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BRIQUETERIE TUILERIE MOULIN - KEROLE

 

René Royant

Membre de la SAHPL

 

VISITE A LA BRIQUETERIE TUILERIE MOULIN

EN PLEINE PRODUCTION (*)

 

C'était, sans doute, une des briqueteries les plus importantes du Morbihan. Fondée en 1878 par M. Le Gall qui exploitait déjà la briqueterie du Kernével et qui découvrit le gisement d'argile de Kérolé.

L'établissement fut acquis en 1893 par M. Moulin qui a cédé l'affaire à son fils, et s'est retiré à Quimperlé.

Entre temps, comprenant au début une installation rudimentaire : un four en plein air, l'établissement Moulin s'agrandit considérablement, un second four de cuisson intermittente, sous toiture, avec cheminée d'appel extérieure fut construit.

Puis de vastes hangars de séchage et de manutention furent élevés, et enfin un four de cuisson à feu continu du plus récent modèle, dont la haute cheminée se voit de tous les points de l'horizon, fut édifié par M. Le Clainche entrepreneur lorientais bien connu.

La carrière

Une des conditions de bonne exploitation d'une briqueterie est que la matière première, l'argile, se trouve à proximité.

C'est le cas pour Kérolé : un banc dont la surface peut être évaluée à près de cinq hectares, affleurant le sol de 2 à 3 mètres d'épaisseur, s'étend à proximité de l'usine Moulin.

La carrière est en pleine exploitation, et un Decauville amène l'argile du fond de l'excavation à l'atelier au fur et à mesure de l'extraction. Des pompes assurent l'évacuation des eaux pluviales ou de source, quand, par hasard, la nappe aquifère se découvre.

Cette extraction se fait surtout en hiver quand l'argile détrempée se coupe facilement alors qu'en été la chaleur la rend dure et difficile à travailler.

C'est pendant toute l'année, cependant, que se fait l'extraction des terres pour la fabrication des briques et tuiles, dont l'hiver verra l'usination, et l'été la cuisson intensive. Ceci n'empêche pas d'ailleurs de fonctionner en ce moment (mois de décembre) mais avec un taux de rendement un peu diminué.

Briques rouges, briques blanches

Nous apercevons des stocks de briques rouges et de briques blanches.

Les premières proviennent de l'argile de Kerolé, briques ordinaires que tout le monde connaît et que l'on emploie dans la bâtisse. Les secondes sont des briques réfractaires.

La fabrication - le trempage

La fabrication et le ressuyage se font dans un vaste bâtiment clos de plus de 2 000 m2 de surface où courent plus de 10 000 mètres d'étagères de séchage et de ressuyage, et où les briques, prêtes à la cuisson, sont entassées en alignements corrects et considérables.

A leur arrivée, les terres argileuses sont mises en fosse, démottées, séparées en petits morceaux de la grosseur d'un oeuf, mélangées et dosées suivant leur nature. Elles sont l'objet d'une humidification calculée pour leur donner la malléabilité juste suffisante au travail qu'elles doivent subir.

Le broyage

Des fosses à trempage, l'argile passe en malaxeur-broyeur-mouleur, actionné par une machine à vapeur de 15 chevaux.

L'argile, détrempée, comme nous l'avions dit, est introduite dans un cylindre où une vis sans fin assure un mélange homogène : c'est un véritable pétrin mécanique.

De ce cylindre, elle passe dans un corps de pompe où, refoulée, elle constitue un long ruban qui va sortir à l'orifice en épousant la forme du moule creux, approprié au genre de brique que l'on veut obtenir : quadrangulaire, demi-cylindrique, cylindrique, pleine ou creuse, tous les modèles à formes régulières.

Reçu sur un chariot spécial où il glisse sur des rouleaux de plâtre pour assurer la non-adhérence, le ruban- brique est coupé à la longueur voulue par des fils d'acier.

Le ressuyage

La brique brute est faite. Aussitôt, et au fur et à mesure, elle est déposée sur les étagères de ressuyage où elle restera quelques jours laissant évaporer l'eau lentement.

Ces étagères s'alignent sur toute la longueur de l'atelier en rangs pressés, nous y voyons des briques carrées, rectangulaires, des tuiles, des briques creuses pour cloisons, etc...

Le finissage

Mais ces briques sont brutes, irrégulières, il faut les reprendre une à une pour leur donner la régularité, le fini du produit que la clientèle appréciera et se disputera.

C'est l'affaire d'une machine, presse rebatteuse, d'où chaque brique entrée à l'état rudimentaire sort pressée, calibrée, nette de bavure, portant la marque de la maison : un moulin à vent avec l'inscription : "Kerolé - Lorient".

Notons au passage que le travail de la rebatteuse est facilité par l'huilage des parois qui empêche toute adhérence des briques avec les moules.

Toutes les briques qui n'ont pas une forme géométrique, mais une forme spéciale, triangulaire, tronconique, les briques pour cheminées, les briques cannelées, etc... sont faites à la main en un atelier spécial.

Les briques achevées sont placées, alignées, les unes au-dessus des autres, en laissant entre elles de légers intervalles pour assurer la circulation de l'air et aussi permettre une nouvelle évaporation de l'eau de constitution. Eles sont là par milliers et par milliers, attendant leur tour de cuisson. D'autres briques sèchent également en plein air sous des panneaux les garantissant de la pluie.

La cuisson

Nous avons dit que la cuisson s'effectuait dans trois fours dont deux à feux intermittents, l'autre à feu continu. Le plus ancien, en plein air, a été transformé en four à flamme renversée par M. Moulin qui en ce moment y annexe un appentis destiné à garantir des intempéries les chauffeurs alimentant les foyers.

C'était le vieux four à briques de nos pères avec plusieurs cheminées centrales, que l'on utilise toujours.

Le jour où nous visitons l'usine, on commence à défourner une cuisson.

Le second four est beaucoup plus moderne mais doit lui aussi être éteint et rallumé après chaque fournée, il est à flamme renversée. C'est un vaste tronc de cône ayant huit foyers de chauffage avec cheminée d'appel intérieure, à retour de flammes latéral, le long des parois, à la voûte du four, rappel de tirage par la sole, et évacuation des gaz par une cheminée extérieure. Un registre de tirage assure une combustion calculée suivant la nature des briques à cuire.

Jusqu'à ces derniers temps, le chauffage avait lieu au charbon : les prix prohibitifs industriels des charbons ont amené M. Moulin à utiliser provisoirement du bois, ce qui n'assure pas moins une température de 1 600 à 1 800 degrés.

Ce four peut contenir de 15 à 16 mille briques, de 30 à 35 Tonnes, c'est à dire la valeur de 3 wagons de chemin de fer.

Entre les foyers se trouve une porte de chargement par laquelle on passe pour empiler, à claire-voie, les briques à cuire. Dès que celles-ci ont garni toute la cavité du four, la porte est murée et les foyers sont allumés.

Ce n'est que lentement et progressivement, en vue d'éviter des torsions et des fêlures, que la température est amenée aux chiffres cités plus haut : la cuisson est achevée en général au bout de 70 heures pour les briques, un peu moins pour les tuiles.

 

Le four moderne

Dans le four que nous venons de visiter, il est facile de se rendre compte que si l'on pouvait récupérer toute la chaleur perdue par les briques portées au rouge blanc et par le four lui-même, il en résulterait une économie considérable de combustible.

Cette économie est réalisée dans le four moderne à feu continu de l'usine Moulin.

Celui-ci dont la haute cheminée se dresse à côté du bâtiment qui l'abrite, peut contenir de 160 à 165 Tonnes, 70 000 à 75 000 briques à la fois dans ses vastes chambres de cuisson.

En réalité il peut cuire sans discontinuer pendant des mois et des années, tant qu'aucune réparation ne nécessite son arrêt.

Le four se compose d'un grand quadrilatère en maçonnerie de moellons où courent deux galeries parallèles revêtues de briques réfractaires communiquant entre elles à chaque extrêmité.

Ces galeries ont des ouvertures servant à l'introduction de briques. Les briques placées et entassées à l'entrée de la galerie, et en occupant une certaine place, les ouvertures correspondant à la partie à chauffer, sont bouchées. La partie de la galerie vide est séparée par une simple feuille de papier, et des appels d'air sont ouverts dans la chambre de chauffe par où les gaz iront se déverser dans un collecteur central réchauffeur de parois, débouchant à l'extérieur dans la cheminée.

Le feu allumé va rougir les premières briques en contact immédiat.

Sur celles-ci, de la plateforme du four, par des trous de chauffe à couvercle, on verse du charbon à la pelle sur les briques rouges. Ce charbon s'enflamme grâce au tirage d'appel, la chaleur se propage vers le fond ; de nouveau le charbon va s'enflammer et chauffer les briques placées un peu plus loin, et la cuisson continue suivant un cycle ininterrompu.

Les briques cuites se refroidissent dès qu'on ne garnit plus de charbon, elles sont retirées de leur logement cependant que, plus loin, on garnit une nouvelle chambre, 2, 3 ou 4 travées restant toujours en cuisson.

De cette disposition résulte une très grosse économie de charbon, et aussi il faut le dire une plus grande facilité de travail.

Tout autour de ce vaste four, dans le bâtiment plus vaste encore, courent les étagère où achèvent de sécher 100 modèles de briques de toutes formes, de tous calibres, briques en argile, briques en terre réfractaires, les secondes, à usages spéciaux, sont obtenues par le travail et la cuisson des terres kaoliniques amenées à Kerolé et provenant des exploitations de Lann-Vrian, près de Keram en Ploemeur.

Ces dernières n'entrent en fabrication qu'après avoir été réduites en poudre impalpable par un broyeur à meules qui en débite en quantités presque indéfinies.

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A l'usine sont annexés une forge et un atelier destinés à faire tous les travaux intérieurs.

La Maison Moulin a pris depuis quelques années un développement considérable et ce n'est pas seulement à Lorient et aux environs qu'elle est connue.

Ses produits sont achetés et appréciés dans tout le département, dans toute la Bretagne, et ses briques réfractaires s'en vont, entre autres à Angers, Nantes, Cherbourg, Rochefort, Brest, et dans dix autres villes industrielles pour la construction de fours.

Les tarifs prohibitifs actuels des chemins de fer ne permettent malheureusement pas la vente dans les régions libérées où cependant on réclame de la brique à cor et à cri. Chaque brique serait grevée en moyenne d'une somme de 0,18 à 0,20 F, et même plus !

Nous ne terminerons pas cet article sans remercier M. Moulin de son amabilité et sans rappeler que mobilisé comme capitaine d'artillerie coloniale, il fit campagne en Alsace, aux Dardanelles, en Macédoine, et fut envoyé au Sénégal finir la guerre, en raison de son état de santé.

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Lucien Le Pallec précise que la Briqueterie Tuilerie de Kérolé a été fondée en 1878, et que la fin de sa production se situe vers 1926, le filon d'argile étant épuisé. Cette briqueterie avait bénéficié de l'apport d'argile en provenance du quartier Frébault, cette caserne la plus moderne de France à cette époque, car l'entreprise avait eu l'adjudication pour le nivellement du terrain ainsi que le creusement destiné à recevoir les futures fondations de tous ces bâtiments : casernements, bâtiments administratifs, hangars pour harnachements, écuries, murs d'enceinte, routes internes, etc...

En 1945, je me souviens que l'on pouvait voir encore les restes d'un ancien four. Le remblaiement fait dans cette partie par les Allemands, suite aux travaux de la base de sous-marins, s'arrêtait à proximité.

Cet établissement peut être situé à l'heure actuelle dans le coude de la rue François Toullec, là où il y a une école de perfectionnement pour gens de la mer, la limite ouest et sud étant le muret longeant le rivage du Ter et la vasière formant une anse, en direction de la base de sous-marins.

Il faut remarquer que les briques portent d'abord le nom de la commune de Ploemeur, ensuite le nom de la commune de Lorient.

Ces briques étaient expédiées un peu partout, dans la région lorientaise, et l'on trouve fréquemment dans le sol, au cours de travaux de démolition, des briques avec le moulin. Dans l'ancienne cité provisoire de Kermélo, sur la rive droite du Ter, il y en avait en quantité ; les habitants des baraquements agrémentaient leurs jardinets par des bordures de briques. Ils s'approvisionnaient à bon compte, tout simplement en récupérant les briques dans cette usine abandonnée depuis longtemps. Des "plates" faisaient le trajet, c'était tout simple, il n'y avait qu'à se servir, les Allemands quant à eux ne se gênaient pas pour le faire.

Dans l'emplacement de l'ancienne briqueterie Durand à Saint Sterlin, c'était la même chose, n'importe comment c'était du matériel abandonné et perdu.

Dans notre région, je ne connais pas de briqueterie ; la brique est un matériau noble, toujours utilisé, mais produit certainement dans des usines de forte productivité, dans des régions où l'argile est abondante, et il faut reconnaître qu'elle est surtout employée en décoration.

 

(*) Article extrait du Nouvelliste du Morbihan du 5 décembre 1920

 

René Royant

Membre de la S.A.H.P.L.