L’ETABLISSEMENT ROMAIN DE «  LA FALAISE  » A ETEL

Sondage archéologique d’un atelier de salaisons de poissons.

 

   

Cyril Driard

Doctorant UMR CITERES-LAT, Tours

   

 

      La ville d’Etel dans le Morbihan est surtout connue pour son passé lié à la pêche à la sardine puis au thon. Les activités associées au port, conserveries et presses, se développent à la fin du 17ème siècle. Cependant, dès l’antiquité, la pêche jouait un rôle important dans l’économie locale, comme en témoigne les vestiges d’un atelier de salaisons de poissons situé au lieu-dit « la Falaise »

 

Présentation du site et de l’opération archéologique : 1

 

       Le site archéologique est localisé au sud-ouest de la commune d’Etel (Figure 1). Il est établi sur un promontoire rocheux granitique (9,60 m NGF) surplombant à l’ouest l’embouchure de la Ria d’Etel et bordant au nord une anse aujourd’hui condamnée. L’océan se situe à un kilomètre au sud.  

       En 1942, à l’occasion de travaux de terrassement pour la construction d’un blockhaus, une sépulture est mise au jour1. Le mobilier associé (vase, plaque-boucle et couteau) est daté du début du haut-moyen âge. A 80 mètres au sud-ouest, des murs en petit appareil avec des arases de briques sont visibles en front de falaise sur près de deux mètres de haut et une dizaine de mètres de long. Ces structures (Figure 2) sont identifiées en 1998 à des parois de cuves2 caractéristiques des ateliers de salaisons antiques.

       Le sondage réalisé en mai 2007 était destiné à évaluer l’extrémité ouest du site. Il s’agissait de déterminer le nombre de cuves construites en bordure de falaise, d’étudier l’architecture de l’ensemble, d’obtenir des informations sur la nature des produits contenus dans les cuves, de préciser la chronologie de l’établissement et d’étudier l’environnement immédiat de l’atelier. La surface de fouille (17 m x 1,50 m) était limitée à l’ouest par la falaise et à l’est par les remblais liés au rehaussement du camping municipal.

 

Configuration de l’atelier :

 

       La confrontation entre les données issues de la fouille archéologique et les vestiges visibles en front de falaise permet de restituer le plan de l’extrémité ouest de l’atelier (Figure 3). Une série de quatre cuves axée nord-ouest / sud-est a été découverte. Elle est bordée au nord par un mur délimitant l’espace intérieur de l’atelier. Entre ce mur et la paroi de la première cuve, un espace de circulation de 0,65 mètre avait été aménagé. Trois cuves ont été sondées : la paroi la mieux conservée permet de restituer une profondeur minimale de 2,20 mètres. La longueur de la cuve nord est supérieure à 3,80 mètres et la largeur des trois cuves est similaire : 3,65 mètres. L’extrémité sud de l’atelier n’a pas encore été étudiée.

     Les différents témoignages oraux recueillis laissent supposer la présence de cuves en partie arasées sous l’actuel terrain de camping, à l’est du sondage.

     Ces différents éléments permettent d’ores et déjà de comparer ce site aux plus gros établissements de salaisons connus dans l’ouest de la Gaule.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1 : Localisation du site archéologique de «  la Falaise  ». Figure 2 : Murs visibles en front de falaise
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          Construction :

 

Figure 4 : Vue détaillée d’une des cuves.

      

     L’atelier a été construit dans une large excavation, profonde de deux mètres, pratiquée dans le substrat granitique. Le mur nord du bâtiment, large de 0,56 mètre se situe en bordure de la fosse de construction. Le parement intérieur (petit appareil joint au fer) s’appuie contre la paroi de la fosse. Un espace de 0,65 mètre est conservé entre ce mur et la série de cuves. Ce vide est ensuite comblé par des pierres et du mortier. En surface, une couche de cailloux est déposée afin de créer un espace de circulation. Les murs des cuves, épais de 0,65 mètre , sont construits en moellons de granite et arases de briques liés au mortier de chaux, revêtus de plusieurs couches de mortier de tuileau (Figure 4).

     Un solin d’étanchéité est aménagé aux jonctions entre les parois et les fonds de cuve. Ces derniers sont  parfaitement plans et établis au même niveau. L’ensemble est recouvert d’un enduit de bonne qualité, qui venait s’appuyer contre un solin en mortier de chaux situé au sommet des cuves. Il s’agit d’une construction homogène. Aucune observation archéologique n’a été faite concernant une éventuelle couverture de l’édifice et la datation de la construction n’a pu être déterminée.

        Fonctionnement et productions :

      Les dépôts conservés sur les parois et au fond des cuves permettent de discerner deux contenus différents. Le premier est caractérisé par des dépôts bruns, similaires à ceux retrouvés sur les parois de l’une des cuves à Douarnenez3 et décrit comme « caramélisé ». Cette matière est présente dans les cuves n° 1 et 2. Souvent interprétée comme un reste de sauce de poissons, elle va faire l’objet d’analyses. Le deuxième type de contenu est caractérisé par des restes de poissons et des cristaux de sel. Il a été retrouvé sur les parois de la cuve n° 3. Celle-ci était en réfection lors de son abandon et avait été vidangée. Mais son contenu ou celui de cuves contenant un produit similaire a été rejeté dans le comblement des cuves n°1 et n° 2. Des prélèvements ont été effectués pour analyse : il s’agit d’arêtes, de vertèbres, d’écailles et de nageoires de poissons (principalement de la sardine) mélangées à des cristaux de sel et un sédiment sableux. Il pourrait s’agir de déchets ou de restes décomposés provenant de poissons traités en salaisons (Figure 5). Un fragment de rouleau de forme conique, en granite, a été découvert dans le comblement d’une cuve. Il présente des similarités avec celui retrouvé à Douarnenez4 et pourrait être associé au traitement du sel.

 

Figure 5 : Vue détaillée des restes de salaisons de poissons

contenus dans les cuves. (cliché : E. Philippe).

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   Comblement des cuves et destruction de l’atelier :

       Les cuves n°1 et n°2 servent de dépotoirs, constitués dans un premier temps d’une majorité de coquilles d’huîtres. Ces rejets sont ensuite recouverts par les restes de poissons et de sel provenant vraisem-blablement de la vidange de la cuve n° 3, qui est alors en réfection. Ensuite, les cuves sont partiellement et méthodi-quement démontées jusqu’au niveau des arases de briques, puis volontairement  comblées par des blocs de granite et des moellons. L’atelier sert de nouveau de dépotoir (rejets d’ossements d’animaux majoritaires). Le seul élément de datation pour cette phase est une monnaie de Gallien (Figure 6).

 Des murs encore en élévation s’effondrent progressivement alors que le site est ensablé.

 

 

 

 

 

 

Figure 6: monnaie de Gallien

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Figure 7: Boucle de ceinture

 

La découverte d’une boucle de ceinture en alliages cuivreux et argent (Figure 7) est le témoignage d’une fréquentation du site au début du haut-moyen âge. Cet objet est vraisemblablement à mettre en relation avec la sépulture découverte en 1942.

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

1 M. JACQ : Carnac, Découverte faites dans la région, sépulture gallo-romaine dans les dunes d’Etel, manuscrit, 1948.

 2 O. KAYSER, J-P. BARDEL : Etablissement de salaisons antique, compte rendu de l’inspection du mercredi 29 octobre 1997, SRA, Rennes, 1998. 

 3 R. SANQUER : Douarnenez, à Plomarc’h Pella, in Gallia, 35, 2, 1977 : p 355-360.

 4 J.-P. BARDEL : L’établissement antique de Plomarc’h Pella à Douarnenez (Finistère) : un ensemble représentatif des établissements de salaisons romains de la baie, in Aremorica, Etudes sur l’ouest de la Gaule romaine, 1, 2007 : p 102-116.