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LE CHATEAU DE KEROMAN

 Hélène Lettry-Hério

(SAHPL)

  

 Le château dont les vieux Lorientais se souviennent encore et le paysage autour de lui.

                (Keroman en 1920 et jusqu’en 1952)                                                Collection Leclère

 

En haut de l’avenue de la Perrière (à peu près à la hauteur de l’actuelle rue Ferrand), il existait un grand bois non pas de sapins rachitiques mais de  haute futaie. La haute futaie accompagnait tout manoir, tout château autrefois.

Sur la gauche, une petite route descendait jusqu’à la cale où accostaient les bateaux de Locmiquélic (aujourd’hui ceux de Port-Louis). Devant le Casino, se trouvait  la plage des familles lorientaises car on n’allait pas à la plage à Larmor à cette époque (les premiers cars sont apparus vers 1930). Un autre chemin menait vers les rives du Ter, la grève s’appelait les « bains bois » et à côté se trouvait l’établissement réservé aux soldats (62ème RI et artillerie coloniale).

Enfin à droite, une grande allée menait vers l’éminence où s’élevait le château, bâti sur les ruines du précédent.

Vers 1922, je me souviens y être allée avec ma grand-mère, déjà on avait percé une route entamant cette éminence et on voyait de chaque côté la terre rouge sur 1m, 1m50 (vision habituelle aujourd’hui) et d’où sortaient quelques racines…

Cette route avait été ouverte pour faciliter le passage des camions qui allaient édifier le « frigorifique », commencé depuis 1921. Peu à peu la plus grande partie du bois disparut et quand on commença la construction du sleepway le terrain fut arasé jusqu’à la partie sud du château et l’on voyait une petite tour ancienne (datant du château primitif) qui surplombait le terrain de plusieurs mètres. C’est dans cette petite tour qu’Ernest Hello travaillait.

 

Pourquoi ce nom de Keroman ?  L’invasion romaine.

           Chacun sait qu’il fallut huit ans à la forte armée romaine pour venir à bout de l’occupation de toute la Gaule , le dernier peuple conquis fut les Vénètes.

Pendant deux ans César essaya de pénétrer dans ce pays, par l’intérieur il n’y parvenait pas, le peuple et leurs chefs se réfugiant dans des sortes d’oppida à l’extrémité des terres protégées par les rivières et les golfes. Comprenant qu’il n’y parviendrait pas, César donna l’ordre de construire une flotte à l’embouchure de la Vilaine , renforcée par des bateaux venus de Méditerranée. C’est alors qu’il attaqua par la mer.

On connaît le résultat de cette bataille : aux lourds bateaux marchands vénètes aux voiles de peaux ou de lin épais faits pour affronter la haute mer, César opposa des bateaux rapides, à rames munis d’éperons et de faux à longs manches pour couper voiles et cordages. C’est le vent qui décida du sort de la bataille, s’arrêtant de souffler, il immobilisa les bateaux vénètes menés pourtant par des marins expérimentés mais devenus des proies faciles pour les rapides galères romaines.

Pour se venger de ce peuple dont les préparatifs d’attaque lui avait pris deux ans, César massacra tous les chefs (qu’il appelle le sénat) réunis dans leur ville principale Darioritum et toute la population alentour, mais…une cohorte de 3000 hommes devait occuper tout l’ouest de la Gaule , si bien qu’à part la région de Vannes ils ne parvinrent que lentement à occuper notre territoire : il fallait franchir la rivière d’Auray, celle d’Etel, le Blavet. Ce n’est que par la mer qu’ils y arrivèrent, il n’était plus question de massacrer les peuples et c’est pourquoi entre le Blavet et la Laïta , on trouve encore de nombreuses familles « Le Vénédy », les Vénètes de la guerre des Gaules

 

 

Le quartier de Keroman à Lorient vers 1903 – 1907

Schéma extrait de « Des bois de Keroman à la Base des Sous-marins » - Album Souvenir – DGA DCN - 1996

 

Le château que beaucoup de Lorientais ont connu ne date que de 1760, seule la tour carrée a été bâtie sur ce qui restait du château primitif, il était resté en bon état jusqu’à la guerre, occupé par ses propriétaires successifs.

Denis Dodin, administrateur de la Compagnie des Indes qui avait acheté les ruines de l’ancien château au dernier seigneur de Keroman, ce Denis qui s’affubla du titre  de marquis de Keroman fut guillotiné en 1794, sa veuve épousa un lorientais Jacques Cambry.

Après la révolution le bien appartient à la famille Robinat dont la fille épousa Charles Guillaume Hello, père d’Ernest Hello, celui-ci mort en 1885. Les héritiers de sa femme se désintéressent du château et finissent par le vendre aux directeurs du port de pêche. Il fut occupé par les Allemands pendant la guerre. Las…profitant de la dispersion des Lorientais évacués en 1943, tenus dans l’ignorance des projets, les directeurs du port de pêche, et malgré de vives protestations, commencent la démolition du château. Ce n’est qu’en 1952 alors que le mal est fait que la Société Polymathique de Vannes, s’insurge et fait paraître deux articles dans la Liberté du Morbihan…Trop tard !

Ce qui est scandaleux c’est que la démolition a été effectuée avec les engins modernes sans qu’aucune fouille n’ait été faite, sur un site qui, comme on va le voir, est riche d’histoire. Les directeurs, ignares, n’ont vu que les intérêts économiques, ruinant ce qui aurait pu être un attrait touristique pour la ville. 

Lorsque les historiens parlaient de l’origine de Lorient ils faisaient croire que la région n’était qu’un désert, cela est faux, la région et surtout le littoral a toujours été habité, sans remonter au néolithique ni aux sites dolméniques. Nombreux dans la région, les Vénètes y vivaient bien avant l’arrivée de César. C’était un peuple bien organisé, un peuple de marchands qui avait une flotte de bateaux de bois, très solides, capables de voguer de l’Espagne à l’Angleterre.

Ce peuple avait une monnaie très connue, pièces d’or et d’argent représentant un cheval avec une tête humaine aux longs cheveux.

Certains historiens se basant sur la découverte de nombreuses monnaies prolongent le territoire vénète jusqu’à l’Odet et même plus loin. Il est indéniable que de nombreux échanges commerciaux se faisaient avec les Osismes mais De la Borderie fait remarquer que chacune des cinq peuplades qui formaient l’Armorique garantissait ses frontières par des forêts, chacune d’elles s’appuyant sur la grande forêt centrale nommée Poutrocoët, qui devint le Porhoët .

 

Je pense donc que le territoire des Vénètes à l’ouest, s’arrêtait à la Laïta , les Osismes plus faibles se protégeant par la forêt de Carnoët beaucoup plus étendue alors qu’aujourd’hui, frontière qui devint celle du Broërec trois siècles plus tard.

 

 Les origines du premier château

 On sait que les romains transformèrent Darioritum en une vraie ville romaine, les fouilles faites en 1992-93 révélèrent les fondations de bâtiments importants entre le cimetière et la ville close. Locmariaquer fut aussi une place importante (l’aqueduc dont il reste encore 7 piles fournissait l’eau).

Ils craignaient beaucoup d’être attaqués par les peuples venus de l’Elbe : Alains et Saxons qui peu à peu les chassaient de ce qui était appelé alors la «  Bretagne ». Ils créèrent donc le long de la côte des postes tenus par une petite garnison.

L’éminence qui dominait notre rade et qui avait servi de poste de guet aux Vénètes avant l’occupation romaine les intéressa donc, cette garnison vivait des produits du pays : pêche, coquillages et légumes.

Quand Saint Melaine évêque de Rennes vint jusqu’à Vannes à la fin du Vème siècle et qu’un homme lui demanda de faire un miracle pour son fils qu’il croyait mourant, St Melaine lui répondit : « O Vénètes à quoi bon faire des miracles devant vous, au nom du Christ, puisque vous refusez de recevoir sa foi » (d’après Froissart). De même, alors que dans le reste de la Gaule , les habitants soumis adoptaient des noms romains, que trouve-t-on ici ? Erek qui donna le nom Broërec, région comprise entre les rivières d’Auray, Ellé et la Laïta , leur frontière de l’ouest. Ce Erek, si puissant  que Ehram, fils de Clotaire vint avec sa mère Radegonde rechercher son alliance puis vint ensuite Waroch.

Les romains restèrent trois siècles en Gaule. Pour s’y maintenir ils choisirent les hommes qui leur semblaient les plus courageux, vaillants, énergiques, ils les enrichissaient, les comblaient d’honneur, ce sont eux qui devinrent les petits seigneurs locaux.

 

 

Les Gauvain

 

C’est la Société Polymathique de Vannes qui en s’insurgeant contre la démolition du château après la guerre fournit les renseignements sur les Gauvain. Ce sont eux qui firent construire sur l’éminence qui avait déjà pris le nom de Keroman (fin XIème, début XIIème) un vrai château fort. Ce sont les premiers châteaux forts avec le plus souvent un solide donjon carré.

Les documents…ce sont les historiens Dom Morice et Dom Lobineau (s’inspirant de Froissart) qui les donnent. Ce qui est certain, c’est que de 1237 à 1240, les petits seigneurs se liguèrent pour s’opposer à Jean Le Roux qui dès sa majorité, avait pris le titre de Duc de Bretagne, titre légitime puisqu’il succédait à son beau-père et tuteur : Pierre de Dreux.

Que pouvaient faire ces petits seigneurs ? On sait par les « montres » que chacun d’eux venait avec un cheval ou deux et quelques hommes de pied armés et cuirassés succinctement, venant de lieux éloignés les uns des autres et sans chef reconnu. Le résultat c’est qu’ils furent battus, écrasés. Jean le Roux qui n’était pas un tendre ravagea toute la contrée détruisant tous les châteaux parmi eux Keroman et St Caradec, tenu par Adeline de Ty-Henri mariée à Eudon le Picaud de Baud qui, ruinée, dut vendre ses droits sur les marchés d’Hennebont et de Bekerel. Tronchâteau dont la dernière dame fut inhumée dans la chapelle du Bas Pont-Scorff dont Eudon le Picaud avait payé en partie la construction avant le désastre.       

 Origine des Gauvain

 Documents :

1324 : un Gauvain de la Roche Moysan signait un accord avec Hervé de Léon du fief de Trefaven, ils dépendaient des Rohan-Guéméné détenteurs du Kemenet-Heboe.

1427 : c’est un Yvon Gauvain qui demeure à Keroman avec le titre de seigneur de Keroman.

Un peu plus tard, M. Buffet, dans son histoire de Port-Louis cite « Michel et Etienne Gauvain, corsaires ».

Ensuite, comme ils possédaient des terres en Cornouaille ils quittèrent notre région, la seigneurie, servant probablement de dot à une des filles, passa dans une autre famille:  Cosnoal, marié à une Des Portes. La mère de ce Maurice Cosnoal était une Beaujouan (généalogie étudiée par M. Baudry) et c’est par elle que la seigneurie de Keroman va revenir à la famille Eudo.

Il ne restait que les ruines du château mais les fermes attenantes existaient toujours et les tenanciers devaient payer la redevance au seigneur qui résidait à Hennebont. Il était courant à l’époque que les seigneuries soient transmises par les femmes, les hommes guerroyant au loin ou partis aux Croisades, mais à partir de 1600 nous avons toutes les archives de la famille Eudo.

 

   

 

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