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LES ENCEINTES FORTIFIEES DU HAUT MOYEN AGE EN BRETAGNE

 

Philippe Guigon

Conférence du 15 mars 2003 - Lorient

 

Introduction - Les réutilisations de sites de hauteur protohistoriques - Les établissements ruraux romainsLes moyens d’investigation - La toponymie - Les Vies de saints - Chroniques et récits militaires - Les textes juridiques - L’archéologie - Sites rejetés - Botalec en Landévant (56) - Montagne du Prieuré, en Locronan - Normands et Bretons - Bibliographie

 

Introduction

Les enceintes fortifiées du haut Moyen Age, par rapport aux châteaux médiévaux en terre ou en pierre qui leur succédèrent, demeurent relativement méconnues en Europe de l’Ouest, surtout en France si l’on compare la situation avec les îles Britanniques ou l’Allemagne ; peu de sites sont répertoriés et localisés exactement, moins encore ont fait l’objet de fouilles, le plus récent et le plus spectaculaire étant celui du château de Mayenne, remontant au xe siècle. La Bretagne n’échappe pas au sort commun, et il est à souhaiter que les années futures étofferont le corpus.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une enceinte fortifiée ? Si les murailles urbaines sont bien connues depuis le Bas Empire, avec leurs maçonneries employant des tegulae, ainsi à Nantes, Rennes et Vannes, s’il subsiste quelques castra du ive siècle à Alet et Brest, qu’en est-il des lieux de pouvoir d’une aristocratie exceptionnellement mentionnée dans les textes avant le ixe siècle ? Ces résidences étaient-elles d’ailleurs nécessairement défendues ? Il a été avancé que les techniques de la fortification avaient disparu durant le haut Moyen Âge, ne réapparaissant qu’en raison du péril viking. Ainsi Gildas, dans son De Excidio Britonum, écrit vers 540 que les Bretons, ignorant l’art de bâtir un rempart solide destiné à les abriter des Pictes et des Saxons, édifièrent un mur entre les deux mers en mottes de gazon, et non en pierre : mais il faisait allusion au mur d’Antonin, datant en réalité de 139 !

Le but de cette communication est de démontrer que l’art de la fortification continua d’être pratiqué durant le haut Moyen Âge en Bretagne, même si l’état de la recherche historique et archéologique ne permet qu’à peine de soulever un coin du voile. Nous envisagerons tout d’abord les réalisations antérieures à cette époque, avant d’étudier les moyens d’investigation qui lui sont spécifiques, puis de conclure aux environs de l’an mil.

 

  Les réutilisations de sites de hauteur protohistoriques

L’emploi défensif de sites de hauteur naturellement protégés, tels des éperons et des promontoires, remonte à la plus lointaine antiquité, et les exemples de réutilisations successives abondent : évoquons simplement ici le camp du Lizo en Carnac (56), remontant au ive millénaire et occupé jusqu’à l’époque romaine, ou le Fossé Catuelan barrant le Cap d’Erquy (22) au Hallstatt puis à la Tène finale. C’est à cette dernière époque que fut souvent attribuée la grande majorité des sites de hauteur, rarement fouillés avant l’expédition bretonne de Sir Mortimer Wheeler (1938-1939). La toponymie, parfois un texte, quelques découvertes mobilières en ces endroits ou à leur proximité immédiate, confirment leur remploi durant le haut Moyen Âge : ainsi le promontoire barré d’Orange, en Vieux-Vy-sur-Couësnon (35), vetus vicus attesté en 1020 dans lequel ont été trouvés des sarcophages, paraît un excellent exemple avec une chapelle romane dédiée à la Trinité, de même que Villavran, en Louvigné-du-Désert (35), d’où proviennent des sarcophages en calcaire coquillier. Le Château de Larré, en Larré (56), paraît assimilable au Ran Macoer Aurilian mentionné en 852, nom peut-être imposé par le milliaire d’Aurélien (ultérieurement transformé, peut-être à l’époque carolingienne, en sarcophage) jalonnant le diverticule de la voie romaine de Rennes à Vannes, mis au jour à Molac (56) ; le nom de ce domaine, dérivant de maceria, " ruine ", " mézière " en langue romane et " macoer " en vieux breton, se retrouve dans Mangolerian, en Monterblanc (56), où la chapelle repose sur un bâtiment romain. La Cour de Marzan, en Marzan (56), promontoire aux pentes peu prononcées, renfermait des sarcophages. D’autres sites protohistoriques furent occupés durant le Moyen Âge central, et il paraît probable que l’occupation ne s’interrompit point à Castel-Coz, en Beuzec-Cap-Sizun (29) ou à Castel-Meur, en Cléden-Cap-Sizun (29), d’où provient un vase rappelant une trouvaille de la résidence d’époque carolingienne de Locronan (29) ; la situation est voisine avec le vaste promontoire de Castennec, en Bieuzy-les-Eaux (56), occupé depuis au moins l’époque gauloise, comprenant une chapelle dédiée à la Trinité, et attesté en 1124-1125 avec son " fossé du vieux château ".

Quelques trop rares textes évoquent ces sites de hauteur, ainsi le petit monastère de Castel-Uuuel, " château élevé " donné à Redon en 842, dominant la Vilaine et localisé en Avessac (44). Au Mur, en Comblessac (35), saint Melaine aurait miraculeusement guéri Aspasie, fille du " roi " Eusèbe qui résidait alors dans son castrum, promontoire occupé sans interruption aucune de l’époque gauloise à la fin du Moyen Âge. La Chronique de Saint-Brieuc, rédigée au xive siècle, raconte sans sourciller que Maxime et Conan Mériadec se seraient emparés de villes et de " forts ", oppida, avant de les fortifier de nouveau, ainsi que des " promontoires ", promuntoria, terme qui pourrait dériver de munitio, " lieu protégé " et qui rappelle curieusement des éperons barrés protohistoriques et leur réoccupation.

Conquête de l’Armorique par Maxime et Conan-Mériadec " (F.-G.-P.-B. Manet, Histoire de la Petite-Bretagne, ou Bretagne-Armorique, depuis ses premiers habitants connus, t. i, Saint-Malo, 1834)

 

   Les établissements ruraux romains

Plutôt que du terme galvaudé " camp romain ", qui n’a pour l’instant pas obtenu de confirmation archéologique certaine, nous préférons prudemment employer cette expression moins précise, faute de pouvoir y distinguer l’une des fortifications définies par Végèce, castra stativa (longue occupation), castra hibernae (pour la mauvaise saison) ou castra aestivalia (simples fortins temporaires). Cependant quelques enclos tels Castellien, en Meilars (29), Muriou, en Pont-de-Buis-les-Quimerc’h (29), Lescastel, en Elven (56), Kerfloc’h en Plaudren (56), installés en terrain plat, carrés de près de 100 m de côté pourvus de talus atteignant jusqu’à 5 m de hauteur, appartiennent vraisemblablement à l’une de ces fortifications abritant des " paysans-soldats " durant une période d’utilisation indéterminée, probablement parfois de longue durée : ainsi Castel Kerandroat, en Plésidy (22), outre une monnaie de Vespasien, a fourni une pièce émise par Zénon, empereur d’Orient entre 474 et 491 et un aureus frappé sous Jules Nepos, empereur d’Occident en 474-475. Mais dans la plupart des cas ces établissements demeurent indatables, comme l’ancien castrum (disparu) dans lequel, selon sa Vie du xie siècle, Gildas établit son monastère, futur Saint-Gildas-de-Rhuys (56). Castel Veuzit ou La Boissière, en Lanmeur, nom dérivant de buxetum, " lieu planté de buis ", est un castellum appelé Boccidus par la Vie de Melar au xiie siècle, castrum par celle du xive siècle. Dans cet enclos conservé sur trois côtés, constitué de deux talus et deux fossés, se trouvait une chapelle dédiée à saint Melar, éponyme de la paroisse depuis au moins le dernier tiers du xe siècle ; les fragments de tegulae y abondent.

Les grands domaines romains subirent de plein fouet la crise de la fin du iiie siècle mais certains perdurèrent probablement au très haut Moyen Âge ; la villa des Bosséno, en Carnac, a fourni une possible attache d’un seau de parade d’époque mérovingienne, témoignant d’une installation temporaire. Venance Fortunat décrit, dans la seconde moitié du vie siècle et d’une façon amphigourique l’aula, la résidence de saint Félix, évêque de Nantes, à Cariacum, peut-être Chassay, en Sainte-Luce-sur-Loire (44).

  Les moyens d’investigation

La toponymie

    Les termes d’origine latine, tels ceux dérivés de castrum et de castellum, souvent synonymes l’un de l’autre dans les textes, paraissent anciens mais ne peuvent que rarement être datés ; lorsque " castel " rentre en composition avec le préfixe plou-, il est probable que cette forme remonte au haut Moyen Âge, ainsi avec Pléchâtel (35), paroisse mentionnée en 875 sans que le castellum éponyme ait laissé de traces. Quelques termes germaniques trahissent des fortifications, ainsi " salle ", qui entre en composition avec plou- pour former Ploézal (22), dépourvu de tout vestige de ce type à la différence du " Camp des Salles ", appellation attestée seulement au xixe siècle de la résidence de la Montagne du Prieuré, en Locronan. " Garde ", désignant un " poste de garde ", n’est pas attesté anciennement, le seul exemple intéressant semblant La Couarde ", ancien nom donné traditionnellement au promontoire de Castennec. " Haie ", désignant initialement un bosquet, un bois entouré de haies, a le sens de fortification dans l’édit de Pîtres (27) par lequel Charles le Chauve ordonna en 864 la destruction des castellas et firmitates et haias établis sans l’aval de la puissance publique ; aucune très ancienne " haie " n’est connue en Bretagne. La datation de " Guerche " est toujours controversée, des origines saxonne, franque ou normande ayant été proposées pour ce terme remontant au haut moyen Âge et qui dériverait du francisque werk, " fortification ", bien que l’on ait également proposé une explication par le vieux norois virki, " fortification, château ". Aucun système n’emporte la conviction et les paroisses de ce nom sont de création tardive, telle La Guerche-de-Bretagne (35), dont le seigneur, Mainguené, n’apparaît qu’au début du xie siècle : près de la motte furent trouvés en 1903 les restes d’une " tour " ou d’une salle carrée de 7 m de côté.

L’essentiel des informations toponymiques intéressantes ressort bien entendu du domaine celtique. Ainsi, Din, du gaulois dun, se rencontre rarement dans les sources documentaires. Le nom Brehant dincat, lieu de naissance de saint Paul-Aurélien, en Cambrie, est glosé guttur receptaculi pugnae, " entrée de la place forte ", par suite d’un contresens ; Dinard (35), fortifié au xiie siècle selon la Chanson d’Aiquin, est un probable Din, de même que Dinan (22), dont la motte est figurée sur l’illustre broderie de Bayeux. Le radical Bot, en gallois " résidence ", semble l’équivalent de " haie " et connaît la même évolution sémantique. Désignant initialement un site naturel, il prend ensuite le sens de " demeure du propriétaire d’un domaine rural ", protégée par des défenses végétales, avant d’être remplacé à l’époque romane par le mot " quinquis " : le plus ancien bot connu remonte à 832, avec l’aula Botnumel, en Priziac (56). Apparaissant en Bretagne seulement au ixe siècle grâce au cartulaire de Redon, le préfixe Caer y désigne alors un " lieu fortifié ". Plouguer, en Carhaix-Plouguer (29), est la ploue du caer, une très ancienne paroisse succédant à la ville antique. Caer évolue en ker, " village ", " hameau ", " maison ", et remplace bot. Le vieux breton lis, les ou lez en moyen breton, signifie " résidence seigneuriale ", " cour de justice ", avec le sens figuré de " puissance d’un prince " ; synonyme de villa ou de aula au ixe siècle, il est associé dans 9 cas sur 20 à un toponyme végétal évoquant un défrichement, parfois également avec un nom d’homme ou un terme topographique, ainsi en 844 Lisros, en Médréac (35). Lisnouuid en Carentoir (56) et Lesnouueth en Pleucadeuc (56) étaient en 826 des " cours neuves ", la villa Renhenlis de Ruffiac (56) désignant en 846 une " vieille cour ". Rien ne transparaît de la réalité archéologique de ces lis : Leslouc’h, en Plouédern (29) ou Lezkelen, en Plabennec (29), sont des mottes postérieures au xe siècle.

 

  Les Vies de saints

Souvent tardives et fournissant davantage d’informations sur l’époque de rédaction des Vies que sur leurs héros, à ce titre fréquemment décevants pour le haut Moyen Âge, les documents hagiographiques ne peuvent être négligés, même si les termes mentionnant des résidences emploient des clichés davantage stéréotypés que descriptifs. La Vie de Ronan (fin xiie siècle) évoque l’aula de Gradlon où se rendit le saint, soit à Quimper, comme dans la Vie contemporaine de saint Corentin, et dont rien ne subsiste, soit à Locronan où elle serait le " Camp des Salles " ; l’aula soi-disant donnée par Riwal à saint Brieuc, selon sa Vie du xie siècle, est assimilable à Licellion, en Hillion (22), toponyme dont la forme en Lis- indiquerait peut-être une fortification. Domus se rencontre dans la Vie de saint Judicaël avant 1024, à propos de la résidence d’Ausoch sise en Tréflez (29), également pour celle de Conomore dans la Vie de saint Goueznou – sa datation fait l’objet de polémiques ardentes – en Gouesnou (29), peut-être en réalité le lieu des montres des seigneurs de Léon.

 

  Chroniques et récits militaires

Selon les Annales Regni Francorum, en 786, Audulf, sénéchal de Charlemagne, et son armée, " soumirent beaucoup de Bretons avec leurs châteaux et leurs forteresses défendus par des marais ou par des rocs escarpés ", ce qui n’implique pas nécessairement que toutes les fortifications bretonnes étaient obligatoirement implantées en ces lieux naturellement protégés, puisque le cartulaire de Redon évoque à peu près à la même époque plusieurs résidences de plaine. Le Poème en l’honneur de Louis le Pieux, d’Ermold le Noir, relatant la campagne de 818, ne constitue pas une source digne de foi, et est d’un faible intérêt documentaire pour l’histoire militaire. La résidence du roi Morvan est ainsi décrite : " Au milieu des forêts, entouré d’un fleuve, retranché derrière les haies, les fossés, les marécages, la demeure royale brille de l’éclat des armes et contient une garde de soldats nombreux ". Ermold utilise également le terme arx pour désigner le " palais ", dont la localisation précise n’est pas déterminée, même s’il était probablement proche de Priziac, lieu où l’empereur avait son camp, castrum, et où il reçut, Matmonoc, abbé de Landévennec : près de Kervenah, en Priziac, furent mis au jour 1000 ou 2000 deniers frappés sous Charles le Chauve, numéraire postérieur aux combats impliquant probablement qu’une fortification continua à fonctionner, ce que confirme l’assimilation de l’aula quæ dicitur Botnumel de Nominoë (832) à Bonnevel. En 825, l’Astronome écrivit que Wihomarc’h fut assassiné dans son " château ", domus.

 

  Les textes juridiques

Le statut des lieux de pouvoir et des territoires qu’ils contrôlent n’apparaît pas nettement au travers des cartulaires : espaces de représentation où se rend la justice et où se déroulent les actes de la vie officielle, ils sont également des demeures privées pour les mactierns et pour le souverain, qui circule d’une aula à l’autre. On ne peut mettre en équivalence une aula avec une vicaria, la fonction même de cette circonscription prêtant à discussion ; remplaçant la centaine en conservant ses attributions juridiques et administratives, elle prend une signification militaire avant d’évoluer à partir de la seconde moitié du xe siècle en vicaria castri. On compte environ 25 vicariae à partir du milieu du ixe siècle et jusqu’au premier tiers du siècle suivant.

Le cartulaire de Redon mentionne environ 35 résidences, souvent un simple nom quasiment impossible à localiser, même dans le territoire d’une paroisse dûment identifiée :ainsi l’aula donnée par Salomon à Redon se trouvait in plebe que vocatur Laan, aujourd’hui Maxent (35), mais les fossés du Pré Louais, proches de l’église des années 860, ne sont pas ceux d’une fortification du ixe siècle. Les textes ne donnent pratiquement aucun renseignement sur les défenses artificielles, talus et fossé ; les termes dérivés de fossa, avec les qualificatifs magna, maxima ou nova, équivalent aux modernes " kleuziou " ou " fossés ", c’est-à-dire à un ensemble constitué par un talus et un fossé, limites avant tout juridiques marquant une appropriation. Domus, synonyme en 844 de lis à Lisuison, en Augan (56), signifie la plupart du temps simplement " maison ", mais qu’elle était le statut de la domus de Lansent, probable Lanzent, en Plonévez-Porzay (29), appartenant à l’échanson de Gradlon ? Bien que le curieux acte du cartulaire de Landévennec qui la mentionne soit indubitablement un faux, notons la découverte en ce lieu d’un pot relativement proche d’un exemplaire mis au jour dans la grande salle de la résidence aristocratique de Locronan.

 

  L’archéologie

Sites rejetés

La littérature archéologique, depuis au moins les " antiquaires ", mentionne des " palais " de tel chef ou roi, alors que ni les sources documentaires ni la toponymie ni aucun témoignage matériel ne permettent de valider de telles affirmations. Nous croyons donc faire œuvre utile en éliminant quelques-unes de ces soi-disant résidences (la liste en est longue), par exemple le " Camp des Rouëts ", en Mohon (56), considéré par Arthur de La Borderie comme le lieu du séjour de Judicaël dans le premier tiers du vie siècle : bien que la paroisse soit attestée comme le siège d’une vicaria avant 1032, et que Salomon effectue une donation dans la plebe Moton en 872, rien n’autorise à faire remonter les imposants vestiges terroyés de Bodieuc avant le Moyen Âge central. De même, l’enclos circulaire du " Gué de Plélan ", en Plélan-le-Grand (35), vicaria attestée en 843, également attribué par la tradition locale au dernier souverain breton, ne saurait avoir de rapport avec lui ; il en va de même pour le château de Boutavant, en Iffendic (35), avancé comme l’une des " résidences favorites " et de Judicaël et de Salomon, mais dont les plus anciens vestiges ne remontent probablement pas avant la fin du xiie siècle.

 

Botalec en Landévant (56)

Une enceinte ovoïde circulaire de 120 à 150 m d’axes, délimitée par un talus n’atteignant pas 1 m de hauteur et un talus large de 5 à 10 m, englobe des éléments de granite vitrifié ; des mesures d’âge par le radiocarbone et la thermoluminescence ont fourni une datation des viie-viiie siècles. Le statut et la destination de cet enclos demeurent énigmatiques.

 

  Montagne du Prieuré, en Locronan

Nous ne reprendrons pas ici la description et l’analyse de ces trois enclos juxtaposés et alignés sur 450 m, englobant une surface totale de 3,5 ha. La fouille de l’enclos supérieur, malencontreusement interrompue après 1991, a mis au jour des bâtiments de diverses natures et fonctions (probable aula publique et sa camera privée, chapelle, structures en rapport avec la métallurgie de l’or), ainsi que du mobilier autorisant une datation durant la seconde moitié du ixe siècle. En l’état actuel de la question, nous sommes tentés de voir en ces enceintes une résidence aristocratique ressortissant du pouvoir royal, mise à mal par l’irruption des Scandinaves en Cornouaille au cours du premier tiers du xe siècle.

 

Normands et Bretons

Selon Réginon de Prüm, durant l’hiver de 874-875, Salomon construisit des fortifications, castra, destinées à s’opposer aux Vikings. S’agissait-il d’éperons barrés, tel celui de Castel Cran, en Plélauff (22) mentionné en 871 ? Ce nid d’aigle dominant le Blavet possède plusieurs constructions en pierre évoquant en fait le Moyen Âge central, ce que ne démentit pas le mobilier mis au jour au xixe siècle. D’autres sites de hauteur stratégiques occupés depuis la protohistoire et surveillant des voies d’eau paraissent de meilleurs candidats, ainsi au-dessus de l’Isac Châteaucé, en Plessé (44), à l’origine du nom de cette paroisse : attesté en 903 comme une résidence du duc Alain le Grand, le promontoire abritait une chapelle d’allure romane autour de laquelle furent découvertes des sépultures remontant apparemment à l’époque mérovingienne. Il en va de même pour Castellum Reus, Rieux (56), proche d’un gué sur la Vilaine, où Alain le Grand résidait dans les années 888-895 : dans le château médiéval a été trouvée une pendeloque anthropomorphe attribuable à l’intervalle vie-viiie siècle.

Les combats liés à la reconquête des Bretons sur les Vikings ont laissé des traces archéologiques d’importance inégale. Le complexe enclos de l’anse de Vigneux, en Saint-Suliac-sur-Rance (35), a été assimilé au Gardaine de la romane Chanson d’Aiquin, et partant interprété comme une fortification destinée à surveiller la Rance au xe siècle ; cependant nous préférons y voir, jusqu’à preuve du contraire, une structure en rapport avec le fleuve, peut-être une importante pêcherie médiévale. De même, il subsiste des doutes quant à l’identification d’un castellum détruit par les Bretons en 939, aux dires de Flodoard, avec deux enclos de Trans (35), dont et la datation et la fonction restent à affiner. Si la bataille de Plourivo (22) est à ranger aux oubliettes de l’histoire, il paraît plausible que le camp de Péran, en Plédran (22), ait été le théâtre d’opérations militaires en rapport avec le retour d’Alain Barbetorte sur le continent : cette enceinte circulaire fut vitrifiée par un violent incendie allumé en 915 + 20 ans, datation confirmée par le mobilier varié dont certains éléments sont proches de ceux mis au jour dans la barque ayant servi à l’incinération d’un viking dans l’île de Groix (56), au cours de la seconde moitié du xe siècle.

Bien plus tard, soi-disant en 1037 (mais l’acte du cartulaire de Redon est un faux forgé dans le but de s’opposer à Quimperlé au sujet de la possession de Belle-Île), est évoquée la partition de la presqu’île du Plec, en Locoal-Mendon (56) : Gurki, vir ferus, genere Normannus, retint pour lui l’extrémité du promontoire, se retranchant derrière un talus et un fossé, partem insule quam vallo et fossato ab alia parte insule divisit, quamdiu viveret, retiniuit. Ainsi se poursuivait un mode de fortification employé très anciennement, et qui aura encore un bel avenir durant le Moyen Âge central : les mottes installées en position de barrage, à l’endroit de le plus faible de la défense, sur des sites naturellement protégés, paraissent les plus anciennes de ce type de lieu symbolique du pouvoir, ainsi celles de Kermorvan, au Conquet (29), remplacée par un blockhaus de la Deuxième Guerre mondiale, du Moulin du Folgoët, en Ploudaniel (29), de Villavran, en Louvigné-du-Désert, et de Coh-Castel, en Sauzon (56), attribuée aux Vikings lors de sa fouille en 1939. Quelques carottages effectués sans fouille dans des mottes ont permis des datations radiocarbone voisines de 1000 ad, comme à La Prévotais, en Taden (22) ou à Plouasne (22). Elles sont donc contemporaines des premières châtellenies attestées par les textes, mais dont aucun reste archéologique, du moins jusqu’à présent, ne semble appartenir à cette époque ; la suite est une autre histoire…

Philippe Guigon

(conférence du 15 mars 2003 à Lorient)

 

Bibliographie

Philippe Guigon, Les fortifications du haut Moyen Âge en Bretagne, Rennes, ICB/Ass. Trav. Lab. Anthropologie/CERAA, 1997.

Pierre-Roland Giot, Philippe Guigon, Bernard Merdrignac, Les Premiers Bretons d’Armorique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003.