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"GLACIERE - SLIPWAY"

Art et Histoire

Discours d’inauguration de l’exposition

Chambre de Commerce et d'Industrie du Morbihan

21 quai des Indes - 56100 LORIENT

 

par Claude CHRESTIEN

 

Monsieur le Sous-Préfet,

Messieurs les Maires,

Monsieur l'Inspecteur d'Académie,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

 

Pourquoi imaginer une telle exposition ?

C'est parce que tel monument ou tel autre disparaissent de notre paysage sans que l'on s'en aperçoive, sans que l'on fasse attention à leur importance et au rôle qu'ils ont joué dans notre ville.

C'est pour éviter que ces monuments ne s'oublient avec le temps, comme :

-          la caserne du 62ème R.I., dite caserne Bisson

-          le pont de chemin de fer

-          le slipway

-          la glacière bientôt.

C'est aussi, en hommage à ceux qui les ont conçus, qui les ont construits, qui y ont travaillé et consacré tout ou partie de leur carrière.La ville de Lanester a présenté une exposition de photos magnifiques réalisées par Maryvonne COUEDO sur la démolition du pont de la SNCF inauguré en 1862, je me suis dit que Lorient se devait de faire aussi bien, pour le Slipway et ses treuils qui n’existent plus, pour le frigorifique qui doit disparaître, en principe, cette année. 2003 est une date anniversaire pour ces infrastructures industrielles :

-          85 ans pour le début de la construction de la glacière, cette grande dame un peu froide, qui se situe au bout de la rue du Bout du Monde

-          75 ans pour la récupération des fonds et le début des travaux du chemin qui mène les bateaux hors de l'eau

-          et pendant que nous y sommes 55 ans de pérégrinations sur le port de votre beau parleur.

En ai-je rencontré des gens ! pour me rapporter histoires, potins et commérages…

Monsieur Henry VERRIERE racontait que jeune homme, en 1903, il venait passer ses vacances à Lorient. Il plongeait à la pointe de Kéroman et s'étonnait qu'à marée basse, comme à marée haute, il y avait toujours beaucoup d'eau. Il imaginait le grand port qui pourrait se faire là. Le Lorientais Paul GUIEYSSE s'y était particulièrement intéressé dès 1883 sous l'impulsion de Ferdinand De Lesseps. Eh bien, quinze ans plus tard, l'ingénieur VERRIERE concourrait pour sa création,  à quelques encablures de ce site. C'est son projet qui fut retenu. Premier bâtiment de cet ensemble : le frigorifique.Il fut construit au lendemain du conflit de 1914-1918.

Les décideurs lorientais ont montré une sacré volonté pour sa construction, car les journalistes de l'époque ne leur firent pas la part belle, en traitant leur projet de pharaonique, de deuxième Versailles, de se prendre pour des Louis XIV, et j'en passe… Il est vrai que l'on sortait d'une guerre où la Bretagne avait payé un lourd tribut à la France et que nous avions une dette envers les veuves et les pupilles de la nation quant à leur protection. Mais cette unité du froid allait ô combien ! modifier l'économie lorientaise, le bien-être de tous les Français et des européens frontaliers. Le système OTTESEN fut retenu pour la conception de la glacière. Sa mise en service en 1922 fit partie de la première chaîne du froid entre Saint-Pierre-et-Miquelon et Lorient, une réalisation unique au monde dans sa modernité, avec comme intermédiaire, des bateaux de l'armement Gautier. Sans compter les nombreuses entreprises qui vont graviter autour de ce pôle halieutique international. Quels que soient la distance, le lieu, le jour, il y avait du poisson frais (raisonnablement frais dirons-nous) dans nos assiettes. Henry VERRIERE avait, paraît-il, été très marqué par la fin dramatique du grand VATEL. Monsieur TAYON, pour l'ensemble des travaux du port et Monsieur GAUDIBERT pour la partie technique du frigo, étaient ses deux collaborateurs de confiance. Monsieur TAYON, polytechnicien, comme lui, a son nom inscrit sur la plaque côté Nord de la glacière. Mais ce Monsieur GAUDIBERT, qui s'en souvient ? C'est pourtant un personnage remarquable ; chef mécanicien du frigorifique, exceptionnel de bon sens pratique.

Quatre exemples, entre autres, pour vous présenter cet esprit génial.

          Il invente un système pour recycler l'eau des bacs et sa réutilisation. Cela fera gagner des centaines de milliers de francs à la Société du Port de Pêche et à la ville de Lorient.

        Il invente un système qui freine les pains de glace dans les goulottes de descente afin qu'ils ne se brisent plus.

         Il reçoit Max PLANCK, le célèbre mathématicien prix Nobel, auteur des mathématiques quantiques, à Lorient en novembre 1940, pour régler un problème de congélation d'aliments destinés à l'Allemagne et aux sous-mariniers de la Kriegsmarine.

        Au lendemain de la guerre 1939-1945, il fait redémarrer le frigorifique en fabriquant des compresseurs avec les pièces de ceux démolis pendant les bombardements.

Je suis comme vous, j'ai découvert ce grand Monsieur grâce à cette exposition et aux documents conservés par ses enfants et petits-enfants. Un grand merci.

Revenons à notre Slipway.

On trouva les fonds pour sa construction en 1928 et l'on démarra les travaux à la fin de la même année. Il ne fut inauguré qu'en 1932. Cette fois encore, les Lorientais montrèrent leur volonté à suivre le projet de Monsieur VERRIERE. Nous subissions pourtant une crise économique internationale sans précédent, le crack boursier de 1929. Ces travaux allaient permettre que la construction et la réparation navale se fassent sur place, ce qui fut fait. Lorient sortit de cette crise très rapidement car de nombreux petits chantiers s'installèrent autour de ce site. L'entreprise "Les chantiers de la Perrière" date de 1937 (au fait, je m'en souviens très bien, c'est l'année où il y eut un petit CHRESTIEN de plus sur terre). Ces Ateliers deviendront plus tard les Chantiers et Ateliers de la Perrière, Lorient Naval Industries, Leroux et Lotz Naval et Alstom-Leroux-Naval à qui nous devons plusieurs maquettes et photos, pour cette exposition.

J'en profite pour les remercier et plus spécialement Monsieur Pierre LE FLOCH qui a su conserver toutes ces archives au sein de sa société.  

Lorsque Henry VERRIERE vit le tableau de Manet "Le dépôt de locomotives", il fut "impressionné" et se dit : "Mais si l'on range des locomotives à partir d'un pont tournant, pourquoi ne rangerais-je pas des bateaux de cette façon" ? Quelques années plus tôt, un anglais Gordon GLOVER s'était fait la même réflexion, mais en voyant quel tableau ? car sa technique consistait à utiliser un système de portes éclusières. Le problème est un peu différent et un peu plus compliqué, car tout le monde sait bien que "les bateaux n'ont pas de jambes". Soyons sérieux. Il fallait trouver une solution pour les sortir de l'eau. Henry n'était pas polytechnicien pour rien ! Il mit en place une rampe et l'ingénieux pont tournant basculant. Il est vrai qu'il avait pris connaissance des travaux de Monsieur BONICKAUSEN, que tout le monde connaît sous le nom de … Gustave EIFFEL, pour cette construction en poutrelles rivetées que les enfants appellent meccano. Le premier chalutier[1] à monter sur le slipway fut "L'Amérique". Tout un symbole. Véritable exploit, car son poids brut était de 520 tonnes, le double du tonnage supporté par le pont. Cette réalisation s'avèrera être une merveille technologique. Lorient est véritablement à la pointe du concept et du progrès.

Il y aura des heures sombres où les chalutiers seront remplacés par des U-Boote. Les Allemands renforceront pour la première fois la rampe et le pont du slipway pour recevoir ces sous-marins de 3 et 400 tonnes dès la fin de 1940. Le 1er septembre 1940, un bombardement anglais détruira partiellement le pont, sans dommage pour la structure ; par contre, en mai 1943, il subira des dégâts beaucoup plus importants. Ce sera aussi le lieu où les langues iront "de bon train", à savoir qu'on a parlé français, bien sûr breton, anglais, allemand, norvégien, polonais, espagnol, arabe. Quelle tour de Babel ! On a même perçu quelques bribes de japonais pendant ces temps difficiles.

Après la guerre de 1939-1945, ces deux sites seront réparés, réadaptés aux nouvelles modernisations. Ils repartiront de plus belle, à la grande satisfaction des entreprises lorientaises.

En d'autre temps, sur ces lieux, j'ai rencontré des amis, et non des moindres, des artistes cette fois : Georges BOUCARD, Alain GUERNALEC, Pascal TAGUET, Jacques et Camille GEFFLOT, Jean-Paul JAPPE, Daniel FAURIE, François JACOB, Matthieu DORVAL, Jean-François LANGEO, Arnauld BUZULIER, dont vous pouvez admirer les œuvres et combien de jeunes étudiants de l'Ecole des Beaux-Arts. 

Je n'oublierai pas les plus anciens, Stéphane GALLO[2], Arthur MIDY,  Georges LORGEOUX, Lucien VICTOR-DELPY, Albert BRENET, Georges GAIGNEUX.

Ainsi que Gaby LE CAM, Maryvonne COUEDO, Yann MINH, Bernard BOULEIS, Dominique BOUCHER, pour leurs très belles photos.

J'ai aussi assisté au ferraillage, ou si vous préférez, à la casse de plusieurs bateaux : le sous-marin La "Diane", le chalutier le "Basse-Nevez", etc… Ces découpages sont d'une irréalité émouvante et d'un surréalisme impressionnant.

Cette exposition est une vision bien réelle de l'histoire lorientaise. C'est beaucoup d'émotion, de partage d'idées, de culture, de tradition populaire, de mélange entre l'histoire, l'art et la maîtrise du "savoir-faire" que nous avons essayé de vous montrer au gré de cette balade dans cette machine à remonter le temps qu'on appelle aussi "Mémoire".

J'espère que l'on a réussi.

En son temps, Jules VERNE avait su faire partager son goût des techniques en se servant des magnifiques et surprenants dessins des illustrateurs de la maison d'édition Hetzel (il a d'ailleurs si bien réussi qu'il a fait profiter le monde de ses expériences utopiques). Aujourd'hui, c'est tout simplement l'histoire qui se répète avec ce nouvel élévateur à bateaux "Elidra 650" qui est le plus grand appareillage de ce type fonctionnant en Europe et ces machines performantes qui fabrique la glace à bord des chalutiers et dans les magasins des mareyeurs. Quand j'ai proposé ce type d'exposition à Monsieur le Maire adjoint à la Culture, Monsieur Patrick DANIEL, nous étions sur la même longueur d'ondes et pour lui aussi, c'était un souhait qu'il formulait depuis plusieurs mois auprès de ses services. Il sentait la nécessité et le besoin de faire une démarche semblable pour les Lorientais.

Cette exposition n'a pu se faire sans la participation remarquable du Conservateur des Archives Municipales, Patricia DRENOU, son collaborateur, Jean-François NOBLET et toute leur équipe, à qui j'adresse ici mes remerciements, sans oublier Dominique RICHARD, architecte, pour sa présentation culturelle et ludique.

Remerciements à nos hôtes de l'Hôtel Consulaire. Merci Monsieur le Président de la C.C.I.M. d'avoir accepté la présentation de cette exposition dans ce hall splendide.

Faut-il rappeler que les noms de certains des décideurs de l'époque de la glacière et du slipway, qu'il s'agisse de Guyesse, Nail, Rio, Estier, Marcesche, sont gravés dans le marbre de cet immeuble.

Merci aux différentes administrations qui possédaient des documents sur ces sites d'avoir bien voulu nous les confier.

Merci Monsieur le Directeur de l'Ecole de Musique d'avoir choisi si bien cette musique industrielle et maritime de Monsieur Denis DUFOUR, dont la création mondiale a eu lieu sous sa direction.

Merci à Monsieur le Directeur de l'Ecole Supérieur d'Arts pour son aide à la réalisation de l'affiche de l'exposition.

Merci à Monsieur le Président de la Société d'Archéologie et d'Histoire du Pays de Lorient pour son aide pratique.

Remerciements chaleureux à tous nos amis particuliers qui nous ont prêté si gentiment leurs œuvres.

De cette exposition, si vous le permettez, je voudrais faire un petit clin d'œil à mon grand-père, mes oncles, mes cousins qui, pendant un siècle, ont travaillé sur un autre site industriel celui des forges d'Inzinzac-Lochrist, à mon père qui a su si bien faire du négoce avec ces entreprises du port de pêche pendant plus de cinquante ans et à mes petits-enfants qui partagent depuis une dizaine d'années ces pérégrinations.

Pour conclure, avis aux décideurs de ces nouvelles structures qui se mettent en place qu’elles soient industrielles ou maritimes :

Que Lorient conserve son image de "capitale Bretagne Sud" !

  Claude CHRESTIEN.

 Ò

 

 

[1]  pour les essais (sinon le "Men Guen I"  de l’armateur Gautier)
[2] * Stéphane Gallo, architecte, dessine la fontaine monumentale de la rue Maréchal Foch