"LE GORZED", UNE STATION DU MESOLITHIQUE MOYEN

SUR LA CÔTE OCCIDENTALE DE L'ÎLE DE GROIX

   Alain Le Guen

SAHPL

Les falaises de la côte S.O.A droite de la pointe rocheuse : le Gorzed

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LE GORZED, un site côtier armoricain.

 

La côte sud-ouest de Groix exposée aux bourrasques de l'Atlantique offre un abri naturel, la ria de Port Saint-Nicolas bien connue des adeptes de la voile qui viennent y trouver un havre de repos durant la période estivale. La partie ouest de cette importante échancrure du rivage offre le spectacle d'imposantes falaises rocheuses au pied desquelles viennent se briser, en période hivernale, les déferlantes venues du grand large.

            Ces falaises sont recouvertes d'un vaste plateau tapissé de végétation rase d'où émergent de rares formations rocheuses permettant de s'abriter des vents dominants. C'est dans cet environnement aujourd'hui hostile que s'établit, il y a environ 6000 ans avant notre ère durant la période du Mésolithique moyen, un petit groupe de chasseurs-pêcheurs nomades que je qualifiais, jadis, de "coureurs de grèves"!...

 

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Localisation et présentation du site.

 

LE GORZED (la roselière). Ce gisement auquel j'ai attribué le nom du lieu-dit le plus proche porté sur la carte topographique 0721 nord, de l'IGN, carte de l'île de Groix au 1/25000, est situé sur la bordure littorale de la branche occidentale de Port Saint-Nicolas.

            A proximité du site, dans sa partie est, un vallon en pente douce descend vers les rochers de la ria; ce vallon se termine par une roselière où, une humidité quasi permanente autorise la croissance de roseaux, graminées répandues, en divers points de la zone côtière de l'île.

            Orthographié de manières différentes, en breton, le toponyme adopté pour désigner le lieu-dit (la roselière), sera celui de Le Gorzed mentionné sur la carte de l'IGN A Groix, la dénomination locale est celle de Er Gorzeg (Gorzet en prononciation locale).

            En toponymie bretonne, Korz, signifie (roseau); Korz-mor (roseau maritime); Korz-dour, associe (le roseau, à l'eau ou au ruisseau)…

Du village de Kerlard, en Piwisy, partie ouest de l'île, un sentier pédestre aboutit à un amer, la Marque Blanche (cote 29). De ce repère, en longeant la côte vers l'est en direction de Port Saint-Nicolas, un chemin de terre arrive en fin de parcours au site préhistorique (cote 34).

 

             Ile de Groix, Morbihan : principaux sites du Mésolithique moyen

 

Plusieurs impératifs ont dû mener les hommes de la Préhistoire à choisir ce point de la côte pour y effectuer des haltes probablement saisonnières. En abordant par voie terrestre ou maritime cette échancrure du littoral, ils découvrirent le lieu idéal propice à leurs activités de chasse et de pêche.

             La jonction des deux vallons, celui de Quéhello, à l'est et de Kerlard, à l'ouest donna naissance à la ria de Port Saint-Nicolas. Cette dernière, largement ouverte sur l'océan laisse entrer, par gros temps, des épaves qui à l'époque mésolithique devaient être essentiellement des troncs d'arbres morts. Ces bois flottants représentaient une aubaine lors de la construction d'esquifs de fortune, l'édification d'habitats temporaires, l'entretien des feux de boucanage…

            Dans ce cadre naturel, les vallons leur offrirent de nombreux abris rocheux et cavités les protégeant des rudes vents dominants. Au pied de ces reliefs devaient couler d'impétueux cours d'eau, source de vie. La faune de l'époque venait s'y abreuver permettant des activités de pêche aux salmonidés et de chasse à l'arc. Lorsque le gibier se raréfiait, la mer réservoir inépuisable (heureux hommes!...) procurait aux chasseurs-pêcheurs, poissons, coquillages, crustacés…

            Sur le plateau, depuis fort longtemps, le passage de véhicules lourds ne se fait plus; seuls les éléments naturels, pluies d'automne et action des vents violents accompagnés d'averses durant les fortes tempêtes d'hiver viennent accentuer, un peu plus chaque année la dégradation du sol. Il faut ajouter à ce constat, l'action dévastatrice des lapins et taupes creusant allègrement terriers et galeries dans la faible épaisseur de terre végétale.

            Actuellement, la partie sommitale du gisement mésolithique s'étendant entre les cotes d'altitude 34 et 32,5, au sud du chemin de terre, est formée d'un amas de blocs rocheux; la roche mère mise à nu laisse entrevoir de petits couloirs d'érosion ou se trouve concentrée la quasi totalité du matériel lithique des chasseurs-pêcheurs. Par extension aux abords immédiats des blocs de roche et principalement sur la forte pente orientée S.E. menant au rivage, relique probable d'un ressaut du plateau, des éléments épars d'outillage peuvent apparaître. La superficie de la station peut être évaluée à environ 700 m2 .

 

Variations climatiques durant l'Holocène.

 

            Entre 8000 et 6700 avant notre ère : climat préboréal; (moyenne de juillet 8° à 12°). Vers 6000 avant notre ère : climat boréal; (plus froid que l'actuel). Retour d'un climat atlantique; (légèrement plus chaud et sec que l'actuel), entre 5000 et 4000 avant notre ère; (moyenne de juillet : 17°).

 

Environnement et adaptation des humains au milieu naturel.

 

L'ère quaternaire est le dernier groupe des époques géologiques, qui se subdivise en deux séries d'étages : le pléistocène, ou quaternaire ancien, et l'holocène, ou quaternaire récent. Deux grands phénomènes caractérisent l'ère quaternaire : les glaciations et les transgressions marines. L'alternance de périodes froides et de périodes de réchauffement ("interglaciaires") a entraîné des variations importantes du niveau des mers.        

            Durant l'Holocène, entre 8000 et 7000 ans avant notre ère, la remontée des eaux a provoqué l'ennoiement du littoral, faisant disparaître nombre de sites fréquentés par les chasseurs-pêcheurs du Mésolithique ancien. L'adoucissement du climat se poursuivant, une faune nouvelle habite le monde végétal renouvelé. Dans l'hinterland, à la steppe succède la forêt des conifères parcourue par des hardes de sangliers; puis, plus tardivement lorsque les arbres tempérés supplanteront les conifères, cerfs et chevreuils, dont l'utilité est bien plus grande, domineront.

            La remontée des eaux se poursuit…Des groupes de chasseurs-pêcheurs s'installent le long de nouvelles côtes venant demander à la mer la nourriture que la chasse ne leur fournit plus. Au Mésolithique moyen la montée des eaux se stabilise; nous sommes en présence d'un environnement côtier profondément perturbé. Certains territoires maritimes se sont détachés de la bordure continentale formant des îles et des îlots rocheux.

            De nouveaux groupes humains perpétuant les traditions de leurs ancêtres parviennent aux périodes de très grandes marées, à la basse mer, à atteindre les îles et îlots et à récupérer les anciens lieux de pêche sur les promontoires dominant l'océan.

            Le Mésolithique final, vers 5000 avant notre ère, est une période de transition vers le Néolithique. Le passage permettant d'aborder l'île de Groix, très certainement situé dans la partie orientale de l'île, n'étant plus accessible, les derniers nomades "coureurs de grèves" eurent recours, selon toute probabilités, à de primitives embarcations, afin de poursuivre leurs activités halieutiques et de ramassage de coquillages.

            Sur l'île de Groix, trois stations principales du Mésolithique moyen ont été repérées : Biléric-Le Fons; la Pointe de l'Enfer; auxquelles viennent s'ajouter la station du Gorzed.

 

Préparation du matériel de chasse et de pêche.

 

            A la station du Gorzed, le matériau utilisé pour la préparation de l'outillage lithique se présente sous la forme de petits galets côtiers de silex. A la fin du Préboréal et au début du Boréal, des gisements de galets issus de bancs fossiles se trouvaient à quelques kilomètres, plus au large par rapport au littoral actuel (Morzadec-Kerfourn, 1974).

            A Groix, le problème de la provenance de ces galets de silex, de petit calibre, reste entier; " leur présence dans les cordons littoraux de l'île n'est pas attestée à l'heure actuelle" (G. Marchand, 1992). L'hypothèse d'un transport de matière première à partir de la zone côtière s'étendant de la côte ouest de la presqu'île de Quiberon, jusqu'à la Pointe de Gâvres, serait peut-être à envisager (?).

            Les nucléus, en l'occurrence les galets côtiers, globuleux ou ovalaires sont réduits après les possibilités maximales de débitage, à des mesures comprises entre 30 à 40 mm . Le poids moyen d'un galet prélevé avant le débitage avoisine 70 à 80 grammes .

            Le but du débitage d'un nucléus est l'obtention d'éclats, de lamelles, parfois de lames suivant le volume des blocs à tailler. Les produits obtenus ont subit les contraintes mécaniques liées au débitage du matériau; la présence sur le site de galets testés, l'importance des micro-galets ne pouvant offrir qu'un ou deux éclats ou lamelles de faibles dimensions, le rejet de nombre de galets de médiocre qualité, témoignent d'une gestion rigoureuse de la ressource en matière première.

            Les nucléus récoltés sur le site ont été débités par "percussion directe"; l'artisan, à l'aide d'un percuteur frappe directement le nucléus afin d'aménager ce que l'on nomme un "plan de frappe", à partir duquel il effectuera le détachement des éclats, lamelles, ou lames. Ce percuteur est qualifié de "dur" lors de l'utilisation d'un galet ou d'une masse de pierre ; le percuteur porte alors les stigmates de la percussion (étoilures). L'absence de tels percuteurs sur la station du Gorzed laisse supposer l'utilisation de percuteurs "tendres", en matières périssables (bois, os).

            Les nucléus à un plan de frappe (unipolaires) représentent la majorité du lot prélevé au cours de ramassages successifs. Cependant, certains galets de par leurs formes ont exigé d'autres procédés de débitage; ces types de nucléus sont toutefois minoritaires.

            -102 nucléus ont été récoltés sur ce secteur du plateau totalisant un poids d'1,500kg.

            Les opérations de préparation des nucléus ont libéré sur le sol une quantité importante d'éclats en tous genres, principalement des éclats d'amorçage et d'épannelage ainsi que des déchets de taille découlant des opérations d'extraction des produits de débitage. Ces résidus forment un ensemble de 1968 pièces, d'un poids appréciable de 3,527 kg de matière première.           

            Au retour du climat atlantique, une nouvelle faune s'installe dans les forêts de l'arrière-pays; la chênaie-hêtraie abrite des hardes de sangliers, cerfs, chevreuils. De petits animaux sauvages, à fourrure, occupent également le couvert forestier. Sur les promontoires rocheux  du littoral, les oiseaux de mer vivent en colonies nombreuses; des oiseaux migrateurs  venus du Nord retrouvent en saison hivernale les étendues d'eaux dormantes…Le gibier est là.

 

Fig. 1- Le Gorzed (Île de Groix, Morbihan); 1 à 6 : nucléus; 7 à 21 : produits de préparation des nucléus.

            La nécessité de perfectionner des armes permettant de chasser à distance ces animaux agiles, devient impérieuse. L'invention de l'arc, arme composite, va transformer les méthodes des traditionnelles de chasse. Les préhistoriques vont devoir créer de nouveaux produits afin d'armer leurs projectiles. Les "microlithes géométriques", éléments provenant du débitage des  nucléus vont entrer, en typologie de l'outillage lithique, dans la catégorie des objets dénommés "armatures".

            Les armatures géométriques retrouvées sur les sites permettent de suivre les stades évolutifs des industries mésolithiques et leur répartition sur l'ensemble du territoire armoricain

 

TYPOLOGIE DE L'OUTILLAGE LITHIQUE

 

 GROUPE D'OUTILS DU FONDS COMMUN.     (Figures  2 et 3) 

 

N° des pièces

 

Caractères particuliers

 

 N° 1 à 6

 N° 7 à 12

   

 N° 13 à 19

 N° 27 à 30  

 

 

 

N° 20 à 26

N° 31 à 33

 

N° 1 à 12

  

N° 15

   Grattoirs simples sur éclats.

   Perçoirs simples sur éclats. n° 10 : sur éclat d'épannelage.

 

   Lame et lamelles à bord retouché. n° 13 : bord droit, de la face supérieure de la lame, finement retouché; bord opposé, enlèvement d'une chute de burin (?) n° 14 à 19 : lamelles d'épannelage à bord retouché; n° 27 à 30 : lame et lamelles arquées à bord abattu par retouches abruptes.

    N.B : éclats retouchés (72) lamelles et fragments de lamelles retouchées (84) ne sont pas dessinés sur les figures 2 et 3.

 

 Pièces à encoche. n° 20-22 : éclats à encoche; n° 21-23 : lamelles à encoche; 24 à 26 : éclats denticulés; 31 à 33 : lamelles denticulées.

 

  Pièces à troncature. n° 1-2, 9-10, 12 : à troncature rectiligne n° 3; 7-8, 11 : à troncature oblique; n° 4 à 6 : fragments de lame à troncature oblique.

 

  Burin. Burin dièdre droit sur éclat.

 

 NOMBRE TOTAL D'OUTILS DU FOND COMMUN : 46 pièces.

 

 

POINTES DIVERSES AYANT PU SERVIR D'ARMATURES.  (Figure 3)

  N° des pièces

 

Caractères particuliers

    N° 13 à 14

   N° 16 à 20

   N° 21 à 24

    Sur éclats bruts. Certains éclats de préparation des nucléus constitués par la rencontre de deux bords tranchants ont pu, à l'occasion, servir d'armatures.

     Sur éclats retouchés.

Fig. 2- Industrie du Gorzed: outillage du fond commun: grattoirs,perçoirs,encoches, denticulés…

 

MICROLITHES GEOMETRIQUES.      (Figure. 3)

 

 

 N° des pièces

 

Caractères particuliers

 

 

   N° 25 à 27

   

   N° 28 à 35

 

  

   N° 36 à 43

  

   Segments. Microlithes géométriques ayant la silhouette d'un segment de cercle (J. Tixier).

 

   Trapèzes. n° 28-29 : trapèzes isocèles; n° 30 : trapèze rectangle; n° 31, 34-35 : trapèze à deux côtés concaves; n°32-33 : trapèze à un côté concave.

 

   Triangles. n° 36 : triangle équilatéral; n° 37 à 39 : triangles scalènes; n° 40 à 43 : triangles à un côté concave.

 

DIVERS

 

 

  N°des pièces

 

Caractères particuliers

 

 

   N° 44-45

   N° 46

 

   N° 47

 

   N° 48-49

 

   Nucléus et armature, en quartz (mésolithique)

   Armature de flèche à tranchant transversal, (Chasséen Néolithique moyen).

  

Armature de pointe de flèche, à retouches bifaciales (Néolithique final).

  

Microburins. n°48 : distal; n°49 : proximal.

 

            Le total des microlithes géométriques s'élève à 19 pièces, auxquelles il faut ajouter 20 fragments.

            La variété des formes géométriques des microlithes, devait correspondre aux différents procédés de fixation; à la pointe des traits destinés à la chasse à l'arc, ou disposés dans les rainures latérales sur la hampe des harpons, lors de la pêche du haut des rochers. Ces petits éléments de silex, parfois tirés de lamelles fracturées suivant la "technique du microburin", étaient ensuite retenus dans le bois (matière périssable), à l'aide de gommes ou de résines et, ligaturés.

            Trois groupes d'industries mésolithiques ont été définis pour différencier ces industries (Kayser, 1984 et 1989). L'outillage de la station du Gorzed semblerait appartenir au groupe sud-breton ou morbihannais, stade moyen du Mésolithique qui occupe une position chronologique comprise, approximativement, entre 6000 et 5500 avant notre ère.

 

Fig.3- Industrie du Gorzed: outillage du fond commun: 1 à 24, armatures géométriques: 25 à 43; divers: 44 à 49.

Conclusion.

 

            De nos jours, la station du Gorzed se présente comme une aire, très érodée, de débitage basé sur l'obtention d'éclats et de lamelles tirés de nucléus provenant de petits galets côtiers de silex; bien que le quartz semble avoir été utilisé, aucun apport de matériaux de substitution n'apparaît sur le site.

            La dégradation du sol ne permet pas l'observation de possibles postes de travail; tout au plus, peut-on reconnaître une concentration d'outillage lithique du fonds commun, au pied du principal ensemble rocheux et, sur le pourtour de ce dernier, une dispersion de microlithes géométriques (armatures). Apparemment, le secteur réservé au débitage des galets aurait été, la partie haute du versant exposé au S.E., en direction du rivage; actuellement cet emplacement bénéficie d'un bon ensoleillement.

            La station du Gorzed, était-elle, à l'époque mésolithique un lieu permanent de préparation du matériel lithique ou un campement temporaire sur un itinéraire de chasse ou de pêche ? Dans l'expectative, bien des questions resteront en suspens; seul le plaisir de la découverte demeurera bien présent.

            L'attrait de l'insularité, n'est-ce pas, de façon paradoxale, d'offrir la possibilité, à partir d'un espace restreint, d'élargir son horizon, et d'y retrouver le "Dreamtime" le "Temps du Rêve !...