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LE SITE DE KERVEN TEIGNOUSE A INGUINIEL (Morbihan)

Rupture et continuité du IVe au IIIe siècle avant notre ère

 

Daniel TANGUY

Saint Quidic, Plouay

 

Localisation et historique des recherches

Le village de Kerven Teignouse, installé à trois kilomètres au sud du bourg d’INGUINIEL et trente kilomètres au nord de Lorient est situé à l’ouest du Morbihan, non loin de la limite avec le Finistère.

 

Localisation du site  (voir photo Google Earth)

 

Malgré la proximité de la côte, le paysage de la commune d’Inguiniel annonce la Bretagne centrale avec un relief caractérisé par de petites collines culminant à 150 mètres, entrecoupées de nombreux cours d’eau aux débits variables, souvent faibles, affluents du Scorff et du Blavet. La région comprend une forte densité de sources parfois intermittentes ; les plus importantes, aménagées sont devenues des fontaines guérisseuses et des lieux de pardons. La ligne de partage des eaux entre Scorff et Blavet se situe à quelques centaines de mètres au nord du site archéologique. Le remembrement parcellaire du début des années 1970 a profondément marqué le paysage. Le talus et anciens chemins creux formant un bocage très serré ont laissé la place à un paysage ouvert. Ces transformations ont accéléré une érosion déjà importante. Sur le site, le sous-sol est composé de leucogranites diversifiés. De petits affleurements alternent avec des zones argileuses.

L’habitat gaulois est installé sur un replat dominant d’une dizaine de mètres vers le nord la confluence de deux petits ruisseaux prenant leurs sources à proximité. La dépression associée a été comblée à partir de l’âge du fer par une tourbière marécageuse profonde de deux mètres. Une installation humaine sur ce plateau limité naturellement par des zones humides et un talweg prononcé vers l’ouest, bénéficie d’une position défensive avantageuse. L’orientation du replat vers le nord, à l’abri d’une ligne de collines assure une bonne protection contre les vents dominants d’ouest nord- ouest

La découverte du site date du début des années 1950. Quand un agriculteur entame les premiers travaux de défrichement de la lande environnante, il découvre, couché dans un amas de pierrailles un monolithe long d’1,90m à la surface bouchardée. La forme et la nature de la pierre la sauvent de la destruction et indiquent une stèle funéraire de l’âge du fer. Son diamètre est de 45cm à la base et de 22cm au sommet orné d’une large cupule. En lumière rasante, on distingue encore quelques indices de présence d’un bandeau orné sur la partie supérieure du monument. Quelques fragments de céramiques associés à la stèle sont rapidement datés de La Tène ancienne par Yves Coppens alors jeune membre de la Société Polymathique du Morbihan. Dans la même communication, il qualifie le site de Kerven Teignouse d’oppidum en mentionnant la présence de gros talus. Ces « vestiges de retranchement » ont déjà fait l’objet d’une note, deux années plus tôt par le chanoine Danigo.

Depuis la découverte, aucune recherche n’avait concerné le site (hormis quelques sondages clandestins et infructueux dans les années 1960).

Le programme de fouilles initié en 1991 était directement basé sur ces données assez anciennes avec pour objectif l’étude de l’environnement archéologique d’une stèle funéraire de l’âge du fer. La recherche a débuté dans un contexte particulier avec la découverte de la stèle de Kerviguérou en Melgven (29) et l’étude de l’enclos funéraire associé par Anne Villard. De plus cette opération s’inscrivait dans le cadre plus large d’un travail d’inventaire sur les stèles du Morbihan. Enfin, un premier sondage mené en 1991 sur le lieu de découverte d’une stèle à Kermérien en Quéven avait donné quelques minces résultats difficilement exploitables.

 

Dès les premières investigations, le problème de la localisation précise de la stèle s’est posé. La disparition des témoins directs de la découverte et les bouleversements du paysage par le remembrement du début des années 1970 rendaient illusoire une découverte rapide. Par contre, dès les premiers sondages, les vestiges d’un habitat du second âge du fer sont apparus. Devant l’importance de l’habitat, les programmes suivants se sont attachés à étudier de façon exhaustive l’ensemble du site. Ces recherches ont fait l’objet d’une première synthèse.

 

Les treize années de fouilles nous permettent d’élaborer un schéma d’évolution de l’habitat sur plus de six siècles. Celui – ci s’affine tout les ans mais globalement la chronologie retenue est la suivante :

 

-Une phase ancienne est caractérisée par une petite section de fossé et quelques fragments de céramiques datés de la fin du VI e siècle avant Jésus – Christ, mais aucune unité d’habitat n’est clairement identifiée.

-Un petit enclos curviligne dont l’ouverture est orientée au nord constitue la seconde phase d’utilisation du site. Le fossé de limite est peu profond, de 0,80 m. à 1,20m, pour une largeur similaire. A cet habitat bien déterminé sont associés les premiers souterrains. Trois d’entre eux se composent de galeries boisées et de salles souterraines. Leur comblement a livré de la céramique assez homogène, datée du V e siècle avant J.C. Il est probable que la nécropole signalée par la stèle soit contemporaine de cette phase.

-Au cours du IV e siècle avant notre ère, le site connaît une extension vers le nord et le sud par l’adjonction de nouveaux enclos. Au nord, la nouvelle création double l’espace initial, ses limites atteignent 2,50m de profondeur, notamment à l’approche d’une entrée toujours orientée vers le nord et fermée par une imposante porte. Une voie d’accès franchissant une dépression humide vers le nord conduit directement vers cette porte. Un troisième enclos à vocation agricole, complète le dispositif vers le nord. Cette troisième phase est aussi marquée par une extension vers le sud mais celle -ci est masquée par l’évolution ultérieure du site. Parallèlement à cette évolution spatiale, le creusement de souterrains se poursuit en périphérie des enclos d’habitat. Cette prospérité est marquée par la qualité d’un mobilier remarquablement orné.

-Les phases précédentes couvrent La Tène ancienne et cette première évolution se termine par une rupture que l’on date du III e siècle av. J.C. Un nouvel habitat se met en place, les enclos circulaires disparaissent au profit de trois enclos quadrangulaires dont les limites atteignent jusqu’à 3 m de profondeur et 6m de largeur. Les souterrains sont comblés ou détruits lors de l’agrandissement des limites.

-L’habitat est remodelé au cours du 1er siècle avant notre ère. Les limites de cette quatrième phase deviennent à nouveau modestes. Elles restent mal connues car elles se développent dans une zone non fouillée pour l’instant. Mais à l’évidence, le site n’est pas abandonné et des modifications se discernent. Quelques fragments de tuiles et de sigillées indiquent une présence jusqu’au IIe siècle après notre ère.

 

Un tel schéma a l’avantage de bien cadrer l’évolution globale du site mais il lisse quelque peu l’histoire du site. En examinant de plus près les changements intervenus à la transition entre les IVe et III e siècles avant notre ère, on s’aperçoit que cette linéarité n’est qu’apparente.

 

 

 

De la fin du IVe au III e siècle avant notre ère, une rupture ?

 

La fin de La Tène ancienne marque l’apogée d’une évolution commencée au début du V e siècle av. J. C. La ferme initiale s’est développée sans être réellement fortifiée. Cependant, le système de défense de l’habitat s’élabore. Le dispositif fossé - talus est imposant vers le nord. L’entrée, adossée à la face interne du talus, est marquée par deux séries de calages larges de 0,50m et profonds de 0,60m sur une longueur d’1,50m. La monumentalisation de cet élément primordial dans l’habitat est confortée par la topographie des lieux, légèrement en retrait de la rupture de pente. Pour le visiteur accédant au site après avoir franchit la zone humide, l’entrée devait avoir un certain effet dissuasif. Les abords de l’entrée ont fait l’objet de réaménagement, les fossés élargis et approfondis au cours du IV e siècle av. J.C.

Cet ensemble est directement lié à la présence d’une voie dont l’existence remonte peut être à la première phase d’utilisation du site. Le franchissement da zone marécageuse n’est pas encore étudié car les investigations nécessitent des techniques et des moyens différents de ceux mis en œuvre actuellement pour l’étude de l’habitat. Par contre les premiers résultats des analyses paléoenvironnementales liées à la tourbière sont très encourageants.

La vocation agricole de l’habitat se manifeste par la mise en place d’un enclos de 1500m2, sans doute destiné à l’élevage. La nature de ce dernier reste indéterminée, les éléments osseux découverts sont peu nombreux : un antérieur de bovin provient du comblement d’un souterrain, des fragments de mâchoires, de dents découverts dans les fossés indiquent aussi la présence de porcs et sans doute d’ovins, mais ils sont en très mauvais état. La présence d’un mors indique l’existence de chevaux.

Outre l’absence de structures internes dans l’enclos, la topographie de la zone plaide en faveur d’un enclos destiné à l’élevage. Dans ce secteur, la pente s’adoucit rapidement vers le cours d’eau et les limites sont en contact avec la dépression humide. Une petite entrée, large d’1,20m, fermée par une barrière dont les points d’ancrages sont visibles, ménage une sortie directe vers un point d’abreuvage facile d’accès.

La vocation agricole est confirmée par le creusement de souterrains durant toute La Tène ancienne. Les techniques de creusement, la typologie de ces structures méritent un long développement. Au moins trois souterrains sont datés de la première phase d’utilisation du site, V e et début IV e siècles av. J.C., pour un enclos couvrant une surface bien restreinte (700 m2). La fonction de stockage classiquement attribuée aux souterrains, pose problème dans ce contexte. Ces aires de stockage se multiplient à la période suivante et actuellement, nous dénombrons sept souterrains sur le site. Ces structures sont, il est vrai, caractéristiques de la péninsule armoricaine et les fouilles extensives comme celles d’Inguiniel et de Paule démontrent leur étroite association à l’habitat. A Inguiniel, la multiplication des aires (ou volumes) de stockage montre sans doute la production d’un excédent de denrées agricoles dont la destination : consommation, commercialisation, échange, reste à définir, tout comme la nature précise de ces denrées car dans la majorité des cas ces structures n’ont livré du mobilier que dans les remplissages qui marquent la fin de leur usage. Si les souterrains sont une spécificité armoricaine à l’âge du Fer, il faut savoir que dans le même temps, à La Tène ancienne, se développe le creusement de silos dont la vocation est indiscutable sur des habitats dans d’autres régions de la Gaule et notamment au nord et à l’est. Le phénomène dépasse donc largement le cadre local.

Cela dit, la répartition géographique des souterrains indique une implantation périphérique qui entraînera leur destruction à la phase suivante.

La production céramique accompagne cette évolution. La richesse de la documentation recueillie sur le site pour la fin du IV e siècle avant notre ère fait de Kerven Teignouse un site de référence en la matière. Le corpus actuel atteint plusieurs centaines de vases ornés de motifs estampés.

 

Poinçons estampés de Kerven Teignouse Inguiniel (A. F. Cherel 1994)

 

L’ensemble de ces éléments démontre que Kerven Teignouse, sans être un habitat fortifié atteint un certain statut dans une hiérarchie encore mal définie pour l’Armorique.

 

 

L’habitat à la fin de La Tène ancienne

La réorganisation du site intervient au début du III ème siècle avant notre ère et peut être considérée comme une suite logique de l’évolution antérieure.

 

Elle est caractérisée par une augmentation globale de l’emprise de l’habitat, supérieure à 2,5 hectares reconnus actuellement. Les changements affectent en premier lieu la forme des enclos. Ils deviennent quadrangulaires et les fossés sont d’une tout autre dimension.

L’ancienne voie d’accès est coupée par le fossé d’enclos nord et l’entrée du site décalée d’une dizaine de mètres vers l’est. Un nouveau chemin, non étudié actuellement, est parallèle au précédent et il est probable que le franchissement de la zone humide soit modifié. Il n’y a donc pas dans ce secteur un souci de reprendre des structures existantes en les améliorant. Cela tend à montrer que le nouvel ensemble est mis en place dans le cadre d’un plan global et préconçu. Les fossés sont creusés selon un schéma précis et leur tracé ne tient pas compte des aléas géologiques et certaines sections s’apparentent à de véritables carrières creusées dans un granit compact.

Mais si la nature de l’habitat change radicalement, sa localisation, l’articulation des enclos et leur succession du sud au nord respectent globalement un cadre identique à celui de La Tène ancienne.

- Superposition des phases 3 et 4.

L’enclos nord de La Tène ancienne n’est pas affecté par la réorganisation du site. Le fossé est comblé, en limite du nouveau fossé, il se situe à l’emplacement du talus - rempart associé et le comblement supérieur, compacté, est composé de grosses roches destinées à éviter un affaissement des structures supérieures.

Par contre, le fossé de l’enclos sud est modifié lors de la mise en place de l’enclos central. Les trois souterrains situés à la périphérie sont sectionnés par le nouveau fossé. Les ouvertures pratiquées sont alors soigneusement colmatées et il est difficile de repérer ces anomalies en cours de fouilles.

Les systèmes d’accès au nouvel habitat deviennent plus complexes. Vers le nord, une première porte monumentale commande l’accès principal. L’enclos central est protégé par une seconde porte fortifiée surmontée d’un portique. Vers l’est, une ouverture dont l’étude est prévue en 2004 donne accès un enclos quadrangulaire dont l’espace densément utilisé semble être réservé à des activités domestiques et artisanales.

Les changements qui affectent le site entre la fin du IV e siècle et la deuxième moitié du III e siècle avant notre ère sont donc radicaux. Quelques lambeaux de murs en élévation, l’existence d’un puissant talus en limite d’enclos central confortent l’hypothèse d’un habitat fortifié à partir du III e siècle av. J.C..

Notre vision, incomplète, montre que le cœur du site où se développe une activité humaine bénéficie d’une protection naturelle vers l’ouest mais aussi de celle d’enclos adventices dont le rôle n’est pas à minimiser. La répartition des activités dans le noyau central de l’habitat sera précisée à l’avenir mais elle est caractérisée par une nette séparation entre un espace très protégé réservé à un habitat (l’enclos central) et un espace plus densément utilisé (enclos est) où se développe sans doute les dépendances d’un secteur privilégié.

Il faut noter enfin l’absence de structures souterraines datées de cette nouvelle phase. Ce phénomène n’est pas unique et on le retrouve notamment à Paule. Il est vrai que dans un contexte d’habitat fortifié, il n’est peut être pas nécessaire de créer des caches souterraines pour stocker des vivres. Il est probable que des greniers ont succédé aux souterrains sur les sites de cette nature.

Parallèlement, des changements profonds affectent la céramique de cette période. Les formes changent, les cannelures internes ornant sur les rebords des vases de la période précédente diminuent. Au niveau des décors, la coupure est plus nette. La céramique graphitée tend à disparaître ainsi que les décors estampés qui l’accompagnent bien souvent. En terme de quantité, les fossés d’enclos livrent de très nombreux vases, notamment au niveau des entrées. Les formes témoignent de l’acquisition et de la maîtrise du tour rapide par les potiers à partir du II e siècle avant J.C. Les décors de cordons, les stries multiples mais aussi les ornementations lustrées externes et internes caractérisent la céramique de cette période.

Mais cette céramique présente dans les comblements des fossés est datée prioritairement du début du second siècle avant notre ère. La Tène moyenne, le III e siècle, sont peu représentés par le mobilier. Seuls quelques fragments sont issus des remplissages secondaires des souterrains détruits par les fossés. Il y a donc, pour l’instant, un certain hiatus correspondant précisément au bouleversement de l’habitat.

Cela nous conduit à réfléchir sur la nature de la transition entre deux habitats bien différents. Plusieurs questions restent posées. L’implantation des enclos, l’organisation générale des ensembles plaident pour un changement dans un laps de temps assez court. La pauvreté du mobilier daté du III e siècle avant J.C. nous laisse perplexe: la céramique est le seul élément de datation dont nous disposons sur le site. En matière de chronologie relative, les relations entre structures, fossés et céramiques ne posent pas de problème mais les difficultés de chronologie absolue demeurent. Il n’est pas certain que quelques schémas chronologiques concernant la céramique du second âge du fer armoricain ne soient pas à revoir à la lumière des fouilles récentes.

Les bouleversements qui affectent l’habitat de Kerven - Teignouse interviennent à une période caractérisée par des mouvements de populations à travers le monde celte. Longtemps on a pensé que notre péninsule, au bout du monde, était restée à l’abri de ces turbulences et que « nos » celtes étaient différents des autres. Les recherches récentes démontrent bien que l’Armorique a participé pleinement à cette évolution. Alors, pourquoi ne pas associer les changements structuraux qui affectent Kerven - Teignouse à l’arrivée d’une nouvelle population, et /ou à la nécessité de mettre en place un habitat plus défensif. Une évolution semblable affecte le site de Paule, dans des proportions différentes mais il serait nécessaire d’étudier d’autres sites de même nature pour envisager une telle hypothèse. Pour l’instant, il est plus prudent de constater que l’évolution de Kerven - Teignouse du V e au III e siècle avant notre ère aboutit à un processus de fortification du site.

 

 

 

 

Kerven Teignouse – Inguiniel 

Le site au II e siècle avant J.C. (données 2003)