Page précédente Accueil  Plan du site

 

BELZ : UN POINT D’APPUI

TEMOIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

 

Georges Mousset

SAHPL

 

 

En Août 2003 il fait très chaud partout en France, dans le Morbihan la situation est préoccupante en raison de la sécheresse qui sévit. Des incendies se déclarent un peu partout, c’est le cas notamment à Belz, un territoire de plusieurs hectares retourné à l’état sauvage est ravagé par les flammes laissant deviner des structures insolites en forme de logettes aménagées le long de 2 murets de pierres d’ un parcellaire.

Des postes individuels intacts

La découverte de ces structures a été fortuite, aucun document connu ne fait état de leur présence, une enquête de proximité se solde par un total déficit d’information à leur sujet; parfaitement inconnues, ces structures ont traversé le temps et résisté à la destruction en raison de leur isolement.

Ainsi on peut observer aujourd’hui sur place (voir relevé en annexes):

* 14 postes individuels (diamètre de 1.00 m environ ou surface de 1.00x1.00 m environ, excepté le poste en angle, plus important, prévu pour 2 personnes) bien visibles aménagés le long de 2 murets de la parcelle formant 2 lignes perpendiculaires dont l’angle est orienté dans la direction du Pont Lorois situé à une distance de 1.5 km environ, une aile d’une longueur de 31.50 m environ dirigée face à la route Port-Louis-Quiberon distante d’environ 400 m, l’autre aile d’une longueur de 110 m environ faisant face au secteur de Larmor en Belz au delà de l’étang du Bignac.

* 1 poste individuel (diamètre de 1.00 m environ) isolé situé 36 m en avant de l’angle d’intersection des 2 murets.

Le site occupe un ancien landier pierreux dénommé au Cadastre « er manillen » (la butte de l’étang), il constitue le point culminant des hauteurs de l’étang du Bignac situé en contrebas.

Chaque poste est réalisé avec les matériaux disponibles sur place, il permet à une personne de pouvoir se protéger en s’abaissant. Les postes situés en arrière du muret à 2 parements en pierres sont entièrement réalisés en pierres sèches tirées du muret attenant, ils sont relativement bien conservés, ceux positionnés en arrière du mur mixte constitué de pierres sur 1 parement et d’un glacis de terre sur l’autre face sont réalisés entièrement en terre et sont en moins bon état.

Après avoir cherché a établir une corrélation entre ces structures inédites et le passé « religieux » du site, l’inventeur fut stoppé dans sa réflexion par la découverte à l’intérieur de postes de plusieurs douilles percutées et/ou complètes d’armes de guerre.

La vocation militaire de ce site fut alors démontrée par la présence à même le sol de ces douilles de fusils datées du conflit de 39/45, douilles attribuables tant à l’armée allemande qu’aux armées alliées (il est admis que les armes françaises et celles d’autres nations ont été récupérées au début du conflit et utilisées par l’armée allemande, de même pour les Résistants qui s’en procuraient lors des coups de mains, les parachutages, les désertions…).

La présence sur le site de ces douilles de munitions d’armes légères des 2 « camps belligérants » dans ce qui constitue un point d’appui au sens militaire nous interpelle, serions nous en présence de postes construits et occupés par l’armée allemande ou au contraire par les Résistants  ou encore aux 2 belligérants alternativement ?

Cette notice historique rappelle succinctement la situation militaire durant le conflit 39/45 dans le secteur Sud de la « Poche de Lorient » et se propose d’apporter des éléments d’explication aux questions que nous nous posons sur ce point d’appui en nous appuyant sur des faits et à des documents avérés.

 

Rappel historique et chronologique succinct des principaux événements locaux et nationaux

Mai 1940 : Invasion de la France par les troupes allemandes

6 juin 44 : Débarquement Allié de Normandie, début de la Libération du territoire

3 Août 44 : Replis des troupes allemandes du Morbihan dans la « Poche de Lorient »

5 août 44 : Libération de Vannes par les Alliés et résistants

7/8 août 44 : Attaque refoulée des Alliés sur Lorient, les Américains poursuivent leur progression vers l’Est et laissent aux Français le soin de contenir l’ennemi dans les poches Lorient, Etel, Plouharnel, Quiberon

12 août 44 : Libération d’Erdeven ; Etel reste sous contrôle Allemand, une partie de la population est évacuée

23 août 44 : Coup de main des FFI contre des allemands à Etel

23 août 44 : Attaque refoulée FFI (6 ième compagnie du 2 ième bataillon) contre les blockhaus de la Falaise à Etel, plusieurs tués chez les FFI

5 novembre 44 : Ordre d’évacuation d’Etel du Commandant Le Garrec (commandant du 2ième bataillon FFI chargé du sous secteur Etel/Carnac)

Novembre 44 : Destruction du Pont Lorois

Décembre 44 : 2 Américains tués à Etel alors qu’ils observaient les positions allemandes de la Falaise

8 décembre 44 : Neutralisation des fortifications Allemandes de La Falaise à Etel, de Kerminihy, Kérouriec et Kerhillio à Erdeven par les Américains appuyés par les FFI (batteries d’artillerie à Bellevue en Belz et au Lery en Mendon).

8 décembre 44 : Libération d’Etel.

« La rivière d’Etel constituera la frontière Ouest de la poche de Lorient jusqu’au 8 mai 45 minuit, date du cessez le feu. Pendant ces 5 mois, de Décembre à Mai 45, de nombreux et violents combats eurent lieu dans les secteurs de Caudan, Sainte Hélène, Nostang, entre l’armée Allemande et les groupes de Résistants.

Il y eut des tirs sporadiques d’artillerie de part et d’autre de la rivière jusqu’en mai 45, date de libération de la poche. » 

 

10 mai 45 : Redddition des troupes allemandes de la « Poche de Lorient » le 10 mai à Caudan

 

Ce rappel historique succinct permet de se représenter la situation militaire locale à l’époque du débarquement allié en Normandie et des jours qui ont suivi. Les troupes allemandes du Morbihan sont en mouvement pour le front des combats et pour le port de Lorient afin de constituer des places fortes dans l’espoir d’un renversement de la situation militaire à leur faveur.

Ce point d’appui témoigne de l’effervescence qui régnait autour de ces déplacements de troupes.

Hypothèse 1 : des postes de l’armée allemande

Nous savons par le récit du général Fahrmbacher commandant la « Poche de Lorient » que décision avait été prise dès début Août 44 de renforcer leur capacité défensive :

« Chapitre « LE DEVELOPPEMENT DE LA CAPACITE DEFENSIVE : La situation avait donc évolué dans le sens auquel s’était toujours attendu le Commandement. Lorient était fort du côté de la mer, où il n’y avait pas d’ennemis, mais faible du côté de la terre, où se trouvait l’adversaire. OBJECTIF : occuper la ligne de défense avec le plus de densité et de profondeur, de manière a assurer, de façon satisfaisante, la sécurité des positions de la Laïta …à la rivière d’Etel. La construction de véritables fortifications fut exclue…on manquait de temps et du matériel nécessaire, d’outils, de matériaux, le bois se trouvait en petite quantité et il n’y avait pas du tout de ciment…les clous exigeaient toute une organisation de l’économie.

Le Commandement Supérieur laissa aux autorités locales la plus grande latitude pour le choix des emplacements… et tout ce qu’il donna comme directives pour la poursuite des travaux fut de faire des abris à l’épreuve des éclats, en forme de bunker de terre, d’établir ensuite des obstructions et enfin de creuser d’élémentaires emplacements de combats pour les mitrailleuses et pour les mortiers. De très nombreux trous individuels et des fossés antichars constituèrent les premières installations importantes qu’on réalisa en vue du combat. Il ne faudrait pas se représenter sous ce nom de ligne de défense une ligne continue ; il s’agissait plutôt d’une zone fortifiée, avec un système fait de nombreux petits nids de résistance, dispersées comme les cases d’un échiquier, et prévus pour se couvrir réciproquement de leur feu. Les talus de terre, qui sont si typiques de la Bretagne et en bordent tous les champs, trouvaient, de ce point de vue, toute leur utilisation ».

Ce point d’appui à caractère purement défensif dominant aurait permis à l’armée allemande de conforter le secteur Nord de la « poche d’Etel» début Août au moment de l’arrivée des Alliés dans le Morbihan (libération de Vannes et présence des Alliés dans la région d’Hennebont le 6, attaque refoulée des Américains sur Lorient les 7 et 8). Ces constructions qui auraient été ordonnées par Fahrmbacher, chef de la Poche et avant tout général d’artillerie de troupes terrestres, apparaissent logiques dans le contexte historique de l’époque.

La libération du bourg d’ Erdeven occupé par l’armée allemande, événement relaté par le journal de marche du bataillon américain-Colonel Wood, eut lieu le 12 août par l’action des FFI (groupe du Commandant « Marco » de la région de Baud-Pluvigner) appuyés par les blindés Américains et les SAS. Dans son récit, le chef de l’expédition américaine relate un accrochage en rase campagne avec un groupe de soldats Allemands avant de rejoindre son point de ralliement à Kercadio avant Erdeven. Ceci confirme bien que l’armée allemande était positionnée en amont des poches pour résister aux avances des armées alliées.

La présence des unités américaines bien renforcées et bien militarisées aurait contraint les Allemands à abandonner cette position essentiellement défensive du site, comment d’ailleurs auraient-ils résister derrière des murets de pierres sèches à l’attaque des chars « Sherman » des Américains ? Sauf peut être à disposer d’une artillerie positionnée à proximité sur l’arrière des postes, les terrains s’y prêtant d’ailleurs effectivement.

Manifestement des combattants ont occupé ces postes, ce fait est révélé par la présence de douilles dans et à proximité des postes individuels faisant face à la route Port-Louis à Quiberon qu’ils dominaient.

A partir de cette date du 12 août , les Allemands se seraient repliés au-delà de la rivière d’Etel et dans leurs blockhaus de La Falaise mieux défendus, lesquels ont fait l’objet d’une attaque refoulée des FFI le 23 août. Ils resteront néanmoins présents à Etel jusqu’au 20 août 44.

Hypothèse 2 : des postes de la Résistance

Début Août 44, les FFI du bataillon « Marco » venus libérer Erdeven auraient-ils occupés le site après son abandon par l’armée allemande ou seraient-ils eux-mêmes à l’origine de l’aménagement de ces postes ?

Les percées allemandes à travers la ligne défensive des Résistants stationnés dans le secteur de Belz étaient redoutées dès la constitution de la « poche ». Le pont qui relie les 2 rives de la Rivière d’Etel entre Belz et Plouhinec (pont suspendu dit « à fil de fer » construit en 1848) constituait le point de passage obligé pour un éventuel raid ennemi dans le but où celui-ci aurait voulu reprendre pied sur Auray. Cette crainte est confirmé par le récit de Jean Perez : « Alors le 3 août vers 20 h, l’opération militaire s’est mise en place : opération d’intimidation et de répression menée par les unités renforcées de retour à Auray, d’où on les avait retirées les 27 et 28 juillet en direction de la poche de résistance allemande de Lorient ».

De septembre à novembre 44 le bataillon « Marco » est remplacé par le bataillon « Le Cosquer » d’Auray, il se positionne le long d’une ligne de Carnac à Etel, une section est chargée du secteur des Quatre Chemins de Belz.

Les accrochages avec l’ennemi sont relativement fréquents et parfois violents, les Allemands de Plouhinec traversent le pont qu’ils contrôlent pour se ravitailler du côté de Belz créant ainsi de l’insécurité.

Louis Audic d’Erdeven se trouvait justement en poste aux Quatre Chemins de Belz avec sa section durant cette période (septembre-octobre-novembre) « je n’ai jamais vu des résistants dans ces postes, il n’y avait personne entre le pont et nous. Un jour, en octobre-novembre, les Allemands venus de Plouhinec ont passé le pont, il y eut une razzia dans les basses cours du côté de Kergo (village de Belz à l’entrée du pont qui ne s’appelait pas encore Pont Lorois), les habitants fuyaient vers nous, les Allemands tentaient de mettre le feu aux maisons avec des bouteilles pleines d’une sorte de goudron enflammé. Heureusement les Allemands se sont retournés sur Plouhinec sans qu’on ait eut a intervenir.

Selon moi, ces postes dans la lande furent occupés seulement par les Allemands, ils les ont abandonnés rapidement ».

Devant ces incursions allemandes et le peu de moyen des résistants en hommes et en matériel pour contenir une éventuelle percée vers Auray, l’Etat Major FFI décida la destruction du pont. Dans la nuit du 2 au 3 novembre, une équipe de sabotage (2ième section de la 6ième compagnie) parvint a ébranler sérieusement l’ouvrage sans l’abattre complètement, les chasseurs bombardiers de Meucon d’abord, puis l’artillerie des Américains ensuite acheva sa destruction les 5 et 6 novembre suivants.

Ce court récit ne peut pas, faute de témoignages directs et de document écrits formels, relater les raisons qui ont motivé l’aménagement de ces postes ni d’identifier les auteurs. C’est par contre incontestable que ce site fut aménagé dans un but militaire défensif liés aux événements à partir de juillet/août 44 dans notre région et que des Résistants y ont été mêlés. Aujourd’hui ce site « fortifié » à sa manière constitue, autant de vestiges témoins de cette période historique plus de 60 ans après les événements.

Sources bibliographiques

« Le Morbihan en guerre » Roger Leroux.

« LORIENT 1940-1945 » Général W Fahrmbacher – Amiral W.I.Matthiae réalisé à la demande. Ouvrage réalisé à la demande du Service Historique de l’Etat Major Général des Etats-Unis en 02/1946. Traduction Capitaine de frégate AUBERTIN directeur du Port de Lorient.

Colonel Wood (AM Vannes – 60ème anniversaire de la Libération de Vannes)

« La Libération d’Etel » Rémy Guillevic.

« Le Télégramme » du 17/08/2000 : Libération d’Auray par Mr Pérez, Résistant et Combattant.

Remerciements :

Je remercie les personnes suivantes pour leur aide à la création de ce document:

Gilbert Baudry, ancien Combattant Résistant du secteur de Nostang-Sainte Hèlène en septembre 44 et membre actif de la SAHPL,

Louis Audic d’Erdeven, ancien Combattant Résistant du groupe « Cosquer »,

Bruno Jézéquel, correspondant du journal Ouest France à Auray pour la publication d’un article qui a permis d’entrer en contact avec les témoins.

 

DOCUMENTS :

 

Les postes individuels en arrière du muret face à la route Port-Louis-Quiberon : des abris « rustiques » que la végétation envahit à nouveau rapidement.

 

Carte « IGN » de la Rivière d’Etel (extrait)

 

Carte du secteur de la « Poche de Lorient ». Le territoire de la poche est grisé.

La frontière est matérialisée par la route Port-Louis - Quiberon

passant par le pont sur la rivière d’Etel

 

Relevé des postes tels qu’ils se présentent en 2006.

 

Ì Ì Ì