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       LES CHANTIERS NAVALS

EN BORDURE DU SCORFF A LA VILLE EN BOIS

(aux XVIIe & XVIIIe siècles)

   Daniel Faurie

La ville en Bois- Lorient

                                      

 

 

Il fallait coucher sur un flanc le navire pour accéder sous la ligne de flottaison et faire à partir de radeaux de carénage les travaux sur la coque: calfatage, réparations diverses.

            Tandis que la construction navale prend tout son essor le long du Scorff au chantier de la Compagnie des Indes, il est une extension qui s’installe entre la chapelle Saint-Christophe et l’Arsenal  sur la rive droite du fleuve. Cet emplacement prendra pour noms Le Blanc, Le Bois du Blanc, La Ville en Bois, Douar ar Blank, en breton pour annoncer la Terre de Le Blanc, nous avons aussi Les Rochers de la Faouëdie, et le nom savoureux  de La Potée de Beurre, sur laquelle le viaduc du chemin de fer viendra prendre appui.

Dès le 21 octobre 1699, Nicolas Charmoy, directeur des Compagnies de L’Isle et des côtes de Saint-Domingue, achète  un terrain à Dondel pour y installer un port et un chantier naval. De là partirent entre 1699 et 1716, chaque année des bateaux chargés de 100 blancs et 200 noirs pour coloniser l’île de Saint-Domingue. La Cie de Saint-Domingue se retira au Port-Louis, et c’est à la liquidation que Joseph Le Blanc acheta le terrain en landes et pâturages et avec un bois de hautes futaies, voilà comment était notre quartier. Notons au passage que ce Le Blanc Joseph à une rue dans notre petite communauté, celui-ci fut officier dans la Royale, écrivain, ambassadeur.

Sur la rive gauche du Scorff les chantiers navals sont en pleine effervescence, comme  la Cie des Indes n’a pas le monopole de la construction, déjà Charles Le Goff s’installe un chantier au bord du ruisseau qui coule le long de La Potée au Beurre, puis  il déménage pour laisser la place à la Prée aux Vases futur canal de la mature en1751.

En 1757 les frères Arnous prennent possession de ce terrain, aussitôt on installe deux rampes, trois grands hangars servant de magasin aux matières premières sont disposés à l’arrière des 4 cales. Des forges à 9 feux, en retrait des Pigoulières à Bray dans la petite anse. Les matures sont conservées dans un rentrant. Au large dans le fleuve plusieurs pontons sont ancrés pour le mouillage. Le chantier s’établit  sur la Potée au beurre et vers le Bois du Blanc, il va employer 500 ouvriers !!!! dés 1761 les frères Arnous vont passer un marché de 10 chaloupes canonnières avec la  Cie des Indes, les bords du Scorff bruissent de tant d’activités. Ces chantiers représentent jusqu’à 22 % de la construction navale. Citons (La Cérès 200TX) (L’outarde 58 TX) (Le Duc d’Aiguillon). Ils se lancent dans l’armement au  grand cabotage vers la Méditerranée et les Antilles, et participeront aux trafics négriers. Au pied de la chapelle St Christophe un petit port où arrivent ces caboteurs pour se délester des barriques de vin de l’Afrique du nord mais cela un peu plus tard. Ce lieu se nomme toujours la Côte d’Alger où le chantier possède des cales pour les réparations en particulier.

Tout contre les chantiers Arnous se tient celui de Nicolas Quinard, celui-ci construit des chasse-marée, (Les Trois Frères, Le Bélisier)  puis un brigantin de 120 Tonneaux, puis un navire de 350 Tx.

Craignant des réactions des Princes de Guémené, lesquels lors la fondation de Lorient s’étaient vus déposséder de leurs droits féodaux, les Princes possédaient le lit et les rives du Scorff, ils voyaient d’un mauvais œil la prise de la rive droite du fleuve par ces constructions navales qui gagnaient du terrain, vers Tréfaven, lequel château est loué à la marine(1690) pour forger, entreposer des munitions et aussi resserrer les prises des corsaires. Et toutes ces fonctions feront l’objet d’un récit détaillé. En 1735 le Prince était de nouveau redevenu possesseur des terres primitivement vendues par Dondel.

 En 1763 la Compagnie des Indes exige la démolition de 3 cales, refus des Arnous qui construisent une corvette. 1765 la nouvelle direction accepte les ambitions des deux frères mais sur une cale volant, (Le Sage 200 tonneaux) ; puis en 1768 meurt René Arnous. Nicolas relance une nouvelle société Arnous-Dessaulsays ; 1770: les tonnages deviennent plus importants, (Bruny 500 tx), (Aquilon 600 tx)

 Cela n’empêche pas en 1774 la faillite. La société trouve des arrangements avec ses créanciers et reprend les activités.  4 cales importantes (L’Artois 1200 tx) belle activité avec la marine Royale, et des armateurs privés. Les bureaux Arnous se trouvent dans l’enceinte de la Compagnie des Indes à l’ombre de la tour de la découverte, les deux frères sont devenus des armateurs. Au chantier 10656 toises carrées l’entrée  se fait par un bloc où il y a un corps de garde, des bureaux pour les ingénieurs, une clouterie  avec feux, une écurie pour y loger 6 bœufs, c’était en 1793. En 1785 Lorient devient un port franc, cela laisse toutes liberté de commercer sans payer de droit de douane, les constructions navales en sortent dopées.  En 1794 Nicolas meurt et le chantier est réquisitionné, sa veuve demande à la république d’acquérir les bâtiments, sans succès et   tout cela se détériore au fil des ans, plus tard, en 1860 le chantier du viaduc du chemin de fer effacera les dernières traces  de la construction navale du Scorff hors Arsenal .

 Dans les hangars récupérés viendra s’installer la manufacture de faïences et de porcelaines 1789 – 1808, histoire déjà décrite dans un récit (bulletin SAHPL n° 34- 2005 –2006)

 Pour mémoire voici l’origine de La Ville en Bois: de la lunette du Blanc qui faisait partie des remparts de Lorient, jusqu'à la chapelle St Christophe, le terrain était militaire et non constructible, en dur, ce qui n’empêcha nullement la construction de fours, mais il fallait la visibilité sur le Scorff et le parc à bois (1847) Bien. Les charpentiers des chantiers ne pouvant accéder aux loyers de Lorient  intra-muros, firent des logis de fortune avec les restes des bois des navires, et nous avons là l’origine de La Ville en Bois.

 L’anse qui se trouvait à l’emplacement actuel du boulevard du Scorff, faillit devenir le port de commerce de Lorient, pas moins, cela en 1789 on en parla, l’article 3 de l’arrêté du Conseil d’Etat du roi (3 octobre 1784) s’y arrêta, et cela ne se fit pas.

 Et pour finir voici comment fonctionnait un chantier naval. La construction était « mangeuse » de bois. Pour construire un navire de 30 mètres de long et de 8 de large….il fallait pas moins de ….. je vous le donne en mille….mille beaux arbres. Soit 50 hectares de forêt. Dans les chantiers navals il y avait de grands hangars pour le matériel, des forges, des plateformes où les charpentiers traçaient à l’aide de gabarits les formes du navire, améliorées chaque fois par les avancées techniques. Il y avait des étables, car c’étaient les bœufs qui acheminaient les lourdes billes de bois, ces billes avaient séjournées au moins deux ans dans les parcs à bois (voir récit sur le parc à bois de St Isidore)

 Le maître charpentier faisait tailler, ajuster les pièces de la membrure, le bateau prenait forme, sous les coups sourds des cloutiers qui prenaient aux forgeurs  les clous encore chauds. Des étincelles, de la fumée et sans relâche les enclumes sonores, les navires remontant le Scorff jusqu’à Pont Scorff saluaient les ouvriers au trimard, il y avait de la vie sur notre territoire. Puis les calfateurs prenaient la relève pour assurer l’étanchéité de la coque bardée des belles planches courbes, avec des chaudières où l’on faisait chauffer le brai gras, résidus pâteux du goudron et autre mixture de l’époque.

Enfin on enlevait les tins, précautionneusement, et le navire libéré de ses entraves glissait dans les eaux de notre fleuve sous les hourras des ouvriers et leurs familles invitées à ce spectacle. Là, le long d’un ponton, le navire devait s’armer au sens propre et figuré pour enfin se mesurer avec l’océan. C’était hier sur la rive du Scorff, au pied de nos demeures, celles de la Ville en Bois.

 

 Les livres consultés : Jégou: Fondation de Lorient ; Mers et Marins en France autrefois; Archives et Médiathèque de Lorient, Cahiers du Faouëdic Charlotte Merle.