Page précédente

Accueil Plan du site

 

L’ARCHEOLOGIE EXPERIMENTALE

AU VILLAGE DE L'AN MIL

Maud Le Clainche

Responsable d’exploitation

Définition de l'archéologie expérimentale
Historique de la méthode
Une discipline neuve
Les objectifs
Les applications à MELRAND

 

 

Définition de ce qu'est l'archéologie expérimentale

L'archéologie expérimentale tente, non pas de reproduire une hypothétique vérité historique, mais de constituer une tentative d'approche des caractéristiques générales d'un phénomène. Les habitations réalisées grandeur nature, à partir des observations faites sur des chantiers de fouilles selon une méthodologie rigoureuse, aboutissent à la création d'une image vivante qui doit être relativement proche de ce qu'ont pu connaître les hommes du passé. L'archéologie expérimentale peut tout aussi bien désigner une reconstitution spectaculaire ouverte au public qu'une expérience très pointue permettant d'étudier un phénomène au microscope. Elle permet autant de répondre à des questions et vérifier les schémas théoriques élaborés à partir des données du terrain qu'à orienter les futures recherches vers des domaines où rien n'est encore à l'heure actuelle évident. L'habitabilité d'un bâtiment ne peut être testée qu'à partir de l'habitat lui-même (volume intérieur, possibilités d'aménagement avec portes, fenêtres, foyers, cloisonnement... ).

Elle peut être une mise en scène statique, un tableau reconstituant un moment, un geste ou une posture d'une époque déterminée. C'est figé.

Elle peut être une reconstitution que l'on va voir évoluer naturellement ou sous l'influence d'une action anthropique. Si on reconstitue une maison, elle va vieillir et on va se faire une idée de la durée de vie des divers matériaux de construction. Ce fut un des enjeux du site de CUIRY-LES-CHAUDARDES où une maison néolithique a été abandonnée afin d'en étudier la longévité et la dégradation progressive. Son incendie a mis un coup d'arrêt à l'expérience, il est en soi un événement à étudier !

Elle peut être une démonstration, le geste se produit sous les yeux de spectateurs (taille d'un silex) qui bénéficient d'une explication par le technicien. Souvent c'est alors un vecteur d'animation avec un programme de présentation au public de techniques pour les touristes et les scolaires. Le tout s'accompagne parfois de tests sur des cultures, d'élevage, la conservation des récoltes et de confection d'objets.

Tout ceci se fait à partir de fouilles, d'observations ethnographiques, d'études d'archives ou d'iconographies. On ne superpose jamais un site réel et un espace de reconstitution qui garde toujours un aspect hypothétique. On peut appliquer l'archéologie expérimentale à toutes les périodes et à tous les domaines (une poterie, une recette, un type de bâtiment... ).

L'archéologie expérimentale peut être réservée aux questions que se posent les scientifiques uniquement (Combien de microlithes peut-on tirer d'un rognon de silex de la taille d'une petite pomme ? ), alors elle se fait dans des laboratoires sans plus de publicité à l'adresse du public et bénéficie, au mieux d'une publication qui va permettre de diffuser les résultats obtenus à un nombre restreint de spécialistes. Réponse à la question, 45 ! L'expérience a été menée à partir d'un protocole bien précis déterminé par l'expérimentateur (rognon de silex provenant du Bassin parisien de couleur gris jaune à grain très fin.) Cela permet de déterminer ce que l'on teste exactement, dans quelles conditions, avec quels gestes...

La période la plus représentée dans ce champ est la période de l'Age du fer, l'époque gauloise chez nous ! Peu de structures font dans le diachronique. Le thème de recherche le plus plébiscité porte sur l'architecture et les techniques de construction. La construction expérimentale est à la base de tous les musées ou écomusées faisant de l'archéologie expérimentale. Les recherches sont parfois menées plus à des fins pédagogiques que scientifiques. L'expérimentation est incluse dans l'accueil des scolaires sur tous les sites. C'est une dimension omniprésente.

 

 

Historique de la méthode

XVIème siècle : Premières fouilles à ROME.

XVIIIème siècle : Premières reconstitutions plus ou moins fantaisistes sur papier.

XIXème siècle : Création des premiers musées de plein air.

1891 Création à STOCKHOLM d'un parc populaire de maisons traditionnelles transférées
1910 Reconstitutions en Autriche.
1913 Le site autrichien ferme.
1922 Il est racheté par une compagnie de cinéma qui le brûle pour les besoins du scénario.
Années 1930 En Allemagne, ce type de musée se développe au service d'une idéologie.
1922 A partir de fouilles, les Allemands tentent des reconstitutions.
1934 Début de la fouille sur le site polonais de Biskupin (550 à 400 av. JC).
1964 Naissance du projet de Lejre au Danemark sur l'Age du fer.
1965-1966 6 maisons de 1'Age du fer sont reconstruites à Lejre par des bénévoles.
1972 Création de Butser Farm en Angleterre sur l'Age du fer.
1975 Expérience de CUIRY-LES-CHAUDARDES sur le Néolithique.
1977 Naissance de l'Archéodrome de BEAUNE sur la Bourgogne. (Tumulus protohistoriques, fortifications protohistoriques, bâtiments gallo-romains, habitat, grenier et grange gaulois) et sites majeurs autres (Paléolithique et Néolithique).

1984-1985 4 autres maisons, une palissade, l'environnement reconstitués à Lejre. D'autres périodes chronologiques sont abordées, du Néolithique au XIXème siècle.

1984-1987 Maisons néolithiques de Holtzheim (Alsace).
1987 Première classe patrimoine sur l'archéologie expérimentale à Holtzheim.

 

C'est une discipline neuve. En 1985, un ouvrage assez complet sur l'archéologie (L'archéologie et ses méthodes sous la direction d'André Pelletier) n'en faisait pas encore mention. Son développement en France correspond au développement de la démarche archéologique en général, vers deux directions jugées complémentaires aujourd'hui, la pédagogie et la recherche scientifique. Le Moyen Age n'intéresse pas encore énormément la discipline où la pré puis la protohistoire ont plutôt été favorisées. Il est compréhensible qu'il en soit ainsi puisque cette période n'a intéressé que très tard or l'archéologie expérimentale ne peut s'appuyer que sur des acquis pour avancer déjà un certain nombre d'hypothèses à valider ou invalider. C'est souvent un facteur de développement économique et touristique d'une région. Le cadre peut être également l'envie de mettre en valeur les richesses archéologiques d'une région.

Un centre expérimental est souvent un complément d'un musée archéologique régional. Il vient souvent dans un second temps, pour animer (stages, scolaires). Les bâtiments reconstitués servent souvent de cadre à diverses activités (cuire du pain, travailler la laine, fabriquer de la poterie, forger).

Sur certains sites, comme à Biskupin en Pologne, la conservation in situ de maisons du Bronze accompagne le programme de mise en valeur.

Un tel site peut naître, comme à CUIRY-LES-CHAUDARDES, des besoins d'une émission de télévision. L'expérience s'est faite suite à des fouilles archéologiques, financée par le Comité Départemental du Tourisme de l'Aisne et la Société Française de Production. La vocation était tout autant pédagogique que pour valider des modèles de superstructures élaborés par des archéologues de terrain

D'autres sites où sont appliqués de tels principes :

          -Samara dans la Somme à 10 km à l'Ouest d'AMIENS avec un site archéologique à proximité 

           également, qui travaille sur le néolithique et la période gauloise

         -le Centre Expérimental de Préhistoire A1sacienne

         -l'Archéodrome de BEAUNE, est né d'une politique d'animation et d'humanisation des autoroutes.

         -CUIRY-LES-CHAUDARDES

        -CHASSEMY (Aisne)

Les objectifs sont pédagogiques, scientifiques et à vocation d'animation. A Lejre, l'association permanente et étroite entre recherche expérimentale et connaissance de l'environnement a valu au Centre une reconnaissance officielle par le Conseil de l'Europe. Les financements de ces opérations sont divers, allant de trusts financiers comme à Butser aux collectivités locales comme dans la plupart des cas.

Le point faible de l'ensemble des sites semblerait être la diffusion des résultats, tant au niveau du grand public que des scientifiques... L'objet des conférences que nous organisons a un peu pour objectif de pallier ce déficit de communication.

Un autre aspect de l'archéologie expérimentale est devenu peu à peu et récemment le développement de protocoles d'expérimentation à long terme permettant d'établir des collections de référentiels qui serviront lors de fouilles éventuelles ou passées, à mieux comprendre ce qui est mis au jour. Par exemple, une parcelle peut être divisée en un terrain non travaillé et plusieurs autres travaillés à la houe, à l'araire, à la bêche ou au motoculteur, le tout le plus longtemps possible. On peut éventuellement les laisser ensuite à l'abandon ou au contraire leur faire subir le sort de n'importe quelle parcelle agricole (construction, remblai... ). Ces parcelles sont ensuite étudiées par la technique de la micromorphologie (étude de la répartition des particules dans un sol). Sachant ce qu'elles ont eu comme histoire, on pourra alors, par comparaison, mieux comprendre l'histoire de paléosols découverts en fouille. C'est une technique sur le long terme et assez coûteuse car il faut multiplier les échantillons (sol horizontal ou en pente, calcaire ou argileux, période de travail... ). Ce n'est pas facile car c'est onéreux.

Autre limite de la méthode, on ne prend pas de risque. L'exemple de la reconstitution de la maison néolithique de HOLTZHEIM dans le Bas-Rhin, construite en 1984. La mise en place des 8 gros et grands poteaux centraux de la charpente a été faite par une élévatrice. On précise ce genre de choix dans le protocole d'expérimentation qui ne prend pas forcément en compte toutes les dimensions. Le temps de travail est lui aussi difficile à calculer. Les équipes qui travaillent aujourd'hui sont, en règle générale, bien nourris et en bonnes conditions physiques, il est difficile de dire si c'était toujours le cas avant ! Le coût est très souvent un frein également.

 

Les applications à MELRAND

Lann Gouh - Melrand Photo Gaby Le Cam

Tout est né de la découverte d'un village du Xème siècle lié au besoin de promotion touristique de la Vallée du Blavet. Le projet fut conçu au départ par le Directeur adjoint des Antiquités de Bretagne mais mené par la Société d'Aménagement du Morbihan en 1986 dans le but de créer une animation touristique attrayante dans ce secteur. Tout en continuant les fouilles, ont été reconstituées 3 maisons au départ, cultivées des plantes attestées à l'époque d'occupation du village et élevés des animaux de races rustiques se rapprochant le moins mal de ce qui devait être élevé à l'époque.

On a donc un site, des reconstitutions, des cultures et un élevage associés. Au départ, on a un village pour lequel la documentation sur l'architecture est la mieux fournie. On décide de mettre en valeur par le biais de la reconstitution d'une partie de cet habitat. La partie terrain est précédée d'une étude de faisabilité, financière certes, mais technique encore plus. Des questions se posent, pour lesquelles l'archéologie n'a pas su ou n'a pas pu apporter de réponses :

    -Les murs pouvaient-ils s'élever plus haut, soit en pierre, soit en terre, comme on en connaît des exemples par des relevés ethnographiques des années 1940 ?

    -Sur quoi et comment la charpente était-elle implantée ?

    -A quoi ressemblaient les portes, comment fonctionnaient-elles ?

    -Le foyer se trouvait-il au-dessus du sol ou creusé dans le sol ?

    -Quels étaient la forme et l'aspect du sol dans la maison, quelle était l'organisation de l'habitat domestique ?

    -Fallait-il prévoir une cheminée, un trou d'évacuation pour la fumée ?

Parfois, une relecture du terrain (vestiges encore en place) ou des rapports permettait de répondre très simplement aux questions (étude des hauteurs d'éboulis, repérage d'un aménagement de seuil, observation du sommet des murs... ). Parfois des études complémentaires permettaient une réponse (nature des sols d'occupation par micromorphologie). Parfois, un choix arbitraire (aucun aménagement pour l'évacuation de la fumée) suivi d'une observation quotidienne de la vie de la maison permet à long terme de répondre à la question... c'est tout l'intérêt de l'archéologie expérimentale et du long terme. Un autre aspect où l'archéologie expérimentale peut s'appliquer avec intérêt, c'est tout le thème des techniques artisanales. Pour mieux comprendre les objets trouvés en fouille (meules, poteries, pierres à aiguiser... ), pour mieux appréhender l'usure que l'on peut y lire, il est possible d'en fabriquer et de les utiliser tel qu'on estime qu'ils étaient utilisés à l'époque, ainsi, il sera possible de comparer cette usure moderne et celle observée sur les objets archéologiques. Pour la poterie, les tentatives d'études de terrain approfondies ont pour l'instant échoué car la terre permettant de fabriquer à nouveau de l'onctueuse est épuisée. C'est un cas peu courant d'impossibilité !Pour le métal, on pourrait aborder longuement la démarche qui a été entreprise depuis 2 ans.

Rappelons qu'il y a 10 ans on aurait été incapable de mener cette démarche car l'étude du village n'était pas encore suffisamment avancée pour le permettre. Citons enfin le cas de ces activités dont on est bien incapable pour l'instant de dire quel type de trace elles peuvent laisser (vannerie, apiculture, travail de la laine. . . ) et tout l'intérêt qu'il peut y avoir à expérimenter dans ce domaine. La vie quotidienne de l'habitant du village au Moyen Age, et même bien après, tourne autour de l'agriculture. C'est pourtant le domaine le moins bien connu et, paradoxalement, celui qui laisse le moins de traces. C'est donc un thème d'archéologie expérimentale tout à fait intéressant pour nous. En l'espèce, il est possible de tester des outils (comme l'araire au soc de pierre reconstitué à partir d'une découverte faite à Karaës Vihan par Michel Batt, des houes retrouvées sur l'iconographie, des faucilles retrouvées en fouilles à Charavines... ). On peut également, à partir de la terre travaillée par ces outils, mieux comprendre leur impact et les traces que l'on peut retrouver plusieurs siècles après, c'est la micromorphologie dont nous avons déjà parlé avec la création de référentiels. Une autre question, celle des rendements, peut mener très loin dans l'approche que nous voulons faire de la vie quotidienne. Le processus est donc celui-ci, connaissance des outils utilisés, niveau technologique atteint, rendements possibles, quantités de nourriture à disposition, état sanitaire des populations... Le stockage des récoltes est lui aussi primordial. De nombreuses expérimentations ont été tentées ailleurs, en particulier en milieu calcaire. En sol granitique comme celui que nous avons à MELRAND, et bien que nombre d'archéologues aient qualifié de vestiges de silos certaines structures en creux, il est bon de valider cette technique, peu connue en nos contrées. Un programme comme celui concernant les clôtures est intéressant également car il permet, une fois un modèle de clôture construit, vieilli et démonté ou abandonné, de comprendre ce qu'il en reste et de projeter les vestiges potentiels.

 

Ì Ì Ì