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DOUILLES D’OBUS GRAVEES  

Art naïf populaire  

Artisanat de recyclage issu de la Grande Guerre  

Claude Le Colleter  de la S.A.H.P.L.  

 

 

 

 

 

 Cet article constitue une étude non exhaustive d’un échantillonnage de douilles d’obus datant de cette époque. La considération philosophique qu’un outil de guerre porteur de mort, mais uniquement considéré sous son aspect artistique se transforme en objet de décoration est aussi intéressante à prendre en compte. Mon intérêt pour l’art et pour les disciplines artistiques m’ont aussi guidé à étudier cette problématique.

 

obus global

Une collection hétéroclite et rutilante.

 

Comme le chantait avec beaucoup d’humour Georges Brassens dans les années soixante.

 

Depuis que l’homme écrit l’histoire,  
Entre mille et un’ guerres notoires
Moi,  mon colon ,
Cell’ que je préfère,
C’est la guerr’ de quatorz’ dix huit .  

 

1)Une activité de loisirs dans une guerre impitoyable.

            Cet artisanat  existait déjà lors des précédents conflits de 1870.

            Les soldats français et bretons en particulier ont payé un lourd tribut lors de cet épisode meurtrier.

Pour donner une idée du massacre, plus de 700 jeunes soldats habitants des cinq communes du canton de Pluvigner (Brech, Camors, Landévant, Landaul, Pluvigner) y trouveront la mort .

Mon grand-père maternel, Joseph Brient de Landévant sera mobilisé et participera au combat du côté de Laon et Chaumont. Son frère Vincent, lui aussi mobilisé recevra par la suite la légion d’honneur pour acte de bravoure en conduisant son groupe à l’assaut.Tous deux auront la chance de rentrer chez eux en Bretagne sans trop de séquelles.  

  En parcourant brocantes et trocs et puces, je me suis intéressé à cet artisanat  art naïf populaire des tranchées, on dit aussi orfèvrerie des tranchées, témoignage d’espoir et de liberté conçus parfois au milieu des rafales d’obus qui s’abattaient au dessus des combattants. Lors de la bataille de Verdun, près de 4 000 000 d’obus seront tirés .

Les douilles en laiton sont particulièrement nombreuses.Chaque famille française en possède ou du moins en ont possédé. Voici un échantillonnage non exhaustif présenté pour permettre sans prétention aucune, de recréer à travers un objet, une ambiance ludique qui pouvait régner même quand la mort se trouvait au détour des talus.

  Entre les assauts meurtriers en dehors des mitrailles et des combats, il est difficile de ne pas s’ennuyer. Alors, il faut tuer le temps avant que l’ennemi, présent à proximité ne se charge de passer à l’attaque .

Faut aussi préciser que beaucoup de ces soldats très habiles de leurs mains travaillent le bois, sont menuisiers, ébénistes et connaissent aussi la ferronnerie (maréchaux-ferrands, ferblantiers, zingueurs).

Les poilus, dans l’anonymat le plus total, vont se regrouper en ateliers collectifs, fabriquer des bagues, des briquets, des encriers……..et des vases, pour oublier le calvaire qu’ils endurent sous le froid et les intempéries.

  Les anciens du Maroc, les zouaves vont aussi apporter leur savoir-faire. Il va aussi se créer des ateliers de fabrication, des expositions, voire même des concours seront organisés  Une économie de cet artisanat verra le jour, les objets seront  monnayés, vendus, échangés parfois contre d’autres services.

fabrique obus

 Des soldats exerçant leurs talents de graveur (extrait du livre Trench Art de J. Kimball).

 

2) Technique de gravure et de cintrage

 Certaines pièces ont été gravées avec des moyens réduits, un petit marteau de couvreur, un modeste burin improvisé, la douille étant parfois  remplie de terre au préalable.

D’autres ont bénéficié d’une technique plus appropriée, on remplissait cette douille de braise rouge, ce qui avait pour effet de rendre le laiton plus souple  afin qu’il soit gravé en profondeur, cintré voir même torsadé, avec un pince ou une tenaille (on en avait bien besoin par les fils de fer barbelés).

L’emboutissage pouvait de faire aussi au marteau ou au maillet. Certains décors ont été repoussés et ciselés à la mollette pour obtenir un effet de relief.

Parfois le bord supérieur est découpé .

Certaines pièces se présentent sous une forme encore plus élaborée, un motif étant découpé puis collé sur la douille.

           Pour la technique de cintrage (hypothèse) :

           Après utilisation et retirées de la culasse du canon,  ces douilles sont stockées. Elles sont parfois coupées en deux avant d’être placées sur un braséro  improvisé. Le laiton va fondre à partir de 500 degrés.

          D’autres objets seront aussi fabriqués en arsenaux et dans ce cas le matériel ne manque pas .

          Pour les puristes, l’art de fabriquer de tels objets s’appelle la « dinanderie » une technique ancestrale qui vient de Dinant (Belgique), sa ville d’origine.

 

 

obus cintrés

 Voici trois douilles à embase cintrées .

Celle de droite est cintrée et torsadée

   

3) Motifs :

 

Les motifs, tous figuratifs où les thèmes champêtres prédominent, sont variés selon l’inspiration du moment en s’inspirant d’un livre ou d’une revue.

En voici quelques exemples :

 

 

 

Certains  évoquent le rêve, motifs animaliers et floraux (roses, pensées, feuilles de chêne, de lierre) 

 

Des animaux (des oiseaux, des cigognes, symbole de l’alsace).

 

 

 

D’autres le lieu de création (souvenir de guerre) (Ici on peut lire "Verdun, 11 novembre")

 

 

Le chardon et la croix de Lorraine (la croix des ducs), les symboles d’une région en guerre : Souvenez-vous de la chanson : "vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine." La croix des ducs de Lorraine est déjà présente dans l’Est de la France avant que De Gaulle n’en fasse le symbole de la France libre en 39- 45.

obus aime

Le prénom d’un être cher: mère, épouse, fiancée

 Ici: "Aime" (ou "Aimé")

obus caudan

 

Le lieu de destination

 

 

 

     

 

4) Où ont-ils été fabriqués ?

Certains ont  été fabriqués dans les tranchées, d' autres à l’arrière du front durant les moments de repos, voire dans les arsenaux ou les camps de prisonniers .

Voici le témoignage d’un poilu surveillant des prisonniers allemands :

    J’étais chargé de surveiller deux prisonniers enfermés dans un hangar, j’effectuais une ronde et j’ai entendu un bruit bizarre à l’intérieur du bâtiment . Je suis allé voir et j’ai trouvé les deux compères entrain de bricoler des douilles d’obus . Je me suis empressé de confisquer ces objets. "

 

 5) Quelle sera son utilité ?

 

Ce sera le cadeau-souvenir que l’on offrira pour son retour si l’on a la chance de revenir chez soi. Il y a parfois le prénom d’un être cher.

Certains seront utilisés dans les églises  comme vases d’autel, la grande majorité s’en ira orner les dessus de cheminée. On n’y mettra pas de fleurs car celles ci ne peuvent tenir longtemps avec l’acidité du cuivre. Ils peuvent être considérés comme des ex-voto, ramenés au domicile lors d’une permission ou à la libération.

6) Datent-ils tous de la Grande Guerre ?

 

Vraisemblablement non.

Certains ont été gravés après cette période et peuvent provenir d’arsenaux chargés de la fabrication de ce type de munition.

 

servants_batterie     

                              En action, 28 tirs à la minute                                          Le canon de 75 de l’armée coloniale Française  (1915)

 

 

Le tir de ces projectiles meurtriers sera effectué en grande partie par des canons de 75 tractés généralement  par 6 chevaux. Ce type de canon conçu en 1897 sera amélioré et servira pendant la guerre 39-45.

 

 6) Les marques d'identification des douilles

 

obus 1915 obus 1916 obus nyab

                                                                            daté  "JAN1915"                                                       daté "1916"

 Ces pièces portent très souvent des inscriptions à caractère technique.

 En voici quelques exemples (celle de droite)

75 :                  diamètre 75mm

D E C :           de campagne

L : 17              N° du lot,

NYAB :          New York Air Blake qui est un fabricant de pièces pour chemin de fer.

 

Très souvent la base a été martelée pour enlever tout indice.

Celle de gauche et celle de droite portent les dates 1915 et 1916.

 

 

 7) Une production d’un poilu de la région

 

Cette douille (motif : lierre +houx+cœur) a été gravée par Charles-François Le Golvan né le 28 mars 1899 à Kerdavid près de Bieuzy Lanvaux (56)

L’objet a été gravé près du front, l’auteur ayant été mobilisé à Verdun et au Chemin des Dames (document fourni par Philomène Boisson, sa petite fille).

 Pour ceux qui veulent en savoir plus  il existe de nombreux musées dans le Nord-est de la France par exemple : le musée des poilus à Péronne, celui de Compiègne, le mémorial de Verdun, le musée vivant de Notre Dame de Lorette, celui de Tracy le Mont, du chemin des dames le musée de la Somme à Albert (80300) et le musée mémoire rural de Verneuil en Halatte (60550).