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LES INTELLECTUELS BRETONS

DE LA RÉVOLUTION À MAI 68

 

 

Frédéric Bargain

Professeur d’Histoire

 

Introduction : à la recherche des intellectuels bretons.

 

Définir un intellectuel est une opération complexe, encore plus lorsqu'il s'agit de définir un intellectuel breton. Le terme est apparu durant l'Affaire Dreyfus, de façon péjorative, pour désigner les Dreyfusards, puis il s'est élargi pour désigner tous les producteurs de savoir ou d'art qui s'engagent dans un combat, généralement politique. Les études sur les intellectuels ont alors permis de repérer, en plus du combat, un réseau qui forme une sociabilité et un phénomène de génération très marqué, en fonction des enjeux des différentes époques. Si certains considèrent que l'intellectuel n’existe stricto sensu qu’au moment où le terme apparaît, d'autres, à l'image de l'historien Jacques Le Goff, considèrent qu'il peut s'appliquer à des périodes plus éloignées, comme le Moyen-Âge, dans la mesure où le fonctionnement intellectuel existe déjà. Pour analyser le cas des intellectuels bretons, cette seconde conception est préférable, car elle permet de mieux comprendre l'enracinement idéologique de ces derniers, sachant qu’un intellectuel breton n’est pas obligatoirement d’origine bretonne.

 

En effet, les intellectuels bretons apparaissent durant la Révolution, car il s'agit de penser les rapports de l'ancienne province avec la nouvelle France. Le Lorientais Cambry, dans son Voyage dans le Finistère, rédigé en 1795 montre une adhésion sans faille à la nouvelle société issue des idées progressistes des Lumières et explique, sous couvert de recenser les dégâts causés par la Terreur dans le département du Finistère, la façon dont la Bretagne peut s'y adapter. Sa conception décentralisatrice en fait alors un Girondin pour ses héritiers qui forment le courant régionaliste. Dans le même temps, un autre intellectuel donne une image totalement différente de ces rapports, c'est Chateaubriand. Pour lui, la Révolution ne fut pas une bonne chose, et le retour à la société d'Ancien régime s'impose, avec le rôle prédominant qu’y joue par la religion. C'est ici la naissance du second grand courant, le provincialisme. À partir de là, un certain nombre de générations vont se succéder durant les siècles suivant, mais toutes se définissent par rapport à ces deux intellectuels. Néanmoins, la génération de 1830 a à sa tête La Villemarqué, premier véritable collecteur breton avec son Barzaz breizh. Dans son cas, une synthèse entre l'acceptation de la nouvelle société avec les régionalistes et le refus de voir disparaître les institutions de la province bretonne qui est considérée comme une nation conduit à l'émergence d'un nouveau courant, autour du cénacle dans lequel se trouve en particulier Brizeux. Ce nouveau courant, que l'on peut nommer régional-nationaliste reste, malgré son œuvre fondatrice, l’un des plus marginaux. Avec la génération de 1848, le régionalisme réapparaît avec Lamennais et Souvestre qui lui donnent un corpus intellectuel marqué par les idées saint-simoniennes et chrétiennes. Cependant, il reste marginal tout au long du siècle, car les débats intellectuels sont marqués par l'opposition entre les provincialistes, qui dominent la société bretonne avec ses notables catholiques ruraux et les régionalistes, incarnation de la bourgeoisie urbaine montante qui prennent  une nouvelle dimension avec la génération de 1870, marquée par la figure de Renan. Plutôt qu'un rapide survol des différentes générations intellectuelles bretonnes, nous nous focaliserons sur la génération régionaliste de 1890, qui finit par dominer le champ intellectuel breton, ainsi que ses rapports avec les deux générations suivantes. À partir de là, on pourra se demander comment se mettent en place les mécanismes de la constitution des générations intellectuelles en Bretagne. Dans un premier temps, nous chercherons à comprendre le fonctionnement de cette génération, puis nous analyserons ses rapports avec les deux générations suivantes, de 1919 et de 1939.

 

I- La fin du XIXe siècle et la domination de la nouvelle génération des régionalistes.

 

1- Les lieux de sociabilité.

 

La fin du XIXe siècle est en Bretagne une période de renouveau culturel qui s'appuie sur un certain nombre d'associations déjà existantes[1]. Il convient de comprendre dans quelle mesure ces associations ont constitué des lieux de sociabilité importants dans la vie intellectuelle bretonne de l'époque. L'Union régionaliste bretonne apparaît alors sur bien des points la principale association d'intellectuels bretons. En effet, elle possède la particularité d'être œcuménique. Yves Le Moal affirme à ce propos : « officiellement, le mouvement breton, jusqu'à présent, ignore la religion ; il a inscrit dans son programme la neutralité »[2]. De fait, les buts des régionalistes s'inscrivent dans les objectifs de cette association : favoriser les intérêts de la Bretagne, en particulier sur les plans culturels et économiques, car elle refuse de déplacer la question bretonne sur le plan politique[3]. Cependant, l'Union régionaliste bretonne n'est pas la seule association de l'époque qui représente un lieu de sociabilité pour les intellectuels bretons. En 1911, apparaît une scission en son sein, qui débouche sur la création de la Fédération régionaliste bretonne, de composition plus urbaine et dominée plutôt par la bourgeoisie[4]. On peut alors constater que cette Fédération régionaliste bretonne se rapproche d'une certaine vision nationaliste et celtique de la Bretagne. Nationaliste, quand un de ses membres fondateurs, Jean Choleau, affirme : « nous croyons cependant avoir rencontré en Bretagne un pays où le respect de la tradition et l'attachement à l'idéal racique -respect et attachement dont se servent parfois certains partis politiques d'origine française- s'allie sans difficulté au progrès matériel, scientifique »[5]. Celtique quand un autre de ses membres, Jaffrennou, déclare : « Cette race d'avenir ne connaît pas encore sa force. Les Celtes se dispersent et s'ignorent »[6]. Dans le même temps, se développe le Gorsedd des druides, avec des idées proches du national-régionalisme, car le druide Le Berr déclare : « les États-Unis celtes de France, c'est à dire la France fédérative, la Bretagne autonome, j'en suis partisan, avec Jaffrennou et tous les bardes. Tel était l'idéal de Bleimor »[7]. À côté de ces trois grandes associations régionales qui structurent le mouvement breton, on trouve des associations plus locales voire départementales, comme les cinq sociétés archéologiques des départements bretons, qui organisent alors la recherche historique et qui constituent un lieu de sociabilité fondamental.

 

2- Les enjeux de la génération régionaliste de 1890.

 

La nouvelle génération des régionalistes peut être assimilée à celle qui arrive aux responsabilités dans le courant des années 1890. Celle-ci a bénéficié du travail de mise en place du courant régionaliste effectué durant les années précédentes, sous le patronage de Renan. En effet, n'oublions pas que si les provincialistes, avec le marquis de L'Estourbeillon, ont fini par prendre la direction de la grande association qui regroupe les intellectuels bretons, l'Union régionaliste bretonne, fondée en 1898, ce sont en particulier les régionalistes, avec Le Goffic, Le Braz, son premier président, et Maufra qui en ont l'initiative[8]. La crise de 1911 peut être alors perçue comme une scission entre cette génération et la génération montante, qui se retrouve dans la nouvelle Fédération régionaliste bretonne. Le refus d'un certain nombre d'intellectuels régionalistes bretons de continuer à travailler de façon œcuménique avec les provincialistes apparaît alors de façon évidente[9]. D'ailleurs, la Fédération régionaliste de Bretagne veut regrouper, comme l’indique J. Choleau : « tous les Bretons soucieux de donner dans l'économie moderne, française et européenne, à la Bretagne la place qui lui revient »[10]. Cette modernité affichée n’apparaissant pas dans une Union régionaliste bretonne on l’a vu, plus consensuelle.

 

De plus, cette génération a vu naître dans son sillage un courant nationaliste clairement affiché, qui se pose en rupture avec l'œcuménisme traditionnel propre au mouvement breton. Cette naissance se fait avec la création du Parti nationaliste breton, en 1911. Le druide Le Berr ne s'y trompe pas lorsqu'il rappelle :

 

« Aucun point essentiel de doctrine ne nous divise ... Notre régionalisme et leur nationalisme c'est blanc bonnet et bonnet blanc... Âgés, nous sommes portés à plus de modération, et l'essentiel de la question bretonne : le Breton à l'école et une constitution des provinces de France, imitée de celle de l'Alsace-Lorraine, et rappelant par conséquent nos anciennes franchises d'avant 1789 nous suffiraient ... Que les jeunes rêvent plus, c'est leur droit »[11].

 

Cependant, on peut constater que la génération régionaliste des années 1890 est différente de celle qui l’a précédée sur un certain nombre de points. Tout d'abord on constate qu'elle est inférieure en nombre à la génération précédente[12], et qu’en dehors de Dupouy, ces hommes n'ont pas une grande influence au niveau national. À ce niveau d’ailleurs, l’influence de Dupouy est nettement plus limitée que celle de Renan avec la génération précédente. Il y a-t-il une explication à ce phénomène ? On peut penser après coup, que Dupouy et les régionalistes de sa génération apparaissent comme des hommes de transition. En effet, la génération précédente occupe toujours le terrain intellectuel en Bretagne car l'Affaire Dreyfus n'y a pas eu l'impact pour la transition entre les générations qu'elle a eu au niveau national et bien entendu, sa formation reste totalement étrangère aux enjeux intellectuels qui ont secoué la France à la suite de la Première Guerre mondiale. Ainsi, les régionalistes de cette génération ne sont-ils pas en mesure de prendre une importance intellectuelle en Bretagne avant la vieille de la Première Guerre mondiale, ce qui explique en partie leur influence moindre. D'autre part, ils sont les héritiers directs de la génération précédente, ce qui signifie qu'ils peuvent se trouver en décalage face aux nouveaux enjeux de la société bretonne, et surtout qu'ils ne se situent nullement dans une logique de rupture idéologique, comme le font un certain nombre de jeunes de la génération suivante, à l'image de Le Mercier d'Erm ou de Napoléon-Leroux qui affirme : « nous ne reconnaissons ni grande ni petite patrie. Nous ne reconnaissons que la patrie, une seule patrie : la Bretagne. Il existe d'autre part vers l'Est une autre patrie, celle de nos ennemis »[13]. Cependant, on peut observer avec cette génération intellectuelle un affaiblissement du poids des provincialistes, ce qui correspond bien à l'évolution de la société bretonne et à la montée de la bourgeoisie, dont certains représentants intellectuels ont souhaité marquer une rupture avec eux.

 

II- Les rapports des régionalistes de 1890 avec les générations suivantes : entre continuité et rupture.

 

1- La génération nationaliste de 1919 : une rupture profonde.

 

La génération suivante est celle de 1919, et les conditions de sa formation lui sont propres. En effet, ces intellectuels sont pour beaucoup parvenus à l'âge adulte au lendemain de la Première Guerre mondiale, et on peut considérer qu'il s'agit dans l'ensemble des enfants des poilus, même si, comme l'indique Mordrel : « un grand nombre de militants du P. N. B. était d'anciens combattants que leurs blessures éloignaient pour toujours des champs de bataille »[14]. Ce point est fondamental pour comprendre cette génération qui subit de plein fouet le traumatisme moral de cette guerre et qui perd l'optimisme qui structurait jusqu'alors le mouvement breton. Ceci explique que ces Hommes se trouvent bien souvent dans une logique de rupture avec les générations précédentes et se posent en révoltés envers l'ordre établi, ce qui les conduit à tenir un discours bien souvent anti-étatiste, en :

 

« Considérant que l'agitation des partis politiques largement responsable de la guerre est stérile et dangereuse, et que la réorganisation de la France devra, ainsi qu'il apparaît à tout esprit censé, prendre à bref délai et nécessairement comme base nos grandes divisions naturelles, les Régions, au premier rang desquelles figure la Bretagne »[15].

 

Ceci explique en grande partie le fait que cette génération n'ait guère engendré de régionalistes notables. D'ailleurs, Yann Fouéré ne s'y trompe pas, quand il écrit : « le régionalisme breton, comme tous les organes inutiles, a cessé de jouer un rôle »[16].

 

Cette rupture se manifeste par une sociabilité différente des intellectuels de celle des deux générations précédentes. De fait, on ne rencontre guère d'homme de cette génération dans l'Union régionaliste bretonne et la Fédération régionaliste bretonne. Au contraire, elle crée ses propres lieux de sociabilité, autour de la revue Breiz Atao[17]. À l'origine, on y trouve des intellectuels de toutes tendances politiques, et leur point commun réside dans leur volonté de rompre avec le système politique en place[18]. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il s'agit là d'une génération avant tout nationaliste, voire régionale-nationaliste[19]. Après l’éclatement de son unité, un certain nombre de ses membres de gauche, à l'image de Le Mercier d'Erm ou de Duhamel, se retirent du domaine de l'action politique et vont vers celui de la réflexion[20].

 

La véritable rupture thématique et idéologique avec les générations précédentes se manifeste avec l'exemple de l'Irlande qui a entrepris au lendemain de la guerre de se libérer de la tutelle anglaise. En effet, si les régionalistes de la génération précédente voient cette entreprise de libération d'un bon œil, ils ne pensent nullement en faire un modèle pour le cas breton, dans la mesure où selon eux, les enjeux historiques et socio-économiques sont différents, et au contraire, ils condamnent le fait que « les terroristes bretons imitent leurs frères de l'IRA»[21]. La nouvelle génération d'intellectuels bretons quant à elle, applique l'idée d'une révolution à la Bretagne qu'elle estime, en tant que nation, opprimée de la même façon que sa cousine celte, car « la Bretagne a un passé de nation. Elle est née d'événements étrangers à l'histoire de France »[22]. Cette vision des choses n'est d'ailleurs pas dénuée du romantisme révolutionnaire que ces intellectuels ne placent ni dans le peuple, car sauf exception, ce ne sont pas des socialistes révolutionnaires[23], et surtout leurs préoccupations sont plus nationales que sociales[24] , ni dans le mythe de 1789 qui à leurs yeux a tué les libertés bretonnes[25], ce qui explique le rejet du département[26]. De plus, à l'intérieur même de l'État français, ils distinguent « [dans] nos combats d'émancipation, [ceux qui sont] régionaux pour certains, comme les Normands, les Savoyards ... nationaux pour d'autres, comme les Bretons, les Corses, les Basques, les Alsaciens et les Occitans »[27]. Ce tournant permet de tenter un « effort pour unir les minorités nationales de France dans un front commun contre le centralisme »[28]. Cette image de l'Irlande dépend alors de la façon dont on l'analyse.

 

Ainsi, par les lieux même de sociabilité, la génération précédente n’est jamais véritablement rentrée en contact avec cette génération intellectuelle. Il en va de même pour les thèmes, qui ont surtout donné lieu à des affrontements intellectuels. Alors que le traumatisme lié à la Première Guerre mondiale est à l'origine de la rupture entre ces deux générations, paradoxalement ce thème est quasiment évacué par tous ces intellectuels, à l'exception de brèves allusions qui montrent l'étendue du traumatisme commun. À partir de cette rupture et de cette nouvelle mythologie, toute une thématique qui diffère d'avec les régionalistes apparaît alors. Ainsi, la langue bretonne que l'on cherche à défendre n'est pas le breton populaire mais le KLT, la nouvelle langue bretonne écrite, qui forme une synthèse des trois dialectes brittoniques : le Cornouaillais, le Léonard, le Trégorois[29]. De plus, les préoccupations de ces hommes en font souvent des intellectuels qui ne cherchent pas à développer les thèmes paternalistes chers aux régionalistes libéraux, mais qui au contraire, protestent contre : « le bourgeois breton, libre penseur ou clérical, latinisé, francisé dans les grandes écoles du gouvernement »[30]. Cependant, cette génération d'intellectuels bretons est essentiellement une génération issue de la petite bourgeoisie urbaine ayant des métiers artistiques et intellectuels, ce qui ne la met guère en contact avec le peuple breton[31]. Peut-on voir dans ce discours radical la recherche d'une origine sociale perdue que les régionalistes ont mieux géré ? La chose n'est pas improbable, et la conjugaison de ce thème avec le traumatisme de la guerre et le romantisme de la révolte irlandaise a certainement contribué à en faire une génération a priori particulière. Cependant, elle a introduit des thèmes nouveaux dans la définition de l'identité bretonne qui était inconcevable pour les régionalistes. C'est celle du « terrain de la race », comme l'écrit Berthou, qui est à comprendre comme une prétendue race celtique au sens biologique, et dont les Bretons constitueraient l'une des branches[32]. Dans cette logique, cette race bretonne serait une race supérieure asservie par les races latines qui dominent la France et certains, constatant que « la Bretagne a une densité double de celle du Midi [demandent] qu'on nous traite aussi bien que le Midi »[33]. De plus, cette prétendue race serait aussi menacée par l'uniformisation des sociétés modernes[34], on parle alors de « ruine matérielle et [de] déliquescence spirituelle »[35]. Cette thématique raciste s'inspire directement des idéologies fascistes et surtout nazie, dont l'influence sur la branche la plus nationaliste du mouvement breton est notable à partir des années Trente, comme le prouve le programme SAGA, édité dans Breiz Atao en 1933 et qui affirme :

 

« Nous admirons les réalisations du fascisme, mais sans souscrire à tout un système. Nous sympathisons avec le racisme allemand, mais sans nous mettre à l'école du germanisme politique. Nous sentons tout ce que la Russie nouvelle apporte au monde de grand, mais sans pour cela faire table rase de notre héritage. De même, nous n'oublions pas les acquisitions précieuses de notre civilisation chrétienne bourgeoise sans pour cela renoncer à la bouleverser si c'est nécessaire »[36].

 

On peut également constater que cette dérive a eu lieu au moment où les éléments les plus modérés de cette génération, autonomistes et hommes de gauche, ont quitté Breiz Atao qui est resté aux mains d'un petit groupe de jusqu'au-boutistes qui développent la notion de séparatisme en Bretagne alors que jusque là elle n'était apparue que vers 1911, avec le Parti nationaliste breton de Le Mercier d'Erm et de Louis Napoléon-Leroux. Et encore, à l’époque cette idée était-elle éloignée de ces conceptions racistes qui apparaissent avec les responsables de Breiz Atao, Mordrel et Delaunay, le premier critiquant « l'antiracisme [qui] n'est qu'un prétexte, il est la couverture commode d'une politique qui vise, par les mariages interraciaux et l'intégration des immigrés, à fondre l'ethnie dans la masse indifférenciée, le chaos ethnique »[37]. En effet, la première conception du nationalisme breton, avec Le Mercier d'Erm s'appuyait elle, sur une doctrine libertaire[38]. Ses créateurs analysaient alors le problème du sous-développement économique de la Bretagne non plus dans une perspective raciste, mais comme étant la conséquence de la centralisation française, étant donné que : « il y a chez nous, un certain état d'âme, un certain malaise économique et surtout politique, qu'on ignore ou qu'on veut ignorer en France »[39]. La doctrine de Mordrel puise également ses fondements dans une vision organiciste de la société[40], ce dernier se disant, ainsi que ses compagnons : « lecteurs de Nietzsche […] nous n'avions pas pour objectif le bonheur, mais l'œuvre », ce qui est une forme de dévoiement de la pensée de ce philosophe, à la suite des Nazis[41]. On ne sera pas étonné de trouver alors chez ces nationalistes le culte du chef, ce dernier étant propre aux conceptions des régimes totalitaires de l'époque, car ils l’affirment : « les Chefs de Section doivent inspirer à leurs hommes le respect du Chef du Parti »[42]. Pour les régionalistes, en particulier Dupouy, une telle vision du monde était tout simplement intolérable, c'est ce qui explique les débats souvent virulents qu'il a menés contre ces intellectuels nationalistes[43]. Il est vrai que son statut de chef de file du régionalisme breton ne pouvait que l'inciter à œuvrer dans ce sens[44].

Cependant, cette rupture générationnelle a aussi entraîné une scission au sein même du mouvement breton. En effet, si auparavant ce dernier était divisé en plusieurs courants intellectuels, tous se retrouvaient dans certains lieux de sociabilité et partageaient certaines thématiques, car c'était plus la vision de la société qui distinguait ses branches que la vision des rapports de la Bretagne et de la France[45]. De plus, les quelques nationalistes que comptaient alors les intellectuels bretons ne se plaçaient nullement dans une logique de rupture, mais plus dans une logique de collaboration avec les autres branches du mouvement breton. Ainsi, pour Fouéré, il s'agissait « de créer en Bretagne une troisième force ou un tiers parti  à mi-chemin entre le séparatisme et le centralisme »[46]. De fait, cette génération de 1919 constitue la génération non-conformiste en Bretagne car elle se place dans la même logique de rupture d'avec la génération précédente que les non-conformistes dans le reste de la France, avec comme origine le même traumatisme et se construit avec la même ambiguïté, dans la mesure où des hommes de toutes tendances politiques se retrouvent sur le même rejet de la société libérale issue de la Révolution au début de leur carrière intellectuelle, avant d'évoluer vers des idées différentes de façon marquée, allant jusqu'à hésiter entre la Résistance et la Collaboration[47]. Tous ces intellectuels se retrouvent également dans le rejet du libéralisme économique responsable de la crise de 1929, et assimilent les difficultés économiques de la Bretagne à une mauvaise exploitation de ses richesses, par un état français capitaliste qui se désintéresse de ses intérêts, car, comme l’indique le programme SAGA : « notre répulsion à l'égard du capitalisme est invincible, car le capitalisme, sans patrie, sans âme, sans cœur, constitue la plus grande force de nivellement que le monde ait connu, la plus grande force contraire à l'homme »[48]. C'est pour cela que même si cet élément est moins notable chez les autres intellectuels bretons, il ne faut pas oublier que tous ont une vision sociale étatiste, mais non pas celle d’un état français centralisé, plutôt celle d’un état breton qui est « une nécessité de liberté dans l'union même », selon Jaffrennou[49]. Les premières idées d'Union européenne apparaissent alors, et pour Debauvais : « le Nationalisme breton propose donc d'appliquer le fédéralisme à la Bretagne libre pour former avec la France d'abord, avec les pays d'Europe occidentale ensuite, une fédération qui précédera la formation des États-Unis d'Europe, si ceux-ci doivent un jour prendre corps »[50]. D'autre part, les provincialistes voient leur courant intellectuel absorbé par l'Action française, ce qui les intègre au renouveau monarchiste en France. Mais leur nombre est très réduit dans cette génération intellectuelle, ce qui fait dire à Mordrel : « les catholiques libéraux [...] nous suivirent, mais ceux qu'on pouvait appeler les cléricaux ne s'inclinèrent jamais et cherchèrent toujours à faire bande à part »[51].

 

 

2- La génération de 1939 : un retour aux valeurs de celle de 1890 ?

 

La génération de 1939 a un point de vue totalement différent. Il est vrai que les enjeux qui la constituent ont considérablement évolué par rapport à la génération intellectuelle précédente et se rapprochent plus de ceux qui ont formé la génération de 1890. En effet, même si, comme dans le cas de la génération de 1919 c'est une guerre qui oriente sa naissance, le traumatisme est vécu différemment. Ainsi, l'occupation de la France et en particulier de la Bretagne qui ont suivi l'échec militaire de 1940 y ont fait naître un fort sentiment d'attachement à la patrie française. Il faut remarquer que la démocratie auparavant semblait acquise dans le pays et que les intellectuels bretons pouvaient se payer le luxe de chercher à obtenir des libertés en ce qui concerne leur région. Quand la liberté dans la société a été supprimée, ainsi que les valeurs humanistes qui lui sont attachées, on a assisté à un retour aux fondamentaux[52]. Cependant, il est notable que les hommes de la nouvelle génération régionaliste comme Queffelec et Hélias n'aient pas participé à la résistance et que si les résistants non-communistes s'appuient sur leurs valeurs, aucun ne figure au rang des intellectuels bretons. Cette génération révèle également une profonde évolution dans les différentes branches du mouvement breton. Ainsi, les intellectuels collaborateurs ont fait l'objet d'un rejet total, que ce soit à titre personnel ou sur le plan idéologique. L'idée nationale bretonne est alors discréditée avec ses dérives racistes. Mais le national-régionalisme subit également un rejet, même si tous ses membres, loin de là, n’avaient pas collaboré. Pour le défendre et dissocier les deux courants, Fouéré affirme : « la troupe armée de nationalistes et d'indépendantistes qui a combattue la résistance française aux côtés des Allemands n'était qu'une poignée de nationalistes bretons »[53]. De plus, les provincialistes qui avaient totalement cautionné la collaboration par le biais de l'Action française[54], disparaissent totalement du champ intellectuel breton. Il est vrai que la profonde évolution de la société bretonne qui suit ne donne plus guère de prise à leurs idées, et ils ne sont plus en mesure de se reconstituer suite à l'épuration. Ce n'est pas le cas des nationalistes et des régionaux-nationalistes des générations 1919 et 1939 qui s'enfuient en Irlande ou au Pays-de-Galles, comme l'indique ce témoignage engagé de Ronan Caerléon :

 

« La Bretagne est condamnée au silence. Les Bretons épurés sont dispersés dans toute la France, certaines familles ont des prisonniers, ont eu des fusillés, des assassinés. Ceux qui ont pu échapper à la police politique se sont réfugiés en Irlande, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Amérique ... »[55].

 

Les plus radicaux, les nationalistes de la génération de 1919 comme Mordrel disparaissent néanmoins du champ intellectuel breton, tandis que les modérés de 1939 en profitent pour faire évoluer le corpus intellectuel du nationalisme breton. Fouéré incarne cette évolution en affirmant : « la seule méthode possible, et la seule démocratique, est donc de reconnaître aux régions elles-mêmes [...] les pouvoirs nécessaires à leurs auto-affirmations et leur auto-défense »[56]. La trop grande compromission des séparatistes durant l'Occupation les ayant totalement rayés du champ intellectuel breton, la vision raciale et raciste de la Bretagne disparaît alors[57]. La fin des principaux adversaires intellectuels du régionalisme marque alors sa victoire idéologique et surtout l'enracinement durable des valeurs républicaines en Bretagne.

 

Conclusion : l'héritage du mouvement intellectuel breton dans la génération de 1968.

 

Même s’il ne rentre pas dans notre propos de l’analyser en détail, la dernière génération d'intellectuels bretons que l'on peut étudier est celle de 1968. On peut constater que comme dans beaucoup de cas, cette génération intellectuelle a puisé ses origines dans une guerre, celle d'Algérie. Les intellectuels bretons d'alors se placent en rupture avec la génération précédente de 1939, et évoluer dans une logique protestataire et anticapitaliste[58]. Ainsi, elle connaît des problèmes similaires à la génération de 1919. Elle est principalement constituée d’hommes appartenant à la bourgeoisie urbaine de souche récente et de Bretons immigrés qui se sentent dépossédés de leur héritage culturel. Ce sentiment est d'autant plus marqué que cette génération intellectuelle assiste à la plus grande évolution sociale que connaît la Bretagne, qui passe alors d'un monde principalement rural, catholique et paysan à un monde majoritairement  urbanisé, où la langue et les traditions bretonnes comme le costume se dissolvent. Pourtant si dans la génération de 1919 ce sont les éléments nationalistes et racistes qui finissent par dominer le mouvement intellectuel breton, il n'en va pas de même pour cette génération, car sa construction idéologique est différente. Le modèle irlandais réapparaît pourtant dans la mythologie des intellectuels bretons, ce qui explique que l’IRA Inspire directement la mouvance terroriste de cette génération, avec le FLB-ARB[59]. Mais ces intellectuels bretons de la génération de 1968 veulent surtout concilier la vision nationaliste de la Bretagne avec l'héritage humaniste. D'autre part, n'oublions pas l'influence des théories liées à la décolonisation dans ce mouvement qui perçoit souvent les rapports entre la Bretagne et la France avec l'image d'une « colonisation intérieure »[60], du coup  « la révolution bretonne n'est pas dirigée contre la France mais contre un système français de gouvernement qui favorise l'oppression des minorités nationales sur son territoire »[61]. C'est ce qui explique en partie le fait que ces intellectuels évoluent en dehors des théories racistes, car ils se sentent proches des problèmes des peuples d'autres continents, en particulier l’Afrique.

 

            Autre particularité, ce mouvement intellectuel ne se développe pas de façon autocentrée, comme dans le cas de la génération de 1919, mais se construit à partir du Mouvement pour l'organisation de la Bretagne qui est une association œcuménique regroupant deux générations d'intellectuels bretons celle de 1968 et les nationalistes modérés de 1919[62]. Il ne devient véritablement autonome qu'avec la création de l'Union démocratique bretonne en 1964[63]. Cette génération de 1968 a donc trouvé son héritage intellectuel et ses thèmes en dehors du régionalisme, ce qui explique l'oubli dans lequel elle le laisse, et qu'elle se nomme elle-même « néo-régionaliste » sur le plan national[64]. Pourtant, le régionalisme n'a pas totalement disparu de la scène et les représentants de la génération précédente encore actifs sur le plan intellectuel comme Hélias, n'hésitent pas à polémiquer de façon indirecte avec les hommes de cette génération[65]. Par son double héritage : le nationalisme pour la vision de l'histoire et le régionalisme sur le plan de la vision humaniste de la société, cette génération de 1968 est assimilable au régional-nationalisme dont l'idée est développée par Yann Fouéré, dans une conception libérale de la société et en ces termes : « le néo-régionalisme doit dépasser l'économie sans pour autant tomber dans la particularisme ou le micro-nationalisme. Pour qu'il s'ouvre au contraire sur la nation et sur l'Europe, il lui faut une expression et des instances »[66]. De fait, l'idée européenne prend également un tournant, car : « Ainsi s'esquissait déjà le retour de la stratégie fédéraliste qui était déjà celle de Peuples et frontières. Elle devait tendre à la construction, par delà les états, d'une Europe fédérale des régions et nations sans état »[67]. Cette génération est donc moins radicale d'un point de vue idéologique que celle de 1919. D'ailleurs elle trouve plus d'appuis dans la société et sauf exception, elle respecte les institutions et le jeu politique allant même jusqu'à s'associer avec des partis de la gauche parlementaire, en particulier « avec le PSU [pour lequel] les relations furent les meilleures car ce parti s'ouvrait aux idées régionalistes, voire fédéralistes »[68]. C'est par cette logique qui n'est pas celle d'une rupture jusqu'au-boutiste qu'elle parvient à prendre la place institutionnelle réservée exclusivement aux régionalistes depuis la Seconde Guerre mondiale, et occupée par ces derniers et les provincialistes auparavant. Ainsi, l'héritage régionaliste se trouve muté dans une optique régionale-nationaliste et ce, malgré la puissance du courant au tournant du siècle



[1] MORDREL (O.), L'Idée bretonne, Paris, Albatros, 1981, p. 40 : « Ce qu'on a appelé la seconde renaissance bretonne commença en 1889 par une tentative de décentralisation littéraire, Le Parnasse breton contemporain ».

[2] LE MOAL (Y.), Essai sur la question bretonne, Brest, Feiz ha Breiz, s.d., p. 9. Voir aussi : LE GOFFIC (Ch.), L'Âme bretonne, 4 séries, 1902-1911, réed. Paris, Champion, 1982, seconde série, p. 150 : « Le régionalisme est une maison commode, un large foyer où toutes les opinions se tiennent à l'aise », id., « Le régionalisme est un état d'esprit général et [...] aucun parti n'a le droit de s'en prévaloir à l'exclusion des autres [...]. Nous souffrons du mal de l'unanimité ».

[3] On trouve à ce sujet les analyses de deux de ses membres les plus importants : LE GOFFIC (Ch.), op. cit., première série, p. 427 : « Séparatisme, autonomisme, régionalisme ne sont que des mots. Ce qui s'agite au fond de la conscience celtique, obscurément, confusément encore, c'est le sentiment de la race et les droits de cette race à la vie intégrale des races supérieures ». Ces propos racistes, exceptionnels chez un régionaliste, contrairement à certains nationalistes, ne se retrouvent a priori pas dans d'autres écrits de Le Goffic, ce qui montre bien les évolutions idéologiques souvent marquées de ces intellectuels. Peut-on y voir alors la simple évocation de la notion de peuple qui se confond avec le terme race ? C’est plus probable, vu qu’on se trouve là dans l’héritage de Renan, qui n’hésita pas à titrer un de ses ouvrages : La poésie des races celtiques.

[4] NICOLAS (M.), Emsav, histoire du mouvement breton, Paris, Syros, 1981, p. 53.

[5] CHOLEAU (J.), Questions bretonnes des temps présents, administratives, économiques et sociales, Vitré, Éditions Unaniez ar vor, 1942, 2 vol., vol. 1, p. 183. Les orientations et l’action de Choleau laissent supposer une utilisation du terme racique dans le même sens que celui de Le Goffic.

[6] JAFFRENNOU (F.), La Genèse d'un mouvement (ganedigerez eun emzao), articles, doctrines et discours (skridou, reolennou, prezegznnou), 1898-1911, Carhaix, Imprimerie-librairie du peuple, 1912, p. 85.

[7] LE BERR (L.), Après Carentoir : jeunes et anciens dans le mouvement breton, Quimperlé, Imprimerie de l'Union agricole et maritime, 1926, p. 8.

[8] DEZARROIS (A.), Hommage au Marquis de l'Estourbeillon, Rennes, Imprimerie provinciale, 1942, p. 2-3, qui donne la liste des adhérents et des fondateurs.

[9] NICOLAS (M.), op. cit., p. 53.

[10] CHOLEAU (J.), op. cit., vol. 1, p. 168-169.

[11] LE BERR (L.), op. cit., p. 14.

[12] On peut citer : Dervenn (Cl.), Largillère (R.) et Vercel (R.). Voici comment a pu être analysé ce passage de génération à l'époque : LE BERR (L.), op. cit., p. 2 : « Les anciens ont eu dans ces bouleversements des procédés différents. Ils s'efforçaient de se substituer légalement à leurs adversaires dans la même organisation, et quand ils en eurent créé une autre à Saint-Renan (Fédération Régionaliste Bretonne), ils conservèrent le même esprit, le même but de ceux dont ils se séparaient. La guerre de 1914-1918 même donna [...] l'espoir d'une réconciliation possible et souhaitable ».

[13] LE ROUX (L. -N.), La Question bretonne : Pour le séparatisme, Rennes, Éditions du PNB, 1911, p. VI.

[14] P.N.B., Notre lutte pour la Bretagne, Les éditions du PNB, 1942, p. 40. A. C., « SAGA », Breiz Atao, 12 mars 1933.

[15] Coll., La Question bretonne et les dernières élections, Lorient, Imprimerie Le Bayon-Roger, 1920, p. 3. Ce thème est l'un des plus traité par les intellectuels bretons.

[16] Id., p. 23.

[17] Voir DEZARROIS (A.), op. cit., p. 3, où seuls Yves Le Diberder et Camille Le Mercier d'Erm sont cités comme membres de l'U.R.B. pour cette génération. Pour ce qui est de la F.R.B., nous n'en n'avons aucune trace. Pour ce qui est de Breiz Atao, voici les principaux noms : Delaporte (R.), Duhamel (M.), Mordrel (O.), Roincé (J. du), Sohier (Y.).

[18] A. C., « SAGA », Breiz Atao, 12 mars 1933, op. cit.

[19] 88 % des intellectuels de la génération ont un profil de type nationaliste d’après nos analyses.

[20] LE MERCIER D'ERM (C.), L'Étrange aventure de l'armée de Bretagne, Dinard, À l'enseigne de l'Hermine, 1937. Pour Duhamel : Le Fédéralisme international et le réveil des nationalités, Rennes, Éditions du Parti autonomiste breton, 1928.

[21] CHOLEAU (J.), L'Expansion bretonne au XXe siècle, Paris, Champion, 1922, p. 170.

[22] DUHAMEL (M.), La Question bretonne dans son cadre européen, 1929, rééd. Quimper, Nature et Bretagne, 1978,     p. 156.

[23] Pour les socialistes révolutionnaires, voir : DUHAMEL (M.), Le Fédéralisme international et le réveil des nationalités, Rennes, Éditions du Parti autonomiste breton, 1928, p. 8 : « Reste la solution fédéraliste, qui consisterait à unir les peuples sur le plan économique, en laissant à chacun sa souveraineté politique ».

[24] Même si la thématique sociale apparaît à l'occasion chez les régionaux-nationalistes de gauche : MASSON (E.), Les Bretons et le socialisme, Paris, Maspero, 1972, p. 215 : « Le vrai peuple breton est un peuple de prolétaires, de paysans et de marins ». Pour la vision nationaliste voir, entre autre : LE MOAL (Y.), Essai sur la question bretonne, Brest, Feiz ha Breiz, s.d., p. 6 : « Quel est en France et dans le monde le principal ennemi des groupes ethniques, dans l'espèce de la Bretagne ? C'est l'esprit révolutionnaire. De quelle doctrine les Bretons doivent-ils s'inspirer pour combattre efficacement les menées de la centralisation  révolutionnaires ? De la doctrine du nationalisme ».

[25] DUHAMEL (M.), op. cit., 1978, p. 27 : « La Révolution fut amenée, pour sa défense, à instaurer une concentration totale de l'autorité, dépassant de loi les tentatives de centralisation qui avaient tant de fois dressé les Bretons contre le roi de France. Le nouveau pouvoir les dressa plus violemment encore contre lui, et ce fut la Chouannerie. [...] détournée de ses fins naturelles, la Chouannerie eut bientôt contre elle, en Bretagne même, tous les partisans des idées nouvelles ».

[26] Id., p. 69 : « remplacer les départements par des circonscriptions territoriales plus vastes ».

[27] FOUÉRÉ (Y.), La Bretagne écartelée, 1962, réed. Paris, Nouvelles éditions latines, 1976, p. II. Ce point de vue est également abordé en ces termes : LE MERCIER D'ERM (C.), Les Origines du nationalisme breton, Rennes, Éditions du PNB, 1914, p. 24 : « c'est que notre patrie représente en France un cas exceptionnel et à peu près unique [...] une nationalité ».

[28] MORDREL (O.), Breiz Atao, histoire et actualité du nationalisme breton, Paris, Alain Moreau, 1973, p. 129.

[29] JAFFRENNOU (F.), La Genèse d'un mouvement (ganedigerez eun emzao), articles, doctrines et discours (skridou, reolennou, prezegznnou), 1898-1911, Carhaix, Imprimerie-librairie du peuple, 1912, p. 7 : « Que veulent les rénovateurs de la littérature et de la langue bretonne ? Perpétuer leur autonomie de race par tous les moyens légaux et naturels compatibles avec l'unité française [...], et la manifestation la plus vivace, la plus sûre, la plus juste de cet individualisme, c'est le libre parler, c'est l'emploi familier et l'emploi littéraire de la langue bretonne, c'est enfin son enseignement dans des écoles de l'Etat ». Voici les projets de l'un des fondateurs du KLT: VALLÉE (F.), Conseils aux écrivains bretons, Saint-Brieuc, A. Prud'Homme, 1935, p. 1 : « Il faut, il est nécessaire avant toute chose de réveiller le sentiment national breton. Il faut ensuite, et cela est non moins nécessaire, faire de notre langue une langue unifiée et régulière, apte à exprimer toutes les idées les plus modernes et capable de prendre rang parmi les langues de la civilisation. L'œuvre du réveil de la conscience nationale est menée à bien par une élite de patriotes bretons. Quant à la langue unifiée, elle se développe parallèlement à ce réveil du sentiment national : elle produit des œuvres intéressantes et a un centre important : Gwalarn ».

[30] MASSON (E.), op. cit., p. 215.

[31] LA BENELAIS (J. de, pseudonyme de MORDREL O.), Pensées d'un nationaliste breton (Breiz Atao, 1921-1927), Rennes, Les Nouvelles éditions bretonnes, 1933, p. 22 : « Les bourgeois bas-bretons ne sont plus bretons que de nom. Ils se conduisent comme des étrangers à la Bretagne. Ils n'en parlent point la langue, n'en défendent pas les intérêts, en négligent toutes les traditions ».

[32] BERTHOU (Y.), Les Vessies pour des lanternes, Paris, Eugène Figière et C° éditeur, 1913, p. 236 : « na ru, na gwenn, ni blanc, ni rouge ! Bretons sans plus ». JAFFRENNOU (F.), op. cit., p. 85 : « Cette race d'avenir ne connaît pas encore sa force. Les Celtes se dispersent et s'ignorent ».

[33] LE X, En Bretagne, rien de nouveau, Rennes, Imprimerie provinciale, 1933, p. 30.

[34] LA BENELAIS (J. de, pseudonyme de MORDREL O.), op. cit., p. 9 : « Mais aujourd'hui que leur personnalité est sérieusement menacée dans son existence par la lente pénétration des civilisations étrangères, les Celtes seront obligés pour la sauver, à se construire par synthèse une vie nationale qui réponde à leur vie intérieure, ainsi que de réagir contre leurs instincts individualistes qui les éloignent de l'œuvre collective ».

[35] PNB, Notre lutte pour la Bretagne, Les éditions du PNB, 1942, p. 55. Certains résument cette question ainsi : MORDREL (O.), L'Idée bretonne, Paris, Albatros, 1981, p. 279 : « la crise du monde moderne ».

[36] A. C., « SAGA », Breiz Atao, 12 mars 1933.

[37] MORDREL (O.), La Voie bretonne, Quimper, Nature et Bretagne, 1975, p. 42. Même si ces lignes sont écrites tardivement, elles sont le reflet de la pensée intellectuelle de Mordrel.

[38] LE MERCIER D'ERM (C.), La Bretagne libertaire, la nation bretonne et l'Internationale, Orléans, Les Humbles, revue littéraire des primaires, 1921, p. 16 : « seule doctrine de droit et probe justice humaine, opposée aux arguties hypocrites des pharisiens de toutes les politiques de conservatisme social, de tous les impérialismes plus ou moins oppressifs, le socialisme se doit de tenir un tel langage et ne peut y faillir sans se faillir à lui-même ».

[39] LE ROUX (L. -N.), La Question bretonne : Pour le séparatisme, Rennes, Éditions du PNB, 1911, p. VI.

[40] MORDREL (O.), L'Idée bretonne, Paris, Albatros, 1981, p. 147 : « Contre l'imposture de la souveraineté du peuple, en réalité le règne des démagogues et de l'argent, pour une société organique où les plus qualifiés prennent en charge la société ; contre le vieux dualisme spiritualisme-matérialisme, pour la subordination de l'économie aux valeurs spirituelles qui sont nôtres [...] contre l'idéal d'un empire français multiracial, pour une nation blanche forte de sa base ethnique ».

[41]Id., p. 111.

[42] P.N.B., À toi militant breton, Rennes, Les éditions du PNB, 1941, p. 15, id., p. 8-9 : « par son maintien, son attitude extérieure, le chef de section doit révéler un caractère. Il donne l'impression d'une force tranquille, d'un être parfaitement équilibré, discipliné ».

[43]En particulier avec le chiffre des Bretons tués durant la Première Guerre mondiale qui était porté à 240 000 par les nationalistes pour accréditer l'idée d'un massacre volontaire de la part de la France et ramené de façon scientifique par Dupouy à celui de 140 000 dans son Histoire de Bretagne en 1941, p. 420.

[44] Le Braz étant mort en 1926 et Le Goffic, en 1932.

[45] Voici des extraits concernant ces questions : JAFFRENNOU (F.), La Genèse d'un mouvement (ganedigerez eun emzao), articles, doctrines et discours (skridou, reolennou, prezegznnou), 1898-1911, Carhaix, Imprimerie-librairie du peuple, 1912, p. 6 : « Qu'est l'unité de la France sinon une agglomération de personnes réunies, mais toujours distinctes, de provinces qui ont été conquises ou qui se sont données librement à elle ».

[46] FOUÉRÉ (Y.), DIDRO (Y.), L'Histoire du quotidien la Bretagne et les silences d'Henri Freville, Saint-Brieuc, Les Cahiers de l'avenir, 1981, p. 81.

[47] BARBIN (R.), L'Autonomisme breton (1815-1930), Poitiers, L'Action intellectuelle, 1934, p. 12 : « les Bretons eux-mêmes auraient peut-être rencontré moins d'adhérents à la thèse séparatiste s'il y avait eu moins de mécontents, partout, dans chaque classe de la société ». Pour ce qui est de la Résistance, voir cette critique de l'affaiblissement de l'idée bretonne à ce moment selon certains : CAERLEON (R.), Au Village des condamnés à mort, Paris, La Table ronde, 1970, p. 19 : « Beaucoup de Breton s'engagèrent dans la Résistance française. On peut déplorer qu'ils n'aient pas eu une conscience ethnique suffisante pour confondre les deux causes en une : celle de la liberté ».

[48] A. C., « SAGA », Breiz Atao, 12 mars 1933.

[49] JAFFRENNOU (F.), op. cit., p. 7.

[50] DEBAUVAIS (F.), L'Intérêt breton et l'avenir de la Bretagne, Rennes, Éditions Breiz Atao, 1926, p. 10.

[51] On ne compte que Pocquet du Haut-Jussé (B. -A.) et Roincé (J. du). Mordrel explique ainsi ce phénomène : MORDREL (O.), Breiz Atao, histoire et actualité du nationalisme breton, Paris, Alain Moreau, 1973, p. 72, id.,p. 73 : « Depuis que les deux tiers du corps électoral s'étaient ralliés à la laïcité, il était indispensable de nous désolidariser de la tendance théocratique, sous peine de nous rendre suspects à la majorité des catholiques ».

[52] Et parfais par le biais même de l'inspiration d'hommes de la génération de 1919, comme Yann Fouéré : FOUÉRÉ (Y.), La Bretagne écartelée, 1962, réed. Paris, Nouvelles éditions latines, 1976, p. IX : « autonomie régionale, liberté pour nos peuples ».

[53] FOUÉRÉ (Y.), La Maison du Connemara : histoire d'un Breton, vol. 2, Spezet, Coop-Breiz, 1995, p. 19.

[54] ROINCÉ (J. de), La Bretagne malade de la République, Rennes, Imprimerie nouvelle, 1971, p. 8 : « c'est en partie à Charles Maurras et à l'Action française que l'on doit le renouveau régionaliste qui s'est manifesté à cette époque [après 1918] aussi bien en Bretagne que dans le reste de la France ».

[55] CAERLEON (R.), Au Village des condamnés à mort, Paris, La Table ronde, 1970, p. 15.

[56] FOUÉRÉ (Y.), « Vers un fédéralisme européen des régions », p. 3-8, p. 8.

[57] Les nationalistes ont, on peut s'en douter, un autre point de vue de victime : MORDREL (O.), Breiz Atao, histoire et actualité du nationalisme breton, Paris, Alain Moreau, 1973, p. 437 : « Sur le plan politique plus concret, les premières années de l'après-guerre offrent le panorama d'un vide absolu : les chefs proscrits, les cadres au bagne, les audacieux liquidés, l'image de marque souillée ».

[58] POUPINOT (Y.), Les Bretons à l'heure de l'Europe, Paris, Nouvelles éditions latines, 1961, p. 52 : « L'idéologie révolutionnaire devait avoir en définitive l'appui de la population bretonne. Elle permettait à la fois aux cultivateurs d'acquérir les terres qu'ils [travaillaient], et elle donnait à la bourgeoisie une place au moins proportionnelle à son savoir et à sa fortune. La fidélité au régime nouveau allait donc être étroitement liée au sentiment d'élévation sociale ressenti par le peuple ».

[59] http://fr.wikipedia.org/wiki/ARB#Origine.

[60] U.D.B., Bretagne = colonie, Rennes, Imprimerie commerciale, 1972, p. 110 : « l'ère de la décolonisation intérieure de l'état capitaliste est à réaliser maintenant que la décolonisation politique du Tiers-monde est avancée ».

[61] CAERLEON (R.), La Révolution bretonne permanente, Paris, La Table ronde, 1969, p. 11.

[62] MONNIER (J. -J.), Histoire de l'Union démocratique bretonne, Lannion, Presses populaires de Bretagne, 1998, p. 5 : « La plupart était membre du MOB (Mouvement pour l'organisation de la Bretagne) dirigé par Yann Fouéré. Ce mouvement regroupait des Bretons de toutes opinions, y compris des partisans de l'Algérie française et d'anciens du Parti national breton et, de ce fait, beaucoup de militants étudiants de MOB qui étaient de gauche, y éprouvaient un certain malaise ».

[63] Id., p. 7-8 : « La Charte de l'UDB (1964) [...] conscient de la vocation nationale de la Bretagne [...] pour l'établissement d'un régime résolument démocratique, sur le plan d'une part des individus, d'autre part des communautés [...], la nécessité de la disparition du libéralisme économique et préconise la primauté du travail sur le capital [...], l'intégration fédéraliste des peuples européens est nécessaire à leur plein épanouissement ».

[64] Mouvement fédéral français, Régionaliser la France, « La Fédération », Lyon, Centre régional Rhône-Alpes, 1965,    p. 6-7 : « Le néo-régionalisme doit dépasser l'économie sans pour autant tomber dans la particularisme ou le micro-nationalisme. Pour qu'il s'ouvre au contraire sur la nation et sur l'Europe, il lui faut une expression et des instances ».

[65] HÉLIAS (P. -J.), Le Cheval d'orgueil, Paris, Plon, 1975, rééd. 1982, p. 600-601 : « Mais nous, précisément, nous n'avons rien à voir avec la mode. Nos pères étaient faits de bois debout [...]. Il est temps d'en finir avec la couleur locale ». Cette phrase conclut l'attaque envers le zèle des néo-bretonnants, qui sont en réalité les nationaux-régionalistes.

[66] FOUÉRÉ (Y.), Union démocratique bretonne, L'Europe des régions, stratégie institutionnelle pour une relance démocratique, Saint-Brieuc, Les Cahiers de l'avenir, 1984, FOUÉRÉ (Y.), « Vers un fédéralisme européen des régions », p. 3-8, p. 3 : « les mouvements régionalistes ou nationalistes-régionaux ». Pour la vision libérale de la société, voir : FOUÉRÉ (Y.), L'Europe aux cent drapeaux, Paris, presses d'Europe, s.d., p. 191 : « C'est d'étatisme que les civilisations finissent de mourir », id., p. 134 : « Le fonctionnement d'une social-démocratie qui assure la participation toujours plus grande de l'Homme et du citoyen à la conduite des affaires apparaît inséparable des pouvoirs sociopolitiques, de celui des groupes médiocres dont parle Proudhon ».

[67] FOUÉRÉ (Y.), La Maison du Connemara : histoire d'un Breton, vol. 2, Spézet, Coop-Breiz, 1995, p. 144.

[68] MONNIER (J. -J.), op ; cit, p. 8-9.