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1944 - PRISONNIERS DES F.F.I. BRETONS

F.F.I. = Les volontaires des Forces Françaises de l’Intérieur

 

 

Gilbert Baudry

Ancien FFI – membre de l’ANACR

 

 

À la suite d’une interview télévisée, diffusée en Allemagne et réalisée au Service historique de la Marine, j’étais en relation avec un professeur d’Université allemand, le Docteur Ludger Tewes M.A.. Il me disait préparer un ouvrage sur les bases de sous-marins en Europe et me demandait si je pouvais retrouver des anciens résistants qui auraient fait des prisonniers allemands à l’époque ainsi que des informations sur l’attitude réciproque des uns et des autres.

C’est pour donner une réponse à cette demande du professeur Tewes que j’ai interviewé Henri Féniès, né en 1925, 19C quai de Rohan à Lorient. Après l’envoi du document, le professeur Tewes m’a remercié et a précisé combien ce récit d’Henri Féniès était très important pour la préparation de son ouvrage, en particulier au titre des relations humaines pendant la seconde guerre mondiale. Voici le texte du récit d’Henri Féniès.

 

Interview-témoignage d’Henri Féniès à Lorient, le 25 Juin 2002

 

J’avais 15 ans en 1940 quand j’ai commencé mes premiers sabotages contre le matériel des troupes d’occupation allemandes. J’étais élève de l’Ecole Primaire Supérieure de Lorient où l’on devait voir, après l’arrivée de l’Amiral Dönitz, la construction de la base des sous-marins la plus importante d’Europe, puis la destruction de notre ville.

Je menais des études en Section Industrielle et en même temps la pratique technique dans un garage lorientais. Avec un camarade nous avions souvent à réparer des autos "Citroën" réquisitionnées par la Kriegsmarine ou la Wehrmacht. Notre méthode était d’introduire de la limaille d’acier dans la boîte de direction … et de bien la refermer ; au bout de quelques jours, il suffisait d’un virage accentué ou pris un peu vite et le véhicule partait dans les décors.

Après les bombardements de 1943 par les Anglo-américains et l’évacuation de Lorient, je me suis trouvé "Réfugié" au Faouët avec mes parents, mon père ouvrier à l’Arsenal et ma mère ménagère. C’est là que j’ai fait la connaissance des résistants du réseau "Libération Nord" dont le principal responsable était Jean Le Coutaller, alors instituteur, et qui allait devenir mon commandant quand j'ai rallié les F.F.I. . Les parachutages d’armes et de munitions auxquels j’ai pris part m’ont permis d’être armé d’un fusil anglais Enfield très sûr et de grenades.

Mon chef direct était Pierre Guillaume, également instituteur ; son jeune frère Marc et une douzaine d’autres "maquisards" formaient notre groupe très déterminé et mobile. Après le débarquement des Alliés le 6 juin 1944, nous avons multiplié les actions capables de gêner au maximum les déplacements des troupes allemandes, dès que les consignes transmises par radio depuis Londres nous parvenaient, notamment en coupant des lignes téléphoniques et en sabotant des voies ferrées, et toujours en assurant la réception d’armes et de munitions.

 

Photo 1 : Henri Féniès (devant la fenêtre) et ses camarades

Début Juillet, je circulais avec deux camarades à l’avant-garde d’une patrouille d’autres F.F.I., le long de la voie Le Faouët – Gourin du petit train qu’on appelait le "train de Patates" (pour les noms de lieux voir la carte jointe) car il apportait à Lorient les pommes de terre de cette région. Notre patrouille de treize hommes avance comme d’habitude en silence, aux aguets. Un bruit devant nous, suspect. Chacun se gare et se prépare, puis voilà des casques allemands. Nous leur tombons dessus ; à leur surprise s’ajoute la peur : des "Terroristes" ! La lutte est brève ; après avoir eu deux blessés dont un Feldwebel, ils crient "Kamarades" et se rendent, désarmés.

 

Le sort des prisonniers

Nous voilà donc quittant le Gohlen où les Allemands qui se dirigeaient vers Lorient nous ont rencontrés. Ils sont très inquiets ; leur propagande leur a tant décrit les "terroristes" comme des bandits sans honneur, nous avons si mauvaise apparence dans nos vêtements parfois en guenilles, avec des grenades plein la ceinture, qu’ils se demandent quel sort les attend. À vrai dire, nous nous demandons aussi qu’en faire ; ils sont une douzaine, autant que notre patrouille ! Nos conditions de lutte, notre dépendance des braves cultivateurs qui nous aident à nous nourrir au péril de leurs vies, nos missions de guerre, ne nous permettent ni de les nourrir ni de rester les garder. En arrivant à Guiscriff, nous les enfermons dans la salle de danse de Bourgeal et nous demandons conseil à nos chefs. Les blessés sont soignés.

Dès que la réponse arrive nous leur expliquons la situation : «Nous ne pouvons pas vous nourrir, mais si vous travaillez dans les fermes vous serez bien traités et nourris». Aussitôt, le plus gradé accepte, le vieux Feldwebel qui a déjà connu la guerre de-1914-1918 ; les autres peu à peu font de même … sauf un Sergent, assez distant avec ses compagnons, qui refuse et invoque les lois de la Guerre pour les sous-officiers «qu’on ne peut obliger à travailler». Entendre parler des lois de la Guerre alors que l’ennemi les bafouait depuis des années déclenche la colère ; l’un d’entre nous s’énerve, bouscule le Sergent et l’enferme dans la "soue à cochons" (enclos couvert) dont l’animal a été tué la veille, en lui disant : «Pas travailler, pas nourri».

Mon père qui a rejoint notre groupe est chargé de conduire et de ramener le soir au campement les prisonniers répartis dans les fermes. Les fermiers sont satisfaits de cette main d’œuvre qui les soulage en pleine moisson ; dans la même saison en Allemagne, les cultivateurs allemands nourrissaient les prisonniers français qui travaillaient pour eux.

Le 3ème jour de sa captivité, le Sergent avait enlevé tous ses galons, s’étant ainsi volontairement dégradé, alors en accord avec ses principes il acceptait de travailler. Il alla aussitôt se plonger, tout nu, dans le lavoir et lava ses vêtements malgré les protestations des villageoises, mais personne n’intervint. Ses camarades ne l’aimaient pas, nous n’avons pas su pourquoi ?

 

Peu après, avec les prisonniers, nous avons dû exécuter une des pires corvées qui soient ; dégager une fosse que des fermiers de Lanvénégen avaient repérée à Rozengat, au-delà de Loge Coucou. Nous avons retiré onze corps de civils fusillés par les soldats du Faouët, les mains liées par du fil de fer. Les familles de Spézet sont venues reconnaître les leurs, exécutés sans jugement ; une mère a alors retrouvé son fils et sa belle-fille ainsi ligotés ensemble … Le Sergent allemand sortit de la fosse … et pleura. Nos prisonniers ont dû comprendre bien des choses et sont restés silencieux plusieurs jours ; le Feldwebel était le plus chaleureux d’entre eux. Après cette dure épreuve, chacun a repris ses activités : nous les civils nos actions militaires, les soldats allemands leurs travaux pacifiques.

 

 

Photo 2 : Le Sergent allemand dans la fosse

Lors d’une inspection, mon père eut des reproches car un prisonnier buvait du "lagout chistr", l’eau de vie de cidre, au casse-croûte de 16 heures en sa compagnie et celle du cultivateur son patron ; les consignes du Commandant étaient formelles : «Pas d’alcool aux prisonniers». Alors le cultivateur expliqua : «Ils travaillent comme nous, ils mangent comme nous ; à quatre heures on boit un peu de "goutte", on ne peut pas les laisser sans rien … juste sur l’envie !». Le responsable n’insista pas.

Mais un matin, début Août, un camion des alliés arrive avec mission de récupérer les prisonniers et de les conduire dans un camp de la région de Guingamp. Ils ne veulent rien savoir, refusent de monter, prétendent rester dans les fermes en attendant la Paix : «On est bien ici, Krieg fertig ! ». En dépit de leurs protestations, ils furent quand même embarqués. Mon oncle et le Feldwebel avaient combattu à Verdun en 1914-1918 et en avaient souvent parlé ; en se quittant, ils se serrèrent la main.

 

Photo 3 : L’alignement des cercueils

 

Le destin des F.F.I.

 

Après une période difficile et éprouvante en Septembre, à St-Hélène et Nostang en bordure de la "Poche de Lorient" dans laquelle s’étaient enfermées les forces allemandes, pourvues d’une artillerie considérable alors que nous n’en avions pas du tout au début, j’ai fait une guerre de position. Cette fois j’avais pour Chef un autre instituteur, Guihur, un entraîneur !

La paix revenue, des F.F.I. sont restés dans l’Armée et plusieurs sont devenus Colonels et quelques-uns Généraux, mais la plupart sont revenus à la vie civile, estimant le devoir accompli avec la conquête de la Liberté. Les instituteurs ont repris leurs classes. J’ai pu poursuivre des études professionnelles ; des stages renouvelés à Paris m’ont permis de devenir peintre-décorateur, un beau métier ! Marc Guillaume est devenu le Conseiller du Travail estimé de l’Arsenal de Lorient, alors que mon père continuait sa carrière à l’Arsenal de Bizerte en Tunisie. Notre Commandant Le Coutaller, après avoir été Maire de Lorient, a été élu Député socialiste du Morbihan en 1946, puis nommé Conseiller de l’Union Française et enfin Sous-secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants en 1956.

Je me suis marié en 1950. J’ai très peu parlé de tous ces évènements avec mes enfants, beaucoup plus avec mes petits-enfants. J’affirme vrai tout ce que j’ai raconté et qui peut être confirmé par Marc Guillaume, mon frère d’armes et de misère.

 

Signé à Lorient, le 25 Juin 2002.

Recueilli par l’auteur du présent article.

 

Tableau dressé par la Mairie de Lanvénégen

Fosse de «Rozengat»

 

Pierre Marie CLECH, Spézet - Michel Louis Marie CLECH, Spézet

François Marie CLECH, Spézet - Jean Marie CLECH, Spézet

Jacques Joseph Marie GUEGUEN, Spézet - Jean Pierre GUILLOU, Spézet

Louis Yves-Marie LOLLIER, Spézet - Yves Marie BLOAS, Spézet

Jean Joseph JAOUEN, Spézet - Jean Marie LE ROUX, Spézet

Jean Louis LE GOFF, Saint-Goazec

Fosse de «Rosqueo»

 

François Louis BERNARD, Gourin - Félix Marie DAOUPHARS, Gourin

Samuel Yves LESSARD, Gourin - Claude CHALME, Inguiniel

François Pierre Marie LE PEN, Inguiniel - Marie Louis JAFFRE, Inguiniel

Pierre Marie ROBIC, Inguiniel - Alban Yves ROUSSEAU, Lanvaudan

Louis Joseph DEHENAUW, Blankenberge (B) - Raymond MARMENOUT, Blankenberge (B)

Georges Emile SANDEZE, Blankenberge (B) - Camille Joseph de CORTE, Blankenberge (B)

René François MESTNAGH, Blankenberge (B)

Fosse de «Boutel»

Morts au combat

Jean LE BLOAS, Lanvenegen - Robert KESSLER Charenton

Raymond DENISE, Bretigny/Orge

 

Cliquer sur les photos ci-dessous pour les agrandir

Photo 1 - Les hommes armés

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Photo 2: Le sergent allemand dans la fosse

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Photo 3: Les cercueils

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