de l'autre, et dans l'absence des deux audit Corbé comme Procureur fiscal, lors, des deux juridictions, que ce premier arrêt était assez énonciatif de nos prétentions, que nous devions conséquemment au moins être écouté et entendu avant de statuer, comme il semblait le vouloir faire aussitôt, sans nous entendre et sans nous donner le temps de nous expliquer davantage, ledit Maître Corbé a commandé et fait audit Le Lièvre, notre Sergent qui nous accompagnait, se ranger près de lui, lui a fait défense de nous reconnaître et obéir à autre qu'à lui, ajoutant que lui seul et ses commissaires étant dans son fief avaient droit d'inspection et de veiller à la police. Ensuite, adhéré dudit Bargain non revêtu de l'habit ordonné par son arrêt de 1770 - ce que nous l'avons prié d'observer - adhéré dis-je dudit Bargain qui parlait en même temps que lui Corbé, il nous a derechef interpellé de sortir avec fortes menaces en cas de désobéissance de notre part ; ce que voyant nous l'avons interpellé de rapporter son procès verbal, de nous y décerner acte de nos dires et raisons, offrant de notre côté de rapporter le nôtre. Nous ayant refusé et opposé au rapport que nous nous proposions faire - pour lequel commencer avions déjà tiré notre écritoire, nos plumes et du papier - ayant prié à haute et intelligible voix les personnes présentes de se rappeler des faits, de nos offres et des refus y apportés, et représenté au dit Maître Corbé qu'il ne pouvait pas s'être ainsi emparé du Sergent qui nous escortait, et que nous avions pris comme dit est pour l'exécution de nos ordonnances, pour éviter à plus grand scandale, nous lui avons déclaré nous retirer en notre demeure pour y dresser et rédiger le présent. Et, ayant repris notre lumière au moment que nous sortions ledit Maître Corbé a commandé - disait-il pour éviter à quelque accident - auxdits Pierre Kergoat, et Thomas dit "Le Blondin" domestique dudit Bargain, de nous reconduire en notre demeure.
Ces derniers nous ayant suivi, y rentré, les ayant interpellés d'être présents si bon leur semblait à notre rédaction, s'étant retirés sans rien dire, nous avons fait et rapporté le présent que nous entendons déposer au greffe du Poü, en notre demeure audit bourg de Plouay, pour valoir et servir ce que de raison aux Seigneurs et juge de ladite juridiction, sous réservation de nous pourvoir personnellement où et vers qui devra, et clos et arrêté sous notre seing, ce jour deux Septembre dit an mil sept cent soixante seize environ les deux heures du matin. Depoilpré, Avocat et procureur fiscal du Poü
Archives Départementates du Morbihan - B 7182
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Plainte de Maître Depoilpré devant la juridiction du marquisat de Pont-Calleck Nous, soussigné, Daniel Marie Depoilpré, avocat en Parlement Procureur fiscal de la juridiction de la châtellenie du Poü, résidant au bourg paroissial de Plouay, et ancien avocat postulant en la juridiction du marquisat du Pont-Calleck, les deux s'exerçant audit Plouay, savoir faisons que, ce jour vingt six juin mil sept cent quatre vingt trois, deux particuliers étrangers ayant dû obtenir la permission de Messieurs les juges du Pont-Calleck de faire voir au public une lanterne magique et mécanique, et ayant annoncé autour de la ville leur représentation à huit heures du soir en la maison du nommé Bertrand Domergue, aubergiste, nous nous y serions rendu environ les huit heures et demie de relevé et, entré en une chambre sur le devant servant de salle de spectacle, aurions remarqué que cette chambre était pleine de fumée, et voulant nous éclaircir d'où elle provenait, ayant jeté un coup d'oeil dans tous les endroits de ladite chambre, avons aperçu plusieurs particuliers, couverts, la pipe en bouche, dans le nombre desquels avons premièrement remarqué Jean-Marie Allaire, garçon menuisier, Charles Le Ferrand, tailleur, Jean Le Yaouanc, cordonnier, et Auguste Allaire, frère du dit Jean-Marie, garçon sans état, les quatre habitant ledit Plouay. Craignant les effets du feu, nous adressant audit Jean-Marie Allaire comme le plus proche de nous, lui ayant fait envisager les dangers dans une chambre assez mal planchée et dans un temps de sécheresse, l'ayant prié civilement de sortir pour fumer, ce dernier nous a répondu en termes injurieux n'avoir aucun ordre à recevoir de nous, qu'il fumerait bon gré mal gré, qu'il était dans une chambre comme nous en payant, et y ferait ce que bon lui semblerait ; ayant fait les mêmes prières et invitations auxdits Le Ferrand et Yaouanc, ces derniers y ayant déféré, Jean-Marie Allaire a insisté en disant toujours qu'il était maître de fumer ou de ne pas fumer ; ensuite, Augustin, son frère, nous a répété les mêmes propos, ajoutant qu'il n'avait aucun ordre à prendre de nous, d'un gueux, d'un foutu polisson, que nous n'avions aucun droit ni qualité. Et, sur ce nous lui avons répété nos prières. Voyant qu'il n'y déférait pas, lui ayant dit hautement que nos prières ne faisant rien nous lui ordonnions, ainsi qu'à son frère, en qualité de Juge et Procureur fiscal du lieu, de mettre bas la pipe et de déférer à nos ordres, sans quoi nous serions obligé de le faire punir. Il nous a répété plusieurs fois qu'il se foutait de nous et de nos ordres, des ordres d'un foutu gueux, d'un foutu polisson comme nous ; et, lui ayant remontré ses torts et dit que si nous avions eu un officier présent nous lui eussions sur le champ appris à nous connaître et respecter, il a encore répondu qu'il se foutait d'officiers comme nous, qu'ils seraient douze et nous à leur tête que nous ne serions pas capable de l'emprisonner ... qu'au reste au lieu de vouloir lui commander un foutu gueux comme nous ferait mieux de le payer. Lui ayant remontré que nous ne lui devions et ne lui avions jamais rien dû, il a persisté dans ses injures, ajoutant que peu s'en fallut qu'il ne nous fît respecter ses volontés et que, si nous étions ailleurs, il nous apprendrait à qui nous avions affaire ... qu'il pourrait nous trouver ! et autres menaces que nous n'avons pu entendre distinctement, sinon qu'il nous traitait de foutu bougre, de viedase, de polisson etc...
Ce que voyant, craignant de nous exposer davantage aux violences d'un homme fort et robuste, d'un lutteur et chasseur de profession, avons pris le parti du silence pour éviter à scandale ; et la représentation achevée nous nous sommes retiré en notre demeure où nous avons fait, clos et arrêté le présent, environ les onze heures et demie du soir, lesdits jour et an que devant, pour valoir et servir ce que être devra. Depoilpré, Procureur fiscal
Archives Départementales du Morbihan - B 6825
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REMARQUE : Si la transcription des textes est fidèle au mot à mot l'orthographe par contre a été modernisée et, pour faciliter leur compréhension, on a introduit des renvois à la ligne et une ponctuation dont les manuscrits sont dépourvus.
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GLOSSAIRE :
Sénéchal : A l'origine chef de la noblesse. Il était chargé de l'application des édits royaux ou de ceux du Parlement ; il exerçait en outre la Justice ; exemples : le sénéchal de la Cour royale d'Hennebont ou de celle de Quimperlé. Depuis le XVIIè siècle au moins les officiers de justice placés à la tête des moindres juridictions ont adopté le terme de "sénéchal", alors qu'ils dépendaient totalement des seigneurs à qui ils achetaient leurs charges.
Les définitions d'Antoine Furetière (1619-1688), extraites de son Dictionnaire Universel. Sénéchaussée : tribunal d'un juge royal
Procureur : officier créé pour se présenter en justice et instruire les procès des parties qui le voudraient charger de leur exploit ... Procureur fiscal - ou procureur d'office - est celui qui fait la même charge dans une justice subalterne et non royale, qui a soin des intérêts du seigneur du lieu et du public "Il ne faisait rien dans la profession d'avocat, il s'est mis dans la procuration".
...dit : ce mot est en grand usage au Palais, en se joignant aux articles, pronoms et prépositions, pour empêcher les équivoques des relatifs qui sont fréquents dans notre langue. (On écrivait en un seul mot ladite, lesdits, audit ...).
Poliçon : terme bas et populaire dont on se sert quelquefois pour nommer les petits gueux, les coupeurs de bourse, sujets à passer par les mains des officiers de police.
Pouiller : vieux mot et hors d'usage à Paris qui signifiait autrefois vêtir un habit. Il est encore en usage en Province et dans les composés dépouiller et dépouille.
Viedase : terme injurieux qui n'est pas obscène, comme plusieurs s'imaginent, car il ne signifie autre chose que visage d'asne, vu qu'on disait autrefois vis pour visage, et de vis d'ase on a dit par corruption viedase.
* * * COMMENTAIRES
Me Depoilpré est né à Lesneven le 31 juillet 1743. Lors de son mariage à Quimperlé en août 1772 il était déjà procureur fiscal des juridictions de Cunffio-La Claye, du Poü et de Kermérien - Le Cranno, mais devait abandonner cette dernière et remettre son office entre les mains du Marquis de Marnière de Guer en 1781. Par delà le pittoresque des récits - et du personnage - on doit prendre en compte dans le conflit de compétence et d'autorité qui oppose les deux Procureurs fiscaux en 1776, l'importance relative des seigneuries qu'ils représentent. Me Corbé parle au nom de l'important marquis de Pont-Calleck, Me Depoilpré ne représente que le châtelain du Poü, lui même vassal des princes de Rohan. Le conflit entre personnes n'est qu'apparent et lors du baptême de Claudine Germaine Tarsile Depoilpré, le 24 décembre 1779, troisième fille du Procureur fiscal (il en eut sept) Me Corbé, en invité soucieux d'honorer la cérémonie de sa présence, signait le registre paroissial de Plouay. Les juridictions ont toujours présenté à leurs frontières des zones imprécises revendiquées par les uns et les autres. Dans le cas du bourg de Plouay, si les maisons appartenaient à divers notables ou nobles, notamment les de Guer, Pluvié de Ménéhouarne, Botdéru de Kerdreho, le bourg était le siège de la Juridiction du seigneur dominant : le marquis de Pont-Calleck, dont le pouvoir justicier s'étendait bien sûr à la police des lieux, y compris par procuration. On a remarqué la grande discrétion de Me Paul Olivier Le Corre pourtant Sénéchal du Poü qui a préféré se retirer. On peut voir dans son départ un désaveu à l'égard du Procureur fiscal, peut-être aussi une indication sur ses ambitions car il deviendra le Procureur du marquis de Pont-Calleck et le régisseur de ses revenus. En s'adressant aux Juges de Pont-Calleck, en 1783, Maître Depoilpré montre qu'il a retenu la leçon, mais aucune suite à la plainte qu'il a déposée n'apparaît dans les registres de cette juridiction.
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Les Seigneurs du Poü
Le Pou, le Poüe, le Poü ou encore le Paou en Plouay, le Poux ou le Poulx actuels en Guidel, quelle graphie retenir parmi celles rencontrées ? L'onomastique aide à proposer une réponse. Francis Favereau, de l'Université de Haute-Bretagne, docteur d'état en celtique, s'appuie sur les travaux de Léon Fleuriot et dans son dictionnaire breton fait dériver pou de "pagus" avec approximativement la signification de district et tribu, et la phonétique pow. Cette référence au latin s'accommode bien de la présence du camp romain qui domine une boucle du Scorff, magnifique site défensif naturel, là où s'élève maintenant la chapelle Sainte Anne, dans l'ancien fief du Poü en Plouay, alors que dans la commune de Guidel subsiste le beau camp gallo-romain de Berluhec. Une stèle basse, proche de la fontaine Sainte Anne, témoigne d'une occupation du site plus ancienne encore. L'Institut géographique national emploie la graphie Paou à Plouay ; reconnaissons lui le mérite de se rapprocher d'une prononciation encore utilisée localement. Le premier plan cadastral utilisait Pou, écriture phonétique à l'époque (1843). Les formes Poü et Pouë ont l'avantage de l'antériorité et suggèrent la phonétique, nous adopterons donc Poü pour nommer les familles seigneuriales, tout en sachant que dans les textes originaux le tréma n'était pas nécessaire.
Du Poü
Le patronyme est très répandu aux XVè et XVIè siècles. Il n'est pas toujours possible de distinguer le "chef de nom et armes" placé à la tête de la seigneurie parmi les hommes d'armes, magistrats ou religieux qui appartiennent à cette famille alors illustre. Nous pouvons admettre que parmi Pierre, Gieffrezic et Jehan du Poü qui rendent hommage au vicomte de Rohan, le premier à Pontivy le 17 juillet 1396*, les autres à Hennebont le 20 juillet, se trouvent les châtelains de Plouay et de Guidel, accompagnés de Guillaume de Guer et de Pierre du Vergier. Ils sont tous vassaux des Rohan et leurs terres relèvent des fiefs de Léon. Dom Morice cite Maître Guillaume du Poü, "phisicien" (médecin) au 1er Avril 1415*, magistrat et témoin lors du dépôt de son testament par Marguerite de Bretagne, comtesse de Porhoët, elle léguait 40 sols à Notre-Dame de Kernascléden et 100 livres à Catherine de Bouteville (baronnie du Faouët) en 1428*. A partir de 1451*, Henri du Poü plaidait de nombreuses causes dont celle de Pierre, seigneur de la Forêt. Le 22 juillet 1486*, François du Poü, et Roland de la Villéon, sénéchal d'Hennebont, participaient à l'acte des "trèves et traité de commerce entre l'Angleterre et la Bretagne" par lequel François, duc de Bretagne, affirmait que "...tous pêcheurs, tant d'Angleterre, Irlande, Calais, que Bretagne qu'ils soient, pourront paisiblement aller partout sur mer pour gagner leur vivre, sans empêchement ni détournement de l'une ni de l'autre, et sans qu'il leur soit besoin, sur ce, retenir ni obtenir aucune licence, congé ni sauf conduit ...". Dans ses tentatives de résistance aux tentatives d'annexion de la Bretagne par le roi Charles VIII, le duc François II délégua François du Poü ambassadeur en Angleterre pour obtenir l'appui d'Henri VII, en 1487*. Restée veuve, la duchesse renouvela la mission en Octobre et Novembre 1489*, car, disait-elle, si le roi Charles achevait de conquérir la Bretagne, cette province ne sortirait jamais de ses mains et il serait maître de la mer. Nous retenons comme certains les seigneurs dont le nom est associé au manoir ou à la paroisse, tels qu'ils apparaissent dans les enquêtes portant "Réformation de la noblesse" à partir des transcriptions de René de Laigue. Rappelons que ces "réformations" avaient pour but l'élimination des prétendus nobles, usurpateurs de titres qui échappaient à l'impôt des fouages, et que le duc Jean IV, dès 1423, avait ordonné et réalisé cette vérification. A Caudan
En 1427* Pierre du Poü est à Saint Nudec et à Trémelo "manoir ancien" est-il précisé ; à Locouyern Verger, c'est Henri du Vergier (Locoyerne ou Locohierne). En 1536 : autre Henri du Vergier sur le même lieu, tandis qu'à Locouyern Le Dorze la terre appartient à Morice Lopriac. On verra plus loin l'intérêt de ces rapprochements. La même réformation de 1536 attribue Lestimeur (ou le Thy Meur) en Caudan à "Anne du Poü, dame de Kerviden". A Guidel L'enquête sur le nombre de feux (foyers) menée en Janvier 1447 permet de situer Pierre du Poü, en son manoir du Poü, de même qu'en 1477 avec Jehan son fils. L'hypothèse la plus plausible est que cette famille est issue, au XIVè siècle ou avant, de celle de Plouay et non l'inverse car la seigneurie du Poü en Guidel était petite et n'a laissé trace d'aucune juridiction. En 1513 son manoir était l'un des dix-huit que comptait la paroisse. Ce manoir sera plus tard propriété de Guillaume Blanchard, maître forgeron, qui le vendra en 1699* à Adrien Le Chevalier, trésorier de la Compagnie royale des Indes orientales, plus tard encore de Nicolas Philippe Carre de Lusançay, commissaire général de la Marine, puis de ses descendants. La présente étude est limitée à la seigneurie du Poü en Plouay.
* Les dates avec astérisques reportent , en fin d'étude, aux Preuves, sources et cotes d'archives. A Plouay,
Donc, en 1448, Jehan du Poü tient le manoir du Poü, autre noble reconnu : Charles du Poü. En 1464 : Jehan du Poü agit pour Jehan son fils, homme d'armes à trois chevaux. "Sébastien du Poü excusé parce que Ysabeau de Coetivy, sa mère, à fait remontrer qu'il est religieux". Ce Sébastien sera Abbé de Quimperlé de 1483* à 1499* En 1481 : Jehan du Poü, "on dit qu'il est de la maison du Duc". En 1514 : Jehan du Poü tient le manoir du Poü et la métairie de Penamprat (Pen-er-prat > Penprat) alors qu'Anne du Poü et son mari Jehan du Leslé sont au Manoir de Kerviden. La réformation de 1481 mentionnait la présence de Payen et de Guillaume de Pluvié, à Plouay, celle de 1513 citait Guyon Le Gall à Cunffio, Jehan de Pluvié à Kerdrého, Jehan du Leslé à Kermorgant. En 1536 le manoir de Kerviden et celui de Kermorgant étaient toujours propriétés des nobles Anne du Poü et Jehan du Leslé, "docteur ès-droit" Ces manoirs et les terres comprises entre le ruisseau du Rohic et celui de Pont-er-Daul ne rejoindront jamais la châtellenie du Poü. Le trésor historique que constitue l'ensemble des registres paroissiaux et d'état civil de Plouay conservés depuis 1572, nous livre d'amples informations. Sous le règne d'Henri III, nous apprenons que Julien du Poü était "compère", c'est à dire parrain de Julienne Le Pape, bâptisée le 14 avril 1586 ; sous Henri IV, parrain de Julien de Pluvié en 1604, il était dit écuyer et gouverneur (de Quimper). Il y a un siècle J. Trévidy attribuait la nomination du gouverneur de Quimper en 1594* aux seuls mérites du Capitaine de Concarneau, Le Prestre de Lézonnet, dont il venait d'épouser la fille Suzanne (3ème mariage ?). Barthélémy Pocquet, continuateur de l'Histoire de Bretagne commencée par Arthur de la Borderie, prononce un jugement sévère sur le Capitaine du Poü de Kermoguer, "incapable et pusillanime" durant les guerres de la Ligue, et rappelle qu'il ne s'était pas opposé à Guy Eder de la Fontenelle, débarquant à l'île Tristan près de Douarnenez, puis qu'il avait laissé à Jean Jégado, sieur de Kerolain, le soin de mettre en fuite ce chef de rebelles, célèbre par ses exactions, lors de l'attaque de Quimper en mai 1597*. Messire Jean (de) Jégado était seigneur de Kerolain, Kerlot, Lizini, capitaine garde-côte de Vannes et de Cornouailles ; en septembre 1629, il était commandant dans les villes et forteresses d'Hennebont et de Port-Louis (D'Hozier : Armorial Général de France, II, 2, p. 899) (1). Toutefois, aucune filiation n'est précisée avec Louis du Poü et Jeanne de Chefdubois son épouse, qui à partir de 1600, année de naissance de leur fille Louise, apparaissent comme seigneur et dame du Poü. Ils sont très sollicités pour tenir sur les fonts baptismaux les nouveaux-nés d'autres nobles ou d'humbles vassaux, comme le sont d'ailleurs les Pluvié de Ménéhouarn, Louis de Kerjezecaël ou Anne du Plessix, sieur et dame de Cunffio, Jan de Chefdubois, sieur de Brûlé, du Terre et de Rosgrand, comme le sont Josias, puis David Papin, sieurs de Pont-Calleck. Le mercredi 27 Juillet 1605 fut baptisée Suzanne du Poü "fille de défunt Louys du Poü, chevalier de l'Ordre du Roi et gentilhomme ordinaire en sa Chambre" et de dame Janne de Chefdubois ; Suzanne était née le samedi 23, en la maison et manoir du Poü ; son parrain fut Charles de Guer, seigneur de la Porte-Neuve, du Hénant, Kervichart ... Jan du Vergier était présent. En 1607, le 19 Août, deux cloches de la paroisse étaient baptisées. La plus grosse, "la Louyse" eut pour parrain et marraine "les nobles enfants Louys du Poü, sieur dudit lieu et Janne Guymarho" ; la plus petite, "La Guilmette" était nommée par "nobles gens Guillaume Guymarho, sieur de Kersallo et Janne de Chefdubois, dame douairière du Poü, Kerguézengor et Chefdubois, curatrice de Louys et Janne" fille aînée" est-il dit par ailleurs. Louys et Janne à leur tour participeront à d'autres cérémonies jusqu'en 1627, époque à laquelle le chevalier est cité pour la dernière fois à Plouay.
(1) Jehan Jegado et Guillaume, son père, étaient reconnus nobles en 1514, au Manoir du Sachz, en Guelgomarch (Guilligomarch), trêve d'Arzano, évêché de Vannes (R. de Laigne o.c)
Du Bouilly
Janne du Poü est la dernière dame de ce nom seigneur du lieu, mais le patronyme subsistera dans une branche cadette jusqu'au milieu du XVIIè siècle. A partir de 1630, c'est Mathurin du Bouilly qu'elle a épousé qui apparaîtra seigneur du Poü, dans les registres paroissiaux. Il est originaire de l'évêché de Saint-Brieuc et sa seigneurie de Trébry est située en Plouagat. Lui aussi est gentilhomme, chevalier de l'Ordre du roi. Tous deux laisseront le manoir et les terres à René Guillaume du Bouilly et à leur bru, Guillemette de Poulpry. Le 4 Octobre 1671 eut lieu un grand mariage, célébré dans la chapelle Saint Jean du Poü, entre Gervais de Carheil, seigneur de la Tronchaye (Carentoir) et Julienne Le Flo, de Plouay, dame de Trémelo ; de nombreux nobles de la région y participèrent, en particulier Jan et Jan-Baptiste de Rohan. Présents avec leurs parents les jeunes du Bouilly ne savaient pas encore que les fastes cachaient une situation financière telle qu'elle leur ferait perdre la seigneurie. Les parents se sont lourdement endettés et lors de leur succession les créanciers interviennent et font valoir leurs droits. Une somme de 300 livres est due à Jacques de Pluvié, augmentée de 346 livres 17 sols 6 deniers d'intérêts, qui "au denier vingt" révèlent un endettement de 23 ans. Encore n'est-il "colloqué qu'au 8è ordre", c'est à dire ainsi placé dans l'ordre des créanciers. A leur tête se trouvent Messire Jean Geoffroy à qui sont dues 14 000 livres et 9 625 livres d'intérêts, et Messire Charles de Sévigné avec "16 000 livres de principal et 14 000 livres d'arrérages". Les meubles sont vendus mais ne rapportent que 2 146 livres. Une sentence est rendue le 26 Août 1683* qui impose à François-Anne du Bouilly, seigneur du Poü, fils aîné et héritier principal la vente de la seigneurie. L'adjudication sera prononcée à Pont-Scorff, siège de la juridiction des fiefs de Léon. Les enchères durent plusieurs jours et il ne faudra pas moins de 10 chandelles allumées et éteintes avant que les derniers enchérisseurs deviennent les nouveaux propriétaires du Poü. La seigneurie est acquise par René de Lopriac et son " associé" Mathurin du Vergier en Décembre 1683* au prix de 43 800 livres. Du Vergier
Dom Lobineau et Dom Morice mentionnent dans leurs écrits de nombreux du Vergier ou du Verger, hommes d'armes qu'il serait abusif de confondre puisque du Verger est aussi le patronyme de familles guérandaises, poitevines ... Un Henri du Vergier était témoin dans un accord entre l'Abbesse de la Joie et Hervé de Léon en 1281*. La présence d'Alain de Rohan et d'autres nobles bretons permet de penser qu'Alain du Vergier, qui figure à Caen le 1er Décembre 1370* dans la montre de Bertrand du Guesclin, appartient à la famille qui nous intéresse. Un parchemin de 1389* relatif à la succession de la dame du Vergier, à Arradon, des rachats, à Ambon, en 1420 et 1476 par les Jehan du Vergier ouvrent des voies à la recherche. Dans la montre du 4 septembre 1481, Jehan de Lopriac et Guillaume du Vergier étaient cités à Quéven. En 1536, Morice Lopriac et Henri de Verger étaient cités nobles dans la Réformation, le premier à Locoyarn Le Dorze (Locoyern), le second à Locoyarn Verger, les deux en Caudan (R. de Laigue, ouvrage cité). En dehors de Pierre du Vergier déjà rencontré à Hennebont alors qu'il rendait hommage au vicomte de Rohan en 1396, la présomption devient certitude avec Henri, sieur de Locoyern qui, en même temps que Charles de la Sauldraye et de Lantivy, sieur de Talhouët, apparaît dans l'injonction faite à la noblesse le 21 juin 1553*, d'aller sous le commandement de Messire d'Arradon, défendre Belle-Isle menacée par les Anglais. Dans notre région deux rameaux sont alors distincts : les du Vergier, sieurs de Kerhorlay en Guidel qui se rendront un jour acquéreurs du manoir de Kernault (Mellac) et du Vergier de Ménéguen qui possèderont toujours Locoyern. A ce dernier rameau appartient Jan du Vergier, ancêtre de Mathurin. Jan du Vergier et Janne Rogon ont pour fils Paul, né le 4 Janvier 1618 à Caudan (voir tableau généalogique), marié le 13 juillet 1643 "en l'église Notre-Dame de Kerguellen à Saint Caradec lès Hennebond", sénéchal au siège royal et qui laissera un bon souvenir de son administration puisque l'acte de sépulture comporte ce commentaire : "le second de Juillet 1684 a été inhumé dans cette église, Paul du Vergier, sieur de Ménéguen, dans la cour inférieure des Carmes, dans la tombe qui est la plus proche de la porte de la Chapelle Saint-Joseph, au devant du balustre, après avoir exercé les offices 1° d'Alloué et depuis de Sénéchal dans Hennebont au grand contentement du public - Requiescat in Pace". Mathurin du Vergier, fils de Paul et de Marie Darassen, chevalier seigneur du Ménéguen, Conseiller du Roi devint à son tour Sénéchal en la Cour royale d'Hennebont. L'immense dépôt des actes de justice de la sénéchaussée d'Hennebont témoigne d'une administration rigoureuse. Le sénéchal est réellement à la tête de la noblesse, son rôle équivaudrait à celui d'un préfet de nos jours avec le pouvoir de justice en plus. De nombreux différends entre seigneurs sont d'ailleurs jugés par les soins de la Cour qu'il réunit et préside. Parmi ses nombreuses tâches la remise en quelque sorte officielle des registres de catholicité aux mains des prêtres des principales paroisses de la sénéchaussée requiert toute son attention ; il les signe régulièrement. Depuis l'ordonnance de Saint Germain en Laye prise par Louis XIV en avril 1667, ces registres, plus communément appelés paroissiaux, sont en double exemplaire. Lors de la réformation de 1669, Mathurin du Vergier put prouver la filiation continue de dix générations. Mathurin avait épousé en 1675 Janne Le Clerc de Kergolher fille de Louis Le Clerc, Procureur du Roi au Présidial de Vannes. Ce magistrat devait laisser un héritage considérable réparti entre les paroisses de Vannes, Plaudren, Questembert, Sarzeau et Sulniac (l'inventaire de ses biens dressé en 1725* remplit 95 pages). Mathurin du Vergier et son épouse ajoutèrent à leurs titres ceux de seigneur et dame du Poü, mais ils avaient dû emprunter 8 000 livres pour régler l'acquisition de la seigneurie (ou pour racheter la part de René de Lopriac ?) ; une quittance signée de Lopriac date de 1685*. Jeanne Le Clerc n'eut guère l'occasion de séjourner dans son nouveau manoir : la mort la frappait à Hennebont le 2 Octobre 1684, à l'âge de 27 ans. Présent dans la sénéchaussée, le duc de Mazarin assista à son enterrement le lendemain. Mathurin du Vergier ne se remaria pas et se consacra à ses charges. A son tour il décéda dans sa maison, place Notre-Dame et fut inhumé le 5 Mai 1696 en l'église Notre-Dame du Paradis, comme son épouse. L'office de sénéchal coûta 20 000 livres à son successeur. Comme le voulait la coutume de Bretagne, le fils aîné, Paul René, devint le nouveau seigneur du Poü. Son mariage avec Anne de Lantivy fut des plus discrets ; les publications eurent lieu à Plouay et à Grandchamp, mais c'est à Plouhinec qu'ils furent unis "par parole de présent" le 5 Novembre 1707. L'un des deux témoins requis - qui paraissaient seuls assister à la cérémonie - était Jeanne Claudine Le Clerc qui sera également présente au baptême de la fille aînée du couple. Celui-ci vivait à Kergal, en Brandivy, dans une propriété qui sera transmise en héritage. C'est à Kergal qu'est née Rose Isidore du Vergier, en 1708 ; sa vie étant en danger elle fut ondoyée sur le champ par Me Evenou, chirurgien. La cérémonie religieuse du baptême n'eut lieu, toujours à Brandivy, que le 10 septembre 1714, en même temps que celui de son frère Victor René, né en 1710. Pour l'un et pour l'autre furent parrains et marraines de pauvres gens ne sachant signer. Rose Isidore du Vergier deviendra à son tour dame seigneur du Poü, mais aussi de Kergal et de Kergolher ; comme ses prédécesseurs elle demeurait dame du Ménéguen et de Locoyerne ; par le jeu des successions les richesses se sont accumulées sur sa personne, elle possédait des terres très anciennent acquises à Guilligomarc'h, trêve d'Arzano, en particulier à Gozlèse, à Plaudren : Boisdaly ... Célibataire, elle partageait sa vie entre Le Poü, Kergal et Hennebont, dans son hôtel place Notre-Dame, gérant ses biens avec les sénéchaux et les procureurs fiscaux. C'est en ce lieu qu'elle décéda le 22 Septembre 1771*. Le cimetière la recueillit, et non plus l'église. L'inventaire des biens meubles de Rose Isidore demanda au notaire assisté de deux "priseurs" dix journées de relevés méticuleux, opérés dans 8 pièces - y compris celle des domestiques - dans l'office, le grenier, la cour où se trouvait une chaise à porteurs. La literie et la vaisselle qui se trouvaient dans les manoirs du Poü et de Kergal avaient été transportées à Hennebont, ce qui peut expliquer la présence de 12 paires de chaussons, 30 paires de bas "coton et fil", 29 bonnets et 40 chemises ... Parmi les 32 folios employés dans l'inventaire les derniers sont consacrés à la liste des papiers de famille, contrats de mariage, actes d'acquêt, guides généalogiques des du Vergier, ainsi que les évènements marquants de la seigneurie. Nous relevons, daté du 10 Juin 1457, l'accord entre le sieur du Poü et le sieur de la Rue Neuve au sujet des prééminences en l'église de Plouay, le 13 Juillet 1608 l'accord entre le sieur du Poü et le sieur de Botderu, accompagné d'une sentence de 1690 "touchant les enfeus en l'église de Guéligomar". En Février 1570 des aveux furent rendus au seigneur de Rohan, en ses fiefs de Léon, et, le 24 Mai 1613 un traité fut passé avec le même seigneur et le propriétaire du Poü, par lequel il était permis à ce dernier d'avoir "un patibulaire à 3 piliers" (potence). Le 6 Septembre 1604 le moulin du Rohic fut afféagé. En 1653 la tenue de Kerpont-Braz (Caudan) fit l'objet d'un bail renouvelé jusqu'en 1770. En 1660 se déroula une enquête sur les eaux qui alimentaient le village de Nézerch et en 1670 fut déposé le plan des cours d'eaux. La quittance de 1685 signée de Lopriac est également mentionnée avec l'emprunt de 1684. Le 15 Septembre 1741, on procéda à la vente du moulin à vent de Locoyern et dix ans plus tard fut dressé un état des bois qui existaient sur les terres du Poü, Locoyern et Ménéguen. En Mars 1743 on avait fait l'échange des terres du "Cosquer-Keradilis" et de Kerveller. Le bilan financier de l'inventaire est ainsi résumé : Meubles divers, effets : 3 999 livres 9 sols Argenterie 14 428 livres 6 sols 10 deniers Avoines diverses 416 livres 5 sols Argent monnayé 11 319 livres 16 sols 8 deniers Seigle 2 694 livres 6 sols 8 deniers Blé noir 165 livres Total 33 023 livres 4 sols Fin d'une seigneurie Rose-Isidore du Vergier étant décédée "sans hoirs de corps" ses biens devaient être répartis entre les héritiers collatéraux. Bien que cinq d'entre eux se soient fait connaître deux héritiers se partageront semble-t-il les terres et la seigneurie du Poü, le fils de Jeanne Claudine Le Clerc, veuve de Charles Marie François de la Celle, comte de Châteaubourg et un autre petit cousin fils de Thérèse du Vergier et de Guy du Bahuno, sieur de Kerolain. Dans la châtellenie éclatée seront seigneurs en titre : le nouveau comte de Châteaubourg, Charles Marie de la Celle, représenté par son tuteur officier au régiment de Condé, d'une part, d'autre part François Jacques Fortuné chef de nom et armes du Bahuno, puis sa veuve et, à partir de 1780 : son fils Annibal Julien du Bahuno, Page du Roi en sa Grande Ecurie. C'est dire qu'aucun d'eux ne vit dans la région de Plouay et que la juridiction maintenue et l'administration des biens reposent sur Paul Olivier Le Corre, Daniel Marie Depoilpré, aidés par les notaires. Les actes de justice sont désormais des plus simples : inventaires après décès, contrats de mariages, tutelles et curatelles, mesurages, prisages, estimations sur les tenues à domaine congéable. La juridiction qui s'exerçait autrefois près de la chapelle Saint-Vincent, parfois à Guilligomarch, ne tient plus ses assises qu'au bourg de Plouay. Les registres conservés donnent l'impression d'une justice tranquille, routinière. La pratique des bails à domaine congéable n'empêche pas les maintiens prolongés : plusieurs générations de Le Mentec, ont exploité les terres de Kerguestenen pendant un siècle. Maître Depoilpré abandonne son office de procureur fiscal de Kermérien-Le Crano qu'il remet le 14 Juillet 1781* aux mains du marquis de Marnières de Guer, futur émigré et futur préfet du Morbihan. Par contre, il exerce l'office de notaire peu après. La naissance de sa 7ème fille, Félicité Gabrielle, est fatale à la mère qui décède âgée de 33 ans le 17 juin 1784. Curieux maître Depoilpré qui éprouvait un grand besoin de considération mais ne séparait jamais sa particule du patronyme ! Pourtant à son mariage à Quimperlé le 31 Août 1772, il était bien dit fils de défunt Jean Mathurin de Poilpré, seigneur de la Ville-Raffray ... Lors de la naissance de sa 6ème fille, Agathe Jeanne Hilarionne, son fils Alexandre, parrain, signait Poilpré. Faut-il voir dans cette écriture une signification ? un renoncement du père au titre de noblesse ? La mort qui a frappé le "noble maître", à 45 ans le 29 Juin 1788 ne permet pas de savoir ce que les évènements qui s'annonçaient auraient éclairé. Par contre, on sait que Paul Olivier Le Corre, sénéchal du Poü et devenu procureur du marquis de Pont-Calleck fut Maire de Plouay. Engagé dans la Révolution il fut chassé par les Chouans en 1791 ; réfugié à Quimperlé il en devint Maire de 1796 à 1806, et y décéda en 1814. Me Bargain fut un révolutionnaire intransigeant au Faouët. Bien après la Révolution, au milieu du XIXè siècle, les héritiers lointains de Rose-Isidore du Vergier vendirent leurs terres. Le moulin à papier du Poü était décrit comme tombant en ruine, lors de la vente de 1683. Reconstruit, il produisait en 1776 "1000 rames de papiers divers pour sacs et enveloppes pour le Pays et pour Bayonne" ... ainsi que pour les besoins des bouchers. Selon les relations locales cette production dura jusqu'à la veille de la guerre de 1914-1918. Puis le moulin fut aménagé en moulin à grain et fonctionna ainsi jusqu'en 1972 ou 1973. Le manoir du Poü, reconstruit en 1858 dans le style d'une grande mais simple maison de campagne, utilisé comme ferme, symbolise l'évolution démocratique de la société. Son nom, lié peut-être au camp romain, la proximité des moulins à eau, créations féodales, permettent d'évoquer un passé éloigné et une seigneurie fort ancienne qui fut la seconde en importance de Plouay.
Gilbert BAUDRY Membre de la S.A.H.P.L.
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